Marietta KARAMANLI « Mes critiques sur le projet d’un droit européen des achats transfrontaliers, notamment sur internet, moins efficace pour les échanges commerciaux et moins protecteur des acheteurs »

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Parmi les derniers dossiers de cette année parlementaire 2011, je souhaite revenir sur un projet de règlement de la commission européenne visant à instaurer, à côté du droit des contrats de chaque Etat, un 28ème droit qui serait optionnel et que les consommateurs pourraient choisir pour réaliser des achats transfrontaliers notamment sur internet, le vendeur et l’acquéreur étant installés dans deux Etats membres différents.
Ce projet, sur lequel la commission des affaires européennes a eu à se prononcer sur mon rapport, présente un ensemble de défauts initiaux qui m’ont conduite à demander à ce que la commission se prononce contre.
D’une part, le projet intervient sans qu’une étude d’impact en est mesuré l’utilité et les effets.
D’autre part, l’option de choisir ce droit ne serait en fait qu’illusoire pour l’acheteur. En effet c’est le vendeur qui proposera que l’achat se fasse selon ce nouveau droit, l’acheteur n’ayant qu’à agréer. Si ce dernier refuse, le premier refusera aussi le principe de la transaction.
De surcroît, le texte apparaît moins protecteur tant des consommateurs que des PME.
Pour ne prendre que deux exemples, il ne retient pas l’interdiction de paiement pendant la période de rétractation pour contrat hors établissement place, c’est-à-dire en cas de démarchage à domicile, interdiction dont le maintien est essentiel pour la France et le texte exclut systématiquement du droit de rétractation les contrats hors établissement portant sur une somme inférieure à 50 euros, alors que la directive 2011/83/CE ne fait qu’ouvrir cette faculté d’exception aux Etats membres qui le souhaiteraient.
De façon parallèle, le projet permet d’écarter les règles actuelles du code de commerce qui fixent les équilibres dans les relations entre des fournisseurs et des clients de taille très diverses.
En fin se pose la question même des dispositions juridiques sur la base desquelles l’Union européenne peut choisir d’intervenir à la place du législateur français. L’article 352 des traités institutifs semble pouvoir servir de base légale . Il donne la possibilité « Si une action de l’Union paraît nécessaire, dans le cadre des politiques définies par les traités, pour atteindre l’un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci n’aient prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, adopte les dispositions appropriées » et que « lorsque les dispositions en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également à l’unanimité, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. ». Néanmoins, comme ceci est exposé, il suppose l’unanimité des Etats membres au Conseil et oblige la commission à appeler l’attention de ceux-ci sur les éventuelles difficultés en matière de subsidiarité.
Toutes ces raisons m’ont amenée, après de les auditions de juristes, d’entreprises, de consommateurs et de représentants ministères français à demander à la commission de refuser ce projet et d’appeler l’attention des parlementaires européens et de la commission européenne sur les raisons circonstanciées de notre refus de faire coexister deux droits des contrats sans garantie supplémentaires pour l’économie et les droits des consommateurs.


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Mon intervention devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale

Commission des affaires européennes, mercredi 7 décembre 2011
17 h 15, Compte rendu n° 231

Présidence de M. Didier Quentin Vice-président

I. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli sur la proposition de la Commission européenne relative à la création d’un droit commun européen de la vente (E 6713)

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Lorsqu’elle a présenté, le 11 octobre dernier, sa proposition de règlement sur le droit commun européen de la vente (DCEV), la Commission européenne a pris une initiative qui suscite l’étonnement.

Ce texte concerne l’ensemble des dispositions relatives à la vente de biens de consommation et de contenus numériques, et de services connexes, dans le cadre transfrontalier, lorsque vendeur et acquéreur sont installés dans deux Etats membres différents. Il vise principalement les ventes par Internet.

Il rouvre donc un débat qui vient à peine de s’achever, puisque la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs qui concerne, entre autres, ce même sujet, vient juste d’être publiée. D’ailleurs, la Commission des affaires européennes avait déjà envisagé, lors du dernier rapport sur le projet correspondant, en février dernier, pour la rejeter, cette hypothèse d’un droit contractuel optionnel.

Ce débat, la Commission européenne y revient dans des conditions qui ne sont pas les meilleures.

