Marietta KARAMANLI « Les banques et institutions financières ont des stratégies similaires qui les exposent aux mêmes risques ; il faut pour y remédier une nouvelle réglementation au plan européen »

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Mercredi 19 mai, lors de l’audition de Mme LAGARDE ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, par la commission des affaires européennes je me suis inquiétée, une nouvelle fois, de l’instabilité des marchés financiers, du non respect de certaines règles de prudence par les institutions bancaires et financières qui ont toutes adopté les mêmes stratégies et suivent la « loi » de la liquidité qui vise à acheter ou à vendre rapidement les actifs qui y sont cotés (sans que théoriquement cela ait d’effet majeur sur les prix) et de la diffusion à grande échelle des risques qui y sont associés. J’ai interrogé la ministre de l’économie sur les mesures prises. Force est de constater que les choses ne bougent que lentement ! J’entends relancer régulièrement la ministre sur ce sujet important pour tous.


Commission des affaires européennes, mercredi 19 mai 2010 16 h 15 ; Compte rendu n° 150

Présidence de M. Pierre Lequiller Président de la Commission des affaires européennes et de M. Axel Poniatowski, Président de la Commission des affaires étrangères

Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi
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Mme Marietta Karamanli.

Il est vrai que le temps politique n’est pas le même que le temps des marché financiers : j’espère voir avant ma retraite, le recul de l’âge de départ aidant, la gouvernance économique européenne !

La crise a mis en évidence la nécessité de la régulation financière, afin de lutter contre l’opacité des produits financiers et le comportement grégaire des marchés. Le risque était bien supporté par les banques mais celles-ci, contournant les règles, n’avaient pas respecté les exigences en matière de fonds propres. Le fétichisme de la liquidité et le fait que toutes les grandes institutions bancaires et financières aient suivi des stratégies similaires les ont toutes exposées aux mêmes risques.
Un diagnostic partagé a-t-il été posé ? Des mesures concrètes ont-elles été adoptées sur la régulation lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement et de la réunion du Conseil « Ecofin » ?

Mme Christine Lagarde.

Je vous remercie vivement.
Si les Vingt-Sept l’ont missionné pour faire des propositions visant à améliorer la gouvernance économique de l’Europe, je gage que le président Van Rompuy évoquera également le nécessaire approfondissement du pacte de stabilité et de croissance lors de la réunion du groupe de travail de vendredi. Je précise à ce propos qu’en raison de la crise que nous traversons, il remettra son rapport dès l’automne et non, comme c’était initialement prévu, au mois de décembre.
Je suis quant à moi à l’écoute de vos points de vue et de vos propositions, notamment en ce qui concerne la « concordance des temps » entre les discussions budgétaires et celles concernant le programme de stabilit逦 et de croissance, j’y insiste, car nous devons travailler en particulier sur tous les points susceptibles de rassembler l’ensemble des pays de la zone euro €“ notamment sur la compétitivité, la gouvernance et, bien entendu, la croissance, en l’occurrence, sur un mode « pratico-pratique ». Les objectifs de Lisbonne procédaient de bonnes intentions, mais ils n’ont pas été atteints €“ je pense, en particulier, à la part de budget public-privé consacrée à la recherche, au développement et à l’innovation. Si l’on veut mobiliser les énergies et engager le financement privé de certaines initiatives, la stratégie « Europe 2020 », chère à M. Barroso et structurée à ce stade de façon assez technocratique, doit reposer sur l’identification pragmatique de grandes lignes directrices. La définition de ces points de rassemblement passe peut-être par la détermination d’un adversaire ou d’un concurrent commun€¦
J’ajoute que des propositions intéressantes figurent dans le rapport de Mario Monti qui, avec Felipe Gonzalez, a été chargé par le président de la Commission de trouver des pistes pour l’Europe de 2030 et pour l’approfondissement du marché intérieur.
Mme Guigou a eu raison d’évoquer Eurostat : cet organisme indépendant doit être à même de mesurer effectivement les déficits ou la croissance en travaillant sur place et sur pièces ; ce fut certes le cas à cinq reprises dans les quatre dernières années en Grèce, mais, en ne restant que 24 ou 48 heures €“ laps de temps bien trop bref pour vérifier les informations et la manière dont les statistiques sont élaborées €“, il n’a pu émettre que quelques objections et réserves. Eurostat doit pouvoir réaliser de véritables audits en s’asseyant sur le tiroir caisse !

Mme Guigou a également raison s’agissant de l’harmonie fiscale mais, considérée comme acte ultime de souveraineté nationale, sa mise en Å“uvre ne peut être décidée qu’à l’unanimité des Etats de l’Union européenne. De plus, nous savons fort bien que beaucoup de temps sera nécessaire, par exemple, pour que les Irlandais acceptent de s’engager dans l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, laquelle favoriserait pourtant une véritable convergence. Certains pays rivalisent également de lenteur s’agissant de l’application de la directive sur l’épargne ou de l’échange d’informations. Cela étant, d’un mal peut sortir un bien et sans doute la crise peut-elle être l’occasion de trouver des raccourcis quand d’aucuns empruntaient jusqu’ici des chemins buissonniers pour ne pas arriver à bon port !

