Marietta KARAMANLI « Consultations citoyennes sur l’Europe, une initiative aux effets limités, la nécessité de répondre au « never it’s going to resolve » (ça va jamais se résoudre) par des actes »

 

L’association Trans Europe Experts (TEE) a été « créée en 2009 par des universitaires français désireux d’améliorer la participation des juristes dans l’élaboration du droit européen et de renforcer leur intérêt pour les questions juridiques européennes ».

Elle m’a invitée à l’occasion de son 9ème forum annuel ayant pour thème « Quelle Europe pour demain ? » à dialoguer sur le thème des conventions citoyennes européennes devenues de simples » consultations » voulues par le nouveau Président de la République.

Cette rencontre a eu lieu le 16 mars 2018 à l’Institut de droit comparé de l’Université Panthéon-Assas.

Mon propos peut se résumer de la façon suivante. Voulues comme permettant de réconcilier les citoyens de chaque pays et l’Union Européenne, ces consultations ont un objectif assez flou et leurs effets seront limités et non obligatoires.

Plus concrètement j’ai développé quatre idées.

La première est que si la France est en pointe sur ce sujet, l’élan des autres pays semble, pour l’heure, moins net.

La deuxième point de faiblesse est un constat : la contribution de la Commission européenne, elle-même censée organiser la plateforme électronique sur la seconde partie de l’année, n’est pas encore disponible.

Un troisième point de faiblesse est que pour une très grande majorité de nos concitoyens, les traités de l’Union Européenne et les accords au sommet constituent une part « inconnue » et, par là, « inquiétante » de l’Europe. Là on touche aux mécanismes institutionnels mêmes qui ne varieront pas.

Le quatrième point de faiblesse je le situe dans le décrochage entre « ce qui est dit » et « ce qui est fait ».

 

Mesdames, Messieurs,

Tout d’abord, je souhaite vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole lors du « Forum annuel de Trans Europe Experts ».

J’apprécie beaucoup le travail fait par les juristes de votre réseau et j’entends autant que faire est possible, faire reconnaître votre présence et vos analyses.

Le thème des « Conventions citoyennes sur l’avenir de l’Union européenne », est un thème qui devrait être a priori satisfaire la députée que je suis, favorable à ce l’Europe soit mieux comprise et comme je l’indique souvent « embarque » plus de monde.

L’idée de départ du nouveau Président de la République est de reconnecter Bruxelles et les citoyens européens en suscitant des débats organisés par la société civile.

« Il faut mettre fin, je cite, à la déconnexion entre Bruxelles et les citoyens. Ces consultations veulent recréer un lien », a expliqué récemment la ministre française des Affaires européennes.

Le terme n’est pas sans signification.

Les modalités de ces « consultations citoyennes », imaginées par la France et auxquelles 25 autres pays européens ont prévu de participer, ont été précisée mercredi dernier 14 mars.

Elles auront lieu d’avril à octobre, sous forme de débats et autres manifestations toutes initiées par la société civile.

Les contraintes devraient être les mêmes dans tous les pays participant : pluralisme, transparence, et caractère public de l’événement ; elles sont les trois conditions posées pour être labellisées « consultations citoyennes ».

Au sein des 27, seule la Hongrie n’a pas encore répondu favorablement.

La commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a, elle-même, établi un rapport sur ce projet de consultations.

Mon propos sera organisé autour de trois idées.

1 Une démarche qui a le mérite d’exister mais aux effets limités

Le rapport, que je viens de mentionner, déposé début décembre 2017, utilisait le terme de « conventions démocratiques » comme au temps de la campagne présidentielle.

Ne sont plus aujourd’hui évoquées que des consultations démocratiques !

Le terme de convention avait une dimension juridique et évoque des assemblées et des travaux préparatoires à des textes juridiques notamment constitutionnels (de la Convention (1792 – 1795) sous la Révolution Française à la convention sur l’Avenir de l’Europe qui devait précéder il y a quelques années l’adoption d’une Constitution européenne).

C’est le refus des autres Etats d’une telle appellation qui a conduit à cette « re-nomination ».

