Marietta KARAMANLI « La GRECE en 2014 : une situation extrêmement difficile ; des progrès très fragiles ; une gestion insatisfaisante par l’Union européenne »

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Le 12 février, j’ai présenté devant la Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale une communication sur la situation économique, budgétaire, sociale et politique de la Grèce alors que celle-ci vient de prendre, pour six mois, la Présidence du Conseil de l’Union Européenne et ce avant que ce ne soit le tour de l’Italie.
Il était donc utile de « voir », près de six ans après que la crise grecque ait éclaté quelle était sa situation.
Si des indicateurs tendent à montrer une amélioration de l’état de santé économique et budgétaire du pays, la situation reste très fragile et a été marquée par un choc économique et social sans précédent depuis plusieurs décennies.
La croissance devrait être de 0,6 % en 2014 et le déficit ramené de 15 % initialement à 4 % du PIB en 2013.
Cette situation est le résultat d’un effacement des dettes par les créanciers privés à hauteur de près de 50 %. De plus une large partie de la dette restante est entre les mains d’organismes ou mécanismes publics ce qui la place en « sécurité » par rapport à une éventuelle spéculation.
La richesse nationale, elle, a baissé en cinq années de 23°% et le revenu disponible pour les ménages de 27°%.
Il faut noter que le chômage a explosé de 9 à 24,3°%, avec un taux de 61°% pour les 15-24, et que la pauvreté réelle a plus que doublé de 12 à 26°%.
Est désormais posée la question de l’amélioration du fonctionnement de l’administration grecque plus coûteuse qu’ailleurs en Europe (les dépenses de fonctionnement de l’État grec, atteignaient avant la crise 6,8°% du PIB contre 3,5°% en moyenne dans l’Union).
Est posée aussi la question de l’économie souterraine qui prive l’Etat de ressources et celle de ses propres difficultés à collecter l’impôt.
La crise, elle-même, et les mesures pesant sur les citoyens notamment les plus modestes a pesé sur les recettes.
Par ailleurs le chemin à parcourir pour sortir d’une dette atteignant les 175 % du PIB nécessiterait que chaque année le budget présente un résultat positif (excédent budgétaire primaire supérieur à 4,5 %) ce qui paraît très difficile.
Cette situation dégradée explique la montée d’un sentiment et d’un mouvement populiste et nationaliste qui utilise la peur et l’amertume pour progresser dans l’opinion publique
Plus généralement la crise grecque a mis en évidence trois facteurs importants : le délai, trop long de réaction de l’Union; sa façon unilatérale essentiellement quantitative et sans prise en compte des inégalités existantes dans la société grecque d’obtenir des résultats rapides ; l’absence de toute responsabilité politique de ceux qui ont décidé au nom de l’Union et des autres Etats et le défaut de prévision et d’objectifs de retours en matière d’investissements, d’emplois et de formations par exemple pour la population grecque.
Ici il convient de noter que les prêts et avances faits par les pays font l’objet d’un remboursement aux autres Etats.
Ainsi la situation de la Grèce a mis en évidence certaines de ses faiblesses mais elle nous a appris aussi beaucoup sur certaines insuffisances majeures de l’Europe.
Marietta KARAMANLI


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Commission des affaires européennes, mercredi 12 février 2014

I. Communication de Mme Marietta Karamanli sur la situation de la Grèce, en début de présidence de l’Union européenne

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Il est paru opportun de faire aujourd’hui un point sur la situation de la Grèce, au moment où débute sa présidence de l’Union et à la veille d’échéances européennes décisives. Je dois dès à présent dire combien il est difficile d’évaluer une situation qui demeure extrêmement préoccupante sur le terrain. Quelques très timides indices de reprise peuvent inviter il est vrai à un léger optimisme.

Après six années d’effondrement, le produit intérieur devrait renouer avec une modeste croissance de 0,6°% en 2014, avec notamment une production industrielle dont l’hémorragie est en voie d’interruption.

Surtout, les énormes efforts budgétaires consentis depuis le début de la crise semblent porter leurs premiers fruits, avec un déficit public ramené, dans un contexte économique extrêmement critique, de 15,7°% à 4°% en 2013.