Si, madame Karamanli, les avancées sont déjà sensibles en matière de réglementation des marchés financiers €“ ainsi obligation sera faite aux banques de conserver au minimum 5 % des produits structurés qu’elles commercialisent €“, je regrette que le mécanisme européen de supervision bancaire, assurantielle et boursière, incluant la Grande-Bretagne et validé en Conseil « Ecofin », ait été remis sur le métier par le Parlement européen, ce qui renvoie aux calendes grecques son application.

Je me réjouis toutefois que, à la différence de son prédécesseur, notre Commissaire chargé du marché intérieur ait particulièrement à cÅ“ur de faire avancer l’ensemble de ces dossiers.

Nous souhaitons tous le retour de la croissance mais, si les hypothèses formulées sont volontaristes, ambitieuses et audacieuses, nous devons néanmoins nous montrer prudents car elles diffèrent parfois selon qu’elles émanent des Etats, de la Commission, du FMI ou des banques internationales €“ les grandes banques anglo-saxonnes fussent-elles en l’occurrence d’accord avec nous en ce qui concerne 2011 et 2012. J’ajoute que le dialogue à ce sujet est constant au sein de la Commission.

S’agissant de la « mutualisation de la dette », les mécanismes d’étalement ou d’écrêtement me paraissent totalement hors de propos. Les dispositifs d’aide et de soutien mis en place ne fonctionneront que si nul n’abandonne la zone euro, le chemin fût-il rude. Je note d’ailleurs que la dette grecque, qui atteindra bientôt 140 % du PIB, devrait décroître à l’horizon de 2014. D’où les prêts à maturité de cinq ans, mais nous ferons également tout ce qui est en notre pouvoir pour aider ce pays à redresser la barre.

Je me propose, monsieur Dupont-Aignant, de commenter avec vous les politiques budgétaires suivies par le Canada, la Belgique, la Suède ou même l’Argentine, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative ! Quoi qu’il en soit, je gage que le rétablissement de la situation est possible si nous acceptons une discipline collective fondée sur le renforcement des convergences €“ lequel passe par l’amélioration de la compétitivité, par la restauration des grands équilibres des finances publiques et par l’acceptation, par les pays les plus vertueux, d’accomplir une part du chemin. Une volonté politique commune se manifestera-t-elle et les efforts nécessaires seront-ils consentis par ceux qui en ont le plus besoin ? Il en va en tout cas de la fiabilité du modèle européen, à laquelle pour ma part je continue de croire.

Par ailleurs, si je refuse d’entrer dans le débat sur les mérites respectifs de l’euro faible ou fort, j’attends l’appréciation que porteront les grands exportateurs français et allemands sur son niveau actuel. Jusqu’ici, leurs jugements divergeaient en corrélation avec l’écart de compétitivité. Sans doute aurons-nous gagné lorsque leurs points de vue se rapprocheront. J’espère que la situation politique de l’Allemagne permettra d’aller en ce sens.

En ce qui concerne la gouvernance économique, je répète que les procédures d’alerte doivent être renforcées et les sanctions enfin appliquées. En la matière, les propositions formulées par le commissaire Olli Rehn valent pour l’ensemble de l’Union européenne et, de façon superlative, pour l’Eurogroupe.

Si la mise en place d’un fonds monétaire européen ne soulèverait quant à elle pas de difficultés particulières d’un point de vue technique, il n’en irait pas de même sur un plan politique.
J’insiste également sur le fait que, si les parlements nationaux sont souverains pour le vote des budgets, une consultation simultanée de tous les Etats membres serait de bonne politique, dans le cadre d’une nouvelle structure réunissant par exemple les rapporteurs généraux des 16 Etats membres de la zone euro ou, même si la question du leadership ne manquerait pas de se poser, au sein d’un Eurogroupe des chefs d’Etat et de gouvernement €“ et non des ministres des finances €“, sur la base d’un rapport de la Commission ou de la Banque centrale européenne.

L’Allemagne, par ailleurs, n’a pas fait montre de brutalité : nous discuterons vendredi des propositions qu’elle a formulées mais, également, de celles de la Commission, de l’Italie, de la France et de bien d’autres pays. Nous sommes en l’occurrence dans une phase de propositions tous azimuts qui devront, ensuite, être décantées.
En ce qui concerne les établissements bancaires, certains estiment qu’à l’instar du vieux régime applicable aux Etats-Unis, la séparation entre banques commerciales et banques d’investissement serait souhaitable. Outre que cette solution me semble un peu brutale, je ne suis pas certaine qu’elle soit efficace : je rappelle que Lehman Brothers était exclusivement une banque d’investissement €“ qui échappait d’ailleurs au contrôle de la Réserve fédérale américaine €“ tout comme Northern Rock, également à l’origine de la crise, était exclusivement commerciale. La mixité me semble donc de meilleur aloi comme l’attestent les exemples français, canadien ou espagnol. Les intéressantes propositions de Paul Volcker, quant à elles, visent à interdire le proprietary trading €“ les opérations pour compte propre €“ aux établissements financiers de manière à éviter qu’un sinistre qui se produirait à ce niveau-là ne contamine l’ensemble du système €“ le nouveau gouvernement britannique se prépare d’ailleurs à explorer cette voie.