Parallèlement, le Chef de l’Etat a tracé ses propres priorités au travers de plusieurs discours et indiqué que ce seraient les chefs d’État et de gouvernement qui décideront de l’agenda européen pour les années qui viennent.

Dès lors à quoi servent ces consultations ?

Je fais partie des député-e-s qui restent perplexes sur l’objectif ultime de l’organisation de ces consultations démocratiques…

Un de mes collègues très pro-européen l’a parfaitement résumé en séance :

-est ce faire mieux connaître ?

-est ce faire adhérer au projet ?

– est ce faire émerger des souhaits ?

Il a répondu

à la 1ère ce sera ardu,

à la 2ème quel est ce projet ?

à la 3ème gardons-nous des généralités.

J’ajouterai le diable est alors dans le détail et dans les déclinaisons concrètes.

2 Une démarche déconnectée des autres mécanismes institutionnels et dont l’appropriation au niveau européen n’est pas gagnée

Si j’en reviens aux modalités qu’on connaît ou qui ont été évoquées, il convient de rappeler plusieurs points mentionnés au cahier des charges à savoir :

  • Que lesdites consultations n’aboutiront pas à un nouveau traité,
  • Qu’il faut garder une forme souple à l’expression des priorités citoyennes…pour la France étaient évoquées des conventions sectorielles…
  • Qu’il y aura un comité des sages européen, garant de l’objectivité des propositions issues de la consultation et des débats physiques…le Président de la République a évoqué dans son discours à la Sorbonne « un groupe de la refondation européenne. »…le rapport parlementaire visé semblait « fusionner » les deux organes,
  • Qu’il devrait y avoir au final une charte interétatique ayant vocation je cite « à réunir les États membres autour d’un engagement moral commun tout en leur laissant une certaine souplesse, dans une démarche volontaire et d’adhésion de leur part».

Comme vous pouvez le constater je suis prudente car, aussi étonnant que cela puisse paraître, les membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale ont eu, au final, peu d’informations alors que nous aurions pu aussi être des vecteurs et acteurs de cette mobilisation…

Bon une fois cela dit, il y aura bien de grandes manifestations publiques, une mobilisation des médias, une consultation numérique…

En vous pourriez me dire « et encore » et « et après »?

Et là je vois quatre points de faiblesse qui, il est vrai, n’ont pas la même importance.

Je partirai des deux plus faibles pour aller vers les deux plus forts.

Le premier est que si la France est en pointe sur ce sujet, l’élan des autres pays semble, pour l’heure, moins net.

J’ai fait deux conférences en Grèce il y a dix jours devant des publics motivés par l’Europe et / ou la France…personne n’a évoqué cette grande mobilisation à venir.

Je suis allée à Londres mardi y rencontrer des responsables favorables ou non à un nouveau référendum sur le Brexit…parmi les 1ers, aucun ne m’a interrogé sur le changement que pourrait induire une possible refondation à partir de cette « reconnexion ».

La deuxième point de faiblesse est un constat : la contribution de la Commission européenne, elle-même censée organiser la plateforme électronique sur la seconde partie de l’année, n’est pas encore disponible.

Comme le remarquait un media, il semble même que l’exécutif européen soit convaincu que sa façon de pratiquer le « dialogue citoyen », en faisant venir un commissaire pour exposer la politique de l’UE se suffise à lui-même.

Un troisième point de faiblesse est que pour une très grande majorité de nos concitoyens, les traités de l’Union Européenne et les accords au sommet constituent une part « inconnue » et, par là, « inquiétante » de l’Europe. Là on touche aux mécanismes institutionnels mêmes qui ne varieront pas.

Le quatrième point de faiblesse je le situe dans le décrochage entre « ce qui est dit » et « ce qui est fait ».

Je vais prendre deux exemples très concrets.

1 Le premier est tiré de la politique migratoire de l’UE et de ses Etats.

Il y a un discours sur une politique partagée…en fait les frontières des Etats nationaux ne sont pas pensées comme étant communes.

La réalité est donc que chaque Etat fait comme il peut et comme il veut.

Le règlement dit de « Dublin 2 » est en panne !