D’abord, la proposition de règlement concerne, parmi d’autres, les questions relatives aux garanties et aux clauses abusives. Or ce sont des sujets qu’il a fallu expressément disjoindre de la proposition de directive relative aux droits des consommateurs pour obtenir un accord politique.
Et ce ne sont pas les questions nouvelles, telles que les contenus numériques ou les transactions commerciales entre entreprises et impliquant les PME, qui peuvent donner une justification suffisante à un texte aussi général que celui qui est proposé.
Ensuite, il n’y pas eu d’étude d’impact officielle.
De plus, le texte proposé suscite bien des oppositions de la part de ceux qu’il concerne, notamment des organismes représentant les consommateurs et de ceux représentant les PME, à savoir le BEUC et l’UEAPME au niveau européen.
Businesseurope n’est pas non plus convaincu.
Les notaires sont également opposés à ce projet.
De même, il y a déjà de fortes réticences de la part de certains Etats membres, même si elles ne sont pas encore toutes exprimées, car les travaux en vue du Conseil commencent à peine et la Commission européenne ne peut qu’en tenir compte, en dépit il est vrai du vote en faveur d’un tel projet de la part du Parlement européen, en mars dernier.

Cette proposition de règlement est porteuse d’une très grande ambition, avec son dispositif assez léger mais sa volumineuse annexe 1 et ses 186 articles. Cette dernière couvre l’ensemble de la question, allant des principes généraux de la liberté contractuelle jusqu’aux prescriptions.

Le mécanisme juridique prévu pour sa mise en Å“uvre n’est pas non plus celui du droit européen commun, du 28e droit, mais celui, plus exigeant, d’une insertion en bloc dans le droit de chaque Etat membre, dans le cadre d’un « second régime » de droit contractuel coexistant avec les règles actuelles, qui seraient ainsi celles du « premier régime ».
Ce second régime est régi par le principe d’autonomie, ce qui explique qu’il soit aussi complet.

Enfin, même si le dispositif est présenté comme facultatif et destiné aux transactions transfrontières, l’objectif à terme n’est pas de s’arrêter à un tel stade.

D’abord, le caractère facultatif ne vaut réellement que pour le professionnel qui vend à un consommateur ou à une autre entreprise. Une fois que celui-ci a opté, l’acheteur n’a de fait que le choix entre soit acquérir le bien ou le contenu numérique sous le régime du DCEV, soit renoncer à l’achat. En effet, le dispositif prévoit le consentement du client au DCEV mais ne prévoit pas l’application du droit habituel en cas de refus de sa part.

Ensuite, la proposition de règlement donne aux Etats membres la faculté d’une extension du DCEV à leurs transactions internes, de même qu’à l’ensemble des transactions entre entreprises.

Il y a donc clairement une invitation à entrer dans une démarche où le DCEV remplacerait le droit national.

Eu égard à ces objectifs, les défauts de la proposition de règlement n’en apparaissent que plus dirimants.

Le premier d’entre eux tient à la base juridique choisie par la Commission européenne.

Le texte est en effet indiqué comme fondé sur l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à l’harmonisation et au rapprochement des législations pour la réalisation du marché intérieur, ce qui présenterait, du point de vue de la Commission européenne, l’avantage de la codécision avec majorité qualifiée au Conseil.

Or, le second régime national autonome n’harmonise ni ne rapproche, mais il crée au contraire de la diversité juridique. Ce n’est donc pas cet article que l’on peut invoquer comme base juridique du texte, comme l’a aussi considéré le Bundestag allemand.

C’est au contraire l’article 352 du traité qui peut constituer la base juridique du texte, puisqu’il reconnaît à l’Union européenne une compétence supplétive pour les actions nécessaires à l’un des objectifs du traité, sans que celui-ci n’ait prévu les pouvoirs d’action correspondants.

Du point de vue de la Commission européenne, deux difficultés majeures s’élèvent alors. D’abord, l’unanimité du Conseil est exigée, ce qui donne à tout Etat membre un pouvoir de veto. Ensuite, lorsqu’elle recourt à cet article, la Commission européenne doit toujours attirer l’attention des parlements nationaux dans le cadre de la procédure de contrôle du principe de subsidiarité.

Effectivement, la question de la subsidiarité et de la proportionnalité mérite très clairement d’être examinée sur ce texte, même si, contrairement à la Chambre des communes du Royaume-Uni, au Bundestag allemand et au Conseil fédéral autrichien, ce n’est pas pour conclure à l’adoption d’un avis motivé.

En effet, les difficultés de subsidiarité et de proportionnalité ont su être évitées, d’autant que les questions de fond n’ont pas été tranchées par la Cour.