L’État grec est en conséquence parvenu à dégager un léger excédent primaire, avant paiement des intérêts de la dette, qui s’affermirait à 2,6°% en 2014.

Ces performances limitées sont toutefois peu de chose face à la violence du choc subi par la société grecque et la puissance des menaces devant elle.

Il y a d’abord, bien sûr, l’hypothèque de la dette publique, et les défis qu’implique ce qu’il faut bien appeler la refondation d’un État sur des bases nouvelles.

Il est vrai, d’une part, que cette dette a été fortement allégée grâce à la décote « volontaire » de 50°% agréée par les créanciers privés à la suite du Conseil européen du 27 octobre 2011, qui représente environ 43°% du PIB. D’autre part, il faut signaler que sa détention à près de 70°% par ses partenaires, qu’il s’agisse des mécanismes européens de stabilité, du FMI ou de la BCE, place la Grèce à l’abri des mouvements erratiques et spéculatifs des marchés qui avaient tant fait pour déclencher l’effet boule de neige.

Il n’en reste pas moins que pour faire face à une dette qui atteint 175°% du PIB, la Grèce devra être capable de dégager, chaque année, un excédent budgétaire primaire supérieur à 4,5°% du PIB [[non compris les intérêts versés sur la dette et les revenus d’actifs financiers reçus]]

Une telle performance suppose une profonde rupture avec les pratiques du passé. Les symptômes de la « mal-administration » grecque sont en effet bien connus. On peut citer notamment le doublement en trente ans des dépenses de fonctionnement de l’État grec, qui atteignaient avant la crise 6,8°% du PIB contre 3,5°% en moyenne dans l’Union, ou les effectifs imposants de la fonction publique, qui employait près du quart de la population active. Des titularisations répétées et sans réels concours d’agents publics ont ainsi dessiné une fonction publique aux compétences disparates, aux rémunérations parfois aléatoires en l’absence de toute grille unifiée des salaires, et aux qualifications souvent inexploitées.

Ces défaillances trahissent aussi des difficultés qualitatives.

Je pense notamment à sa structure complexe, laissant trop de place au clientélisme qui prospère dans l’imprécision et l’instabilité des missions publiques.

Je pense aussi à sa propension au formalisme. Mais je pense surtout au vrai talon d’Achille de l’administration grecque, sa difficulté à collecter l’impôt.

Liée aussi à l’importance de l’économie souterraine, d’ailleurs constatée dans d’autres pays comme l’Italie, cette faiblesse obère la capacité de la Grèce à faire face aux dépenses d’un État moderne et fragile, par des inégalités sociales inacceptables, le contrat social.

Faire face à de tels défis suppose de réunir deux conditions. La première, c’est d’enraciner les réformes dans la durée. La seconde, c’est de mobiliser les principaux concernés, pour qu’ils s’approprient les réformes et consentent ainsi à de vrais changements de comportement.

Or, dans l’urgence, les programmes d’austérité ont d’abord retenu une approche trop brutale, trop comptable et trop ouvertement défiante à l’égard des employés publics. Ils se sont concentrés sur des objectifs exclusivement quantitatifs, avec par exemple la baisse de 20 % des effectifs de la fonction publique et des rémunérations avec l’adoption d’une grille indiciaire. Ils ont d’abord sollicité les bases fiscales les plus aisément mobilisables – malheureusement aussi les plus injustes, comme la TVA, augmentée dès 2010 de 19 à 23°%.

Ce n’est que récemment, sous l’impulsion notamment de la « task-force » européenne mise en place à l’automne 2011, que des réformes plus qualitatives ont été mises en Å“uvre, sous l’impulsion d’un Secrétaire général responsable directement auprès du Premier ministre.

Sur le front des impôts, une lutte résolue, fortement aidée par le recours intensif aux nouvelles technologies, a été initiée contre la fraude fiscale.

Et un premier débroussaillage courageux a été fait dans le maquis des exemptions fiscales injustifiées sans aller toutefois jusqu’à s’attaquer aux intérêts les plus solides, qu’ils s’agissent des armateurs ou de l’Église orthodoxe.

