Marietta KARAMANLI « Habilitation donnée au Gouvernement par le Parlement de modifier substantiellement le Code du Travail : mon refus de laisser à l’exécutif le droit de modifier seul, sans évaluation préalable des effets et sans contreparties suffisantes le Code du travail »

L’Assemblée Nationale a eu à connaître du projet de loi autorisant le gouvernement à adopter par ordonnance sans discussion au fond par les députés de chacune des dispositions des modifications substantielles au code du travail.
Lors de la campagne électorale j’avais dit que je serai vigilante sur le sens des évolutions voulues par le nouveau Président.
Le groupe Nouvelle Gauche (socialistes, socio-démocrates, écologistes et européen) auquel j’appartiens à voter contre l’habilitation.
Voir ma position de vote (1er août 2017) sur le projet de loi d’habilitation dite « à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ».
http://www2.assemblee-nationale.fr/deputes/fiche/OMC_PA335054
Trois raisons majeures ont motivé ma décision de voter contre.
D’une part, de nombreux électeurs avaient le souvenir du projet de loi dit travail adopté lors de la précédente législature sans vote par l’Assemblée Nationale alors même que le texte avait été profondément modifié et amélioré par les députés et comportait certaines avancées comme le compte pénibilité. En ce sens ne pas faire débattre le Parlement après une concertation limitée dans le temps avec les principales organisations syndicales ne m’est pas apparue comme une bonne méthode.
D’autre part, l’étude d’impact jointe au projet est des plus succinctes et ne permet aucunement de justifier une réforme en profondeur.
Enfin plusieurs dispositions en vue constituent des dispositifs qui constituent une fragilisation des droits sans contrepartie évidente tant en termes d’emplois que d’évolutions possibles au profit des salariés. Je ne citerai que la possibilité de contrats précaires par accord de branches (durée, motifs et renouvellements) alors même que notre pays bat déjà le record des contrats de travail de moins d’un mois (1/3 de l’Europe), le calcul des indemnités pour licenciement injustifié sur la base d’un barème qui existe déjà sous forme de référentiel non impératif, la réduction du périmètre de l’entreprise en cas de licenciement économique, qui ne serait plus envisagé qu’au niveau national pour un même secteur d’activités alors même que des grandes entreprises ont des stratégies internationales, fermant en France pour ouvrir ailleurs y compris en Europe…, enfin la fin du compte pénibilité qui devait permettre aux salariés de partir en retraite en tenant compte.
Pour ces raisons, j’ai voté contre l’habilitation donnée au Gouvernement de procéder par ordonnance à ces modifications substantielles du Code du Travail.
Comme je l’ai dit pendant la campagne de l’élection législative, je serai attentive à soutenir les mesures qui vont dans le bon sens et à être vigilante sur celles pouvant présenter des risques pour les salariés et les plus fragiles.
Marietta KARAMANLI


Mes observations Marietta KARAMANLI sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
4 août 2017

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Une étude d’impact a minima

Le projet de loi portant habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social comporte une étude d’impact qui, pour chaque disposition, renvoie à un diagnostic de la situation actuelle, à l’affirmation de la nécessité de légiférer et à l’exposé des objectifs poursuivis, enfin à une description des impacts attendus des dispositions.
Selon l’article 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution les documents joints et réalisant l’étude d’impact apportent notamment et autant que possible, une évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue.

Un postulat non étayé

Le postulat de départ du projet de loi est que (Partie I, art 1er de l’étude d’impact) « la vocation protectrice et régulatrice des règles (actuelles) peut être interrogée au plan social et jugée inefficace au plan économique ».
Il est néanmoins possible de s’interroger sur la capacité d’une telle réforme à créer des emplois et à maintenir des conditions d’emploi convenables pour les salariés.
En effet, cette proposition de réforme repose, entre autres, sur l’idée qu’en donnant aux accords d’entreprises la place la plus importante en matière de réglementation du marché du travail, on favorisera la lisibilité et l’adaptabilité souhaitée par les entreprises et propice à la création d’emploi, que le code du travail actuel n’offre pas.
D’une part, à ce jour il n’existe pas de consensus « scientifique » pour affirmer qu’il existe une corrélation positive entre niveau de législation sur la protection de l’emploi et niveau de chômage (Breda, 2016) même si le projet n’en fait pas état .
D’autre part, en période de chômage élevé, le pouvoir de négociation des salariés est faible et on risque de constater, dans une grande majorité des accords passés, une régression des conditions d’emploi.
Enfin, contrairement à l’idée répandue, et pour diverses raisons, la négociation ne fonctionne pas en France, quand aujourd’hui uniquement 10% des entreprises qui pourraient signer un accord le font effectivement.
On peut alors douter que cette loi atteigne ses deux objectifs initiaux : créer de l’emploi et protéger les salariés

Une étude d’impact qui ne répond pas à l’objectif constitutionnel de justifier d’une réponse législative nouvelle et proportionnée

A aucun moment le projet ne justifie le constat d’inefficacité économique par des données économétriques et statistiques, des rapports, des études et des documents de recherche soumis à la contradiction et publiés.
L’étude d’impact en question justifie chaque mesure par le renvoi à une fiche d’impact à venir avec l’ordonnance.
Si on prend pour comparaison un autre projet de loi adopté lors de la précédente législature (devenue la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, notamment ses articles 8 et 27) et autorisant le gouvernement à modifier par ordonnance le droit des contrats ( devenue l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations), le projet de loi dans son étude d’impact faisait état de données sur la situation du droit des contrats et de son évolution dans plusieurs autres pays (avec renvoi le cas échéant au site internet correspondant), d’études faites par des organisations internationales (la Banque Mondiale) ou encore de rapports ayant nourri la réflexion balisant les évolutions envisagées ( voir en ce sens les notes 88 à 101).
Ici il n’en est rien.
L’absence de données objectivant a minima les constats, les objectifs et les effets d’impact du dispositif envisagé affaiblisse à l’évidence l’objectif constitutionnel donné aux études d’impact à savoir « apporter une démonstration rigoureuse de la nécessité d’un nouveau texte et de la proportionnalité de la réponse juridique envisagée, en vue d’assurer un bon équilibre entre les objectifs d’intérêt général qui inspirent la réforme et la prise en compte des différents intérêts particuliers en présence ».

Source image : wikimédia commons