 La première d’entre elles, sur l’utilité du DCEV et le bien fondé de l’intervention européenne, est de savoir si l’Union européenne peut proposer un tel droit supplétif, qui n’a pas vocation, au moins dans un premier temps, à concerner l’ensemble des acteurs économiques, mais une partie d’entre eux.

Sur ce point, face à l’argument selon lequel les entreprises, et les consommateurs, ne sont pas, pour une part appréciable, demandeurs d’un tel droit de la transaction transfrontière, on constate que la Commission européenne indique ne viser qu’une partie des entreprises, et non toutes, et qu’il s’agit d’un droit optionnel. En outre, les transactions transfrontières relèvent, en principe, de l’Union européenne, puisqu’il s’agit du marché intérieur.

 La deuxième question, qui touche à la proportionnalité et concerne l’étendue du DCEV, concerne les exigences du fonctionnement autonome d’un second régime national tel que celui proposé. Le champ couvert par le DCEV est très large, mais un considérant précise aussi qu’il y a application du seul droit national existant pour le cÅ“ur du droit civil, notamment la personnalité juridique et l’incapacité, ainsi, d’ailleurs, que pour la question linguistique.

Dans ces circonstances, plutôt que de s’engager dans un débat difficile et des échanges d’habiletés, il est plus efficace d’indiquer d’emblée les éléments de fond qui conduisent à recommander le rejet de la proposition de règlement.

Le premier d’entre eux est un manque de sécurité juridique sur l’articulation avec le règlement Rome I, avec lequel il apparaît rester des « angles morts », de même qu’avec certaines dispositions de droit national.

Le deuxième tient à un recul de la protection du consommateur ou de la PME par rapport au droit existant. Ainsi, on peut dire que s’il n’apporte pas de protection supplémentaire, le DCEV est redondant et inutile, et que s’il est en retrait par rapport au niveau de protection existant, il est préjudiciable.

De manière inhérente au mécanisme du second régime, qui fonctionne de manière autonome par rapport aux règles de droit national, à coté d’elles, mais sans les affecter ni impliquer leur modification, contrairement à une directive, on constate ainsi une mise à l’écart, d’une part, de certaines dispositions du code civil et, d’autre part, des dispositions d’ordre public du droit national, de la consommation et, plus largement, des transactions commerciales. En effet, le mécanisme du second régime national est exclusif du point 2 de l’article 6 du règlement (CE) no 593/2008 « Rome I », qui interdit le choix de la loi lorsque ce choix ferait échec à des dispositions d’ordre public protectrices pour le consommateur.

En outre, par rapport au droit européen, le DCEV entraîne deux régressions : d’abord, vis-à-vis de la directive 2011/83/UE qui vient d’être publiée, car il revient notamment sur l’interdiction de paiement pendant la période de rétractation en cas de vente hors établissements commerciaux, alors que c’est un mécanisme essentiel, pour la France ; ensuite, vis-à-vis du règlement communautaire (CE) no 2006/2004 du 27 octobre 2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs, pour les infractions intracommunautaires.

Par ailleurs, le DCEV est dommageable pour les PME, car dans un domaine qui n’est pas harmonisé au niveau européen, celui des transactions commerciales entre entreprises, il est de nature à bouleverser les équilibres nationaux actuels, notamment les dispositions qui permettent de réguler les relations entre entreprises de poids très différents.

Dans l’ensemble, ces reculs du niveau de protection créent un risque de dumping juridique, avec transfert d’une entreprise dans un autre Etat membre pour faire passer la clientèle sous le régime du DCEV, hors de la protection du droit national.

 Enfin, et c’est le dernier point, le DCEV ne peut que se heurter à d’importantes difficultés d’application tant en raison de la confusion qu’il ne manquera pas d’engendrer dans un même Etat, avec deux corps de règles, à la fois voisins et différents, applicables à des problèmes identiques, qu’en raison des divergences d’interprétation et de jurisprudence qui ne manqueront pas d’intervenir entre les différents Etats membres.

La Commission européenne est d’ailleurs consciente de ce problème car elle propose une base de recueil des décisions de justice définitives, mais en raison tant des difficultés de traduction que d’interprétation de décisions intervenues dans un contexte et une tradition juridiques différents, l’efficacité de cette solution peut être mise en doute.