Cet ajustement budgétaire, qui représente un effort structurel atteignant le montant historique de 20°% du PIB, a dû être mené en même temps qu’était relevé le défi de la compétitivité. Car la crise grecque de 2010 est à la fois une crise des finances publiques et une crise de compétitivité. Profitant de la baisse des taux d’intérêt et de l’allègement des contraintes extérieures liées à l’euro, la Grèce a en effet laissé ses termes de l’échange se dégrader de 20 à 30°%, accentuant la vulnérabilité d’une économie déjà très insulaire par rapport au centre de gravité de la zone euro.

Je veux toutefois, à ce stade, rompre avec de trop nombreux préjugés en vous invitant à ne pas surestimer le retard grec. Ainsi, pour ne citer ce seul chiffre, l’augmentation du PIB de 12°% entre 2000 et 2008 a avant tout reposé sur une forte hausse de la productivité horaire (+ 11°%) alors même que le temps de travail demeurait beaucoup plus élevé qu’ailleurs (2 119 heures par travailleur et par an en 2007 contre 1 554 en France ou 1 390 en Allemagne). La Grèce n’a ainsi pas connu, contrairement à beaucoup d’autres, d’emballement de l’endettement privé.

Ces réserves posées, force est de constater que sur ce front, comme sur le front budgétaire, les politiques suivies pour faire face à la crise furent essentiellement quantitatives et brutales, reposant sur une compression des importations et l’imposition des traditionnelles « thérapie de choc libérales », avec par exemple une baisse de 22°% du coût du travail.

Et là encore, les résultats demeurent fragiles, sans doute parce que ces politiques ont jusqu’ici échoué à s’attaquer aux causes réelles des difficultés de l’économie grecque, qu’il s’agisse de son faible potentiel d’innovation (les dépenses de recherche de dépassaient pas 0,6°% du PIB contre 2 % dans l’Union) ou de ses fragilités bancaires, exacerbées par l’appauvrissement des ménages. Seule la relance des fonds structurels grâce au Pacte pour la croissance de juin 2012 a dessiné un point de lumière dans ce sombre tableau, représentant une relance de 3°% de PIB en 2013 et en 2014.

Derrière ces chiffres et ces réformes, se cache toutefois un coût humain extrêmement élevé. Pour prendre la mesure des difficultés, il faut se figurer que la richesse nationale a baissé en cinq années de 23°% et le revenu disponible pour les ménages de 27°%. Il faut noter que le chômage a explosé de 9 à 24,3°%, avec 61°% pour les 15-24, ou que la pauvreté réelle a plus que doublé de 12 à 26°%.

Cette considérable dégradation des conditions de vie de nos concitoyens européens pèse de manière disproportionnée sur les plus fragiles. Ainsi, relevons que l’écart de revenu après impôt entre les 10°% les plus riches et les 10°% les plus pauvres est passé de 10 à 17 en trois ans.

À cet égard, je pense utile de noter que le choc fut d’autant plus violent qu’il a touché une population qui souffrait déjà au préalable d’inégalités inacceptables. Et, contrairement là encore aux préjugés traditionnels, il faut remarquer que les réformes mises en Å“uvre depuis 2010 ont été, prises une à une, plutôt redistributives. C’est leur nombre et leur ampleur, en soumettant le pays à une austérité sans précédent, qui ont précipité l’effondrement de l’économie et l’explosion corrélative des inégalités.

Les conséquences politiques de ces difficultés sociales critiques sont bien connues, allant de l’effondrement des deux grands partis à l’irruption de pratiques politiques sur fond de racisme, d’antisémitisme, de violences organisées, avec notamment l’apparition au Parlement du parti néonazi d’Aube dorée.

Et force est de constater que la perspective des élections européennes, traditionnellement difficiles pour les partis de gouvernement, puis celle de l’élection du président de la république en février 2015, qui exige la réunion des deux tiers des suffrages au Parlement lorsque le Gouvernement ne dispose aujourd’hui au Parlement que d’une majorité d’une voix, contribuent à assombrir un peu plus cet horizon orageux.