L’Italie et la Grèce confrontées aux nouvelles voies d’immigration gèrent en 1ère ligne…

Le résultat en est visible pour l’Italie avec les résultats des récentes élections législatives et un vote majoritaire anti-européen.

L’opinion voit dans l’arrivée de migrants une « lutte entre les pauvres », les pauvres installés qui ont l’impression d’un effritement quotidien avec des pressions sur les salaires, le travail et les services communs et les nouveaux pauvres qui cherchent une protection humanitaire ou un mieux-être économique.

Le 2ème exemple Je le tire d’un débat autour d’un rapport en commission des affaires européennes sur l’OMC il y a quelques jours.

Nous avons appris que la commission européenne voulait en finir avec la mixité des accords de libre-échange, autrement dit ne plus avoir un double niveau de ratification UE et Etats membres et distinguer, d’une part, les ALE (accords de libre-échange) relevant de sa compétence exclusive et, d’autre part, les accords de promotion et de protection de l’investissement qui, eux resteront soumis à ratification nationale.

Au moment même où l’opinion s’intéresse à ces sujets en les abordant au plan national, on s’achemine vers un déport du sujet vers la seule UE…

En l’espèce je ne suis pas dupe si la commission a le champ libre c ‘est que les Etats n’y trouvent pas à redire…

Bref, si la démarche initiée par le Chef de l’Etat dans les intentions, apparaît satisfaisante, elle ne garantit rien sur la meilleure façon d’avancer et de combler les fractures au sein de l’Europe.

Les outils sont déterminants mais ils ne font pas à eux seuls une politique nouvelle !

3 Une interrogation : Que faire ?

Une étude de juin 2017 montre que seulement 34 % du public européen a le sentiment d’avoir bénéficié de l’appartenance à l’UE !

Du côté des élites 60 % considèrent que l’Union ne doit pas aller plus loin.

L’Europe reste encore trop souvent pour les citoyens des Etats membres un moyen ; ils n’en voient pas la finalité.

Je ne sais si vous connaissez le groupe de rock britannique Franz Ferdinand, dans un de ses derniers morceaux, il chante « it’s never going to resolve » «ça va jamais se résoudre »,  peut -être dans un air du temps…

Moi je ne m’y résous pas

Pour moi le problème est celui de la non perceptibilité de grandes politiques publiques européennes.

En 2017, le taux de chômage dans la zone € touche  20 millions sans compter ceux qui y vivent de façon précaire.

Plus de 110 millions de personnes sont là en danger d’exclusion sociale dans l’UE-27, exposés à un risque aggravé de pauvreté, à un dénuement matériel extrême ou vivant dans des ménages n’ayant pas accès au marché du travail.

Plus de 15 % des jeunes de 18 à 24 ans ont quitté le système scolaire, et sont sans emploi ou ne suivent pas de formation.

L’Europe ne fait pas suffisamment sens !

Evoquer la concurrence pour définir des Institutions c’est un peu court.

C’est parce que les citoyens auront le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes sont mieux prises en compte par l’Europe qu’ils accepteront d’aller plus loin.

Concernant les grandes politiques publiques je prendrai trois sujets qui peuvent et pourraient être portés par notre pays et parlent aux individus :

–        la relance et l’amplification d’Erasmus et des échanges scolaires et des temps de formations dans un autre pays, seul véritable succès européen qui parle tant aux jeunes ;

–        la mise en chantier d’une assurance chômage européenne qui marquerait une volonté de convergence et de construction sociale par le haut et serait un outil économique et budgétaire (qu’il s’agisse d’un fonds de stabilisation organisant des transferts temporaires entre États membres au gré de leur situation à un moment économique ou d’un régime d’assurance chômage commun, première réalisation d’une intégration budgétaire de l’Union européenne ) ;

–        enfin l’approfondissement d’une Europe de la Justice et de la Police avec ce que cela suppose de réelles mises en commun de moyens renforcés à l’image de la création d’un corps de garde-frontières européens défendue de longue date par l’Assemblée Nationale ou de l’interopérabilité des systèmes d’information.

J’espère par ces quelques mots et propos vous avoir donné envie d’en débattre et d’avancer.

Marietta KARAMANLI