Dans ces circonstances, il convient de conclure nettement au rejet de la proposition de règlement, tout en réservant la possibilité, eu égard à l’important travail qui a été fait et à son utilité pour une convergence à long terme des Etats européens, de conserver, sous réserve d’un examen politique et technique, le DCEV comme une « boîte à outils » à la disposition des Etats membres comme du législateur communautaire et, pour ce qui concerne les contenus numériques, comme base de travail pour un éventuel texte sectoriel.

M. Jacques Desallangre.

Je crains que la formule de la « boite à outils » proposée ne crée une instabilité juridique. Quelles est son utilité ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Ce projet est soutenu par certains pays membres, nouveaux accédants, qui souhaitent renforcer leur droit. La boite à outils pourrait être intéressante pour eux sans pour autant se substituer aux droits nationaux. Mais ce n’est pas ce qui est proposé par la Commission européenne. En aucun cas nous ne pouvons accepter d’avoir concomitamment deux corps de règles sur le même territoire.

M. Michel Diefenbacher.

Je suis surpris que la Commission européenne ait pu présenter un texte aussi peu abouti dont les lacunes ont été énumérées par la rapporteure. Il est donc logique de proposer le rejet de ce texte. Par ailleurs, je ne vois pas trop ce que pourrait être une « boite à outils » et comment nous pourrions nous passer de supports législatifs pour mettre en Å“uvre les dispositions proposées.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le rejet, mais il y a aussi possibilité d’une porte de sortie pour la Commission européenne. Par ailleurs, je suis inquiète sur le fond de sa position qui ne prend pas ainsi en compte les positions des gouvernements et des parlements telles qu’elles ont été récemment exprimées.

M. Michel Diefenbacher.

Je m’interroge sur la nécessité de maintenir tant de souplesse.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Je crois que le rejet est clairement affirmé même si nous ne nous opposons pas à la création d’une « boite à outils ». Je constate bien qu’il existe une large unanimité chez tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés pour s’opposer à ce texte.

Puis la Commission a adopté à l’unanimité les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente (COM [2011] 635 final/no E 6713),

Constatant que son objet, qui est de créer un droit commun européen de la vente (DCEV) sous la forme d’un second régime de droit contractuel au sein du droit national de chaque Etat membre conduit à rouvrir des débats importants et difficiles qui viennent à peine d’être clos avec l’adoption très récente de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs,

Constatant que la teneur de ce DCEV suscite des réserves de la part d’organisations représentant tant les consommateurs, que les entreprises et les professionnels,

Constatant que ce droit, tel qu’il est proposé, n’est réellement facultatif que pour le fournisseur et qu’il ne laisse pas de véritable choix à l’acquéreur, sauf s’il renonce à son achat, en ne prévoyant pas que son refus du DCEV conduit automatiquement à appliquer le droit national habituel,

Constatant que des clauses d’extension très large lui donnent vocation à ne pas s’appliquer aux seules transactions transfrontalières et à celles dont le client est soit un consommateur, soit une PME, mais permettent de l’appliquer à toutes les transactions internes pour les Etats membres qui le souhaitent comme à toutes les transactions entre les entreprises,

Considérant ensuite que cette proposition ne peut être fondée sur l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais sur son article 352 et constatant alors que son adoption doit alors intervenir à l’unanimité des membres du Conseil, et non plus à la majorité qualifiée,

Considérant également que les difficultés de subsidiarité et de proportionnalité ont su être évitées,

Considérant aussi que la technique précitée du second régime de droit contractuel au sein du droit national de chaque Etat membre conduit à des incertitudes sources d’insécurité juridique quant à son articulation avec les autres corps de règles de droit et conduit également à des reculs dans le niveau de protection des consommateurs de même que des PME, dans leurs transactions avec leurs fournisseurs, en ce qu’elle conduit notamment à écarter, pour le champ couvert par ses dispositions, les règlements Rome I et Rome II, et par conséquent l’application de dispositions d’ordre public du droit national,

Constatant enfin qu’elle conduit pour le surplus à des redondances peu utiles avec d’autres dispositions du droit de l’Union européenne,

1. Juge que la proposition de règlement précitée ne peut être que rejetée,

2. Estime néanmoins que, sous réserve d’un examen détaillé de nature politique et technique, les dispositions qu’elle propose pour le DCEV peuvent servir de base à une « boite à outils » à la disposition des Etats membres comme du législateur communautaire, et pour ce qui concerne les contenus numériques, comme base de travail à une éventuelle initiative législative sectorielle. »