Cet aperçu rapide de la situation grecque peut enfin nous encourager à formuler des réflexions plus générales sur la responsabilité de l’Union européenne dans la gestion des crises des dettes souveraines. Je crois qu’il faut d’abord relever que c’est moins le principe et l’ampleur de l’intervention de la zone euro qui est en cause que son rythme et ses atermoiements.

Le paradoxe est que les réponses des chefs d’État et de gouvernement européens aux soubresauts de la crise financière ont été au départ trop lentes et trop imprécises, entretenant un climat dangereux d’incertitudes et de contagion aux pires moments, alors que les politiques concrètes suggérées par les institutions prêteuses, notamment via la troïka, ont été systématiquement dictées par des considérations mêlant une vision unilatérale de l’économie et l’absence de perspectives politiques constructives.

En conséquence, pendant que les sempiternels « sommets de la dernière chance » entretenaient l’idée folle d’une sortie de la Grèce de l’euro, les programmes d’ajustement, précisément privé de la perspective rassurante d’un accord européen stable, se sont révélés beaucoup trop brutaux et ont très fortement sous-estimé leur impact récessif sur l’économie. Il suffit pour s’en rendre compte de rappeler que le programme initial détaillé en mai 2010 prévoyait une chute de l’activité à l’horizon de 2013 limitée à 3,5°% du PIB (elle a dépassé 23°%,), une contraction de la demande intérieure de 10°% (elle a atteint 21°%) ou une stabilité du chômage (qui a été multiplié par presque trois)€¦

Des erreurs de prévision d’une telle ampleur doivent beaucoup, il est vrai, à la crise européenne et aux faiblesses de l’État grec. Mais elles découlent manifestement avant tout du refus d’observer qu’il existe une contradiction majeure entre la poursuite d’un assainissement budgétaire violent et celle d’un redressement accéléré de la compétitivité. Les experts internationaux ont ainsi systématiquement et spectaculairement sous-estimé l’impact récessif de l’austérité, c’est-à-dire la valeur des multiplicateurs budgétaires, en l’absence d’une demande privée apte à compenser les effets des contractions budgétaires.

En dernier lieu, je pense que l’expérience des pays soumis à un programme d’ajustement structurel a profondément bousculé les attentes et les équilibres démocratiques au sein de l’Union européenne.

La méthode retenue, dans laquelle les engagements des États bénéficiaires de l’assistance européenne sont négociés et évalués par des représentants non élus issus d’organismes aux légitimités contestées a échoué à encourager l’appropriation nationale des programmes et à garantir un contrôle démocratique satisfaisant.

Cette défaillance démocratique majeure résulte d’ailleurs, à de nombreux égards, d’un véritable jeu de dupes. Il semble indéniable que l’existence d’une troïka technocratique a bien souvent fourni aux gouvernements des États bénéficiaire de l’aide européenne comme à leurs partenaires de l’Eurogroupe et du FMI, l’occasion de se défausser de choix difficiles.

Cette situation est dangereuse pour l’Europe toute entière, bouc émissaire paradoxale des populations soumises aux ajustements perçus comme dictés de l’extérieur comme de celles qui estiment payer le prix d’une solidarité que les traités ne prévoyaient pas.

Elle exige une clarification démocratique rapide avec notamment une pleine responsabilité de l’ensemble des acteurs européens de la troïka devant le Parlement européen, notamment dans le cadre du rapport d’enquête sur la troïka mené par Othmar Karas et Liem Hoang Ngoc et débattu en plénière en mars prochain. Elle doit aussi nous encourager à avancer rapidement dans l’édification d’un espace de débats et d’échanges réguliers entre les parlements nationaux, souverains budgétaires et donc responsables ultimes devant les citoyens de la conduite des politiques économiques et financières, par exemple dans le cadre de la Conférence budgétaire à laquelle notre Commission est si profondément attachée.

M. Jacques Myard.

Je veux vous remercier pour la remarquable objectivité du tableau que vous nous avez dressé, même si je regrette que vous n’alliez pas au bout des choses en en tirant les conclusions logiques. En particulier, quels sont les montants exacts des engagements assumés par la France dans le soutien à ce pays ?

Car ces soutiens risquent fort de tomber dans le tonneau des danaïdes. Dès les négociations d’entrée de la Grèce dans la CEE, un ambassadeur de France à Athènes n’avait pas hésité à mettre en garde le président de la République Valéry Giscard d’Estaing en rappelant que la Grèce était €“ et demeure €“ incapable de faire face aux défis qu’impliquait l’adhésion. Le Président aurait répondu que l’on ne fait pas jouer Socrate en deuxième division.

Quelques trente ans plus tard, la situation a été encore aggravée par la zone euro, qui corsette dans un cadre absurde des économies si profondément divergentes que l’économie allemande et les pays en décrochage de compétitivité comme la Grèce, auquel s’ajoutera d’ailleurs bientôt, si l’on n’y prend garde, des États aussi solides que la France. La seule solution qui nous reste pour atténuer ensuite ces écarts croissants, c’est les politiques déflationnistes expérimentées dans les années 30, dont la rapporteure nous montre l’inanité en Grèce comme ailleurs. Cette inquiétude de fonds sur l’avenir de la zone euro me conduit incidemment à dénoncer l’interprétation médiatique proprement manipulatrice dont s’est rendue coupable la presse française au sujet de la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande sur la faculté d’achat illimité de titres souverains sur le marché secondaire que la Banque centrale européenne s’est arrogée au travers des OMT. Je relève en effet, contrairement à ce qui est écrit, que la Cour non seulement met en doute la conformité de ce programme au regard des traités européens, en renvoyant cette question, via un recours préjudiciel, à la CJUE, mais elle affirme clairement que, en outrepassant manifestement ses attributions, la BCE contrevient à la Loi fondamentale elle-même. Mon analyse est qu’elle porte ici un coup fatal à la zone euro.

Mme Estelle Grelier.

Il me semble, en élément de réponse à mon collègue, que l’avenir de la zone euro est mieux assuré qu’il ne le prétend. Je participais ce matin à une réunion avec des investisseurs étrangers, qui relevaient que trois éléments décisifs ont garanti, à leurs yeux, l’attractivité européenne : l’union bancaire et la supervision par la BCE ; l’OMT de la Banque centrale européenne, dont ils remarquaient d’ailleurs qu’il était « sanctuarisé », par la décision de la Cour de Karlsruhe, au moins pendant la durée du recours préjudiciel devant la Cour de Luxembourg, soit au moins 18 mois ; et enfin le maintien de la Grèce dans la zone.

Il n’en demeure pas moins que se pose la question de la soutenabilité des programmes d’ajustement. L’excédent primaire que la Grèce est parvenue à dégager est l’un des plus élevé de l’Union, il faut le rappeler. Mais c’est vrai qu’il nourrit désormais une question essentielle : faut-il le consacrer à la limitation, puis bientôt, je l’espère, à l’allégement de la dette publique ou importe-t-il d’en reverser une partie à ceux qui ont tant soufferts, ce qui pose aussi la question de l’équité des plans d’ajustement ? J’imagine que ces discussions seront vives à Athènes dans les mois qui viennent.

La Présidente Danielle Auroi.

La situation grecque mérite d’autant plus notre attention que sa présidence de l’Union revêt un caractère très symbolique. J’en profite d’ailleurs pour souligner combien ce pays, qui assume des efforts extraordinairement courageux, mérite la considération de tous ces partenaires.

Comme la rapporteure l’a bien indiqué, le défi est de refonder un État grec dans lequel l’Histoire a laissé tant de zones d’ombres et de vulnérabilités. Et refonder un État, cela réclame du temps. Ce temps que lui refusent les redoutables médecins de Molière que sont les acteurs de la troïka, qui risquent fort de tuer leur malade « guéri ». À cet égard, il serait en effet très utile que nous auditionnons à brève échéance les deux rapporteurs du Parlement Européen que vous citiez, MM. Othmar Karas et Liem Hoang Ngoc.

Les acteurs grecs doivent aussi bien sûr prendre leur part des efforts, je pense notamment au geste bien inopportun des parlementaires grecs qui avaient choisi un bien mauvais moment pour discuter récemment d’une augmentation de leur rémunération.

Je souhaiterais conclure sur une note d’optimisme, en relayant de nombreux témoignages recueillis sur un nouveau « frémissement » de l’activité économique en Grèce au terme de six années de cauchemar. Ces notes d’espoir sont indispensables, et notre rôle est de leur donner tout leur écho.

M. Bernard Deflesselles.

Deux aspects m’ont profondément frappé dans la remarquable présentation de la rapporteure.

D’abord, l’ampleur du choc subi par la société grecque est effarant, et l’on en prend parfois mal la mesure ici. Les chiffres et les réalités décrits par la rapporteur sont à cet égard éloquents, et jette une lumière crue sur les aberrations des « potions » à la fois trop amères et surtout beaucoup trop rapides administrées par la troïka.

Ensuite, le choc démocratique est tout aussi inquiétant, dont témoigne le véritable effondrement des deux piliers de la démocratie parlementaire grecque que sont le PASOK et la Nouvelle Démocratie. Il se joue là-bas une terrible partie avec les Extrêmes qui nous interpellent tous.

Cela me conduit à deux questions plus spécifiques. D’abord, quelle appréciation portez-vous sur l’évolution prévisible du climat politique. Ensuite, de quelle manière pouvons aider nos partenaires grecs, sur le plan économique comme sur le plan politique ?

M. Jérôme Lambert.

Il n’y a pas de « problème » ou de « choc » démocratique grec, car les choix du peuple ne doivent jamais être remis en cause. La difficulté, ce n’est pas que les partis contestataires, parfaitement légitimes car élus légitimement, prospèrent. La difficulté réside dans ce qui conduit les citoyens à se détourner des partis traditionnels et à aller vers les solutions que l’on réprouve. Notre rapporteure nous a parfaitement décrit ce qui nous a mené là, et je pense que l’on peut et l’on doit, collectivement, trouver des réponses qui nous gardent de reproduire ailleurs ces erreurs.

Mme Marietta Karamanli.

La principale erreur a en effet résidé dans nos délais de réponse. On a pris trop de temps pour forger les indispensables réponses européennes à une crise qui exigeait à l’inverse, sous la pression quotidienne des marchés, une réactivité de chaque instant. En réagissant trop tard, en entretenant un climat d’incertitude dans les pires moments, un jour sur le maintien de la Grèce, un autre sur le montant réel de la décote sur sa dette€¦ les dirigeants européens ont souvent aggravé la situation. Et ils ont parfois peiné aussi à tirer les leçons de leurs échecs et de leurs difficultés, obérant la rapidité des indispensables changements de cap. L’exemple le plus récent est le refus obstiné de la Commission européenne de reconnaître l’absence de ses erreurs de prévision sur l’impact de l’austérité, à la différence des autres institutions internationales.

Convenons toutefois aussi que des réponses communes, et profondément novatrices par rapport aux traités, ont été trouvées, je pense aux achats de la BCE ou aux instruments européens de solidarité financière. À cet égard, je rappelle que les 240 milliards d’euros d’assistance européenne à la Grèce sont des prêts, qui sont remboursés. C’est d’ailleurs précisément pour les honorer que ce pays dégage aujourd’hui un excédent primaire que bien peu d’autres pays connaissent dans la zone euro. Et je remarque en outre que, contrairement aux trop fréquentes supputations, le Gouvernement grec maintient sa volonté inébranlable d’honorer ses dettes et a clairement affirmé qu’il n’aurait pas besoin d’un nouveau plan d’aide.

Ce qui manque aujourd’hui, c’est avant tout la stabilité qu’apporterait une vision claire, précise et légitime pour l’avenir de l’Union. Ce que nous pouvons apporter de plus précieux aux Grecs, c’est de nous entendre sur une direction commune pour la construction européenne, de manifester clairement notre volonté de renforcer l’intégration et la solidarité. Les efforts qu’ils ont consentis prendraient ainsi un sens différent, et plus ambitieux, puisqu’ils serviraient avant tout à cette communauté de destin en laquelle nous croyons profondément.