Marietta KARAMANLI « Plates formes numériques, de Google à Uber, la nécessité d’une réglementation équilibrée pour concilier l’innovation et les droits des citoyens, des salariés et des consommateurs »

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Le 7 février 2017, j’ai présenté devant la Commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale une communication sur le marché unique numérique. Cette communication avait pour objet de faire le point sur plusieurs questions relatives au Numérique et notamment les plateformes.
Selon le conseil national du Numérique « une plate-forme est un service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers. Au-delà de sa seule interface technique, elle organise et hiérarchise les contenus en vue de leur présentation et leur mise en relation aux utilisateurs finaux. »
Pour ne prendre que ces exemples, Google, Apple, Facebook, Airbnb et Uber, sont des plates formes.
Comme je l’ai indiqué celles-ci cristallisent les grands enjeux du marché unique numérique : elles mettent en lumière de nouvelles relations économiques (entre clients et fournisseurs, entre partenaires commerciaux, entre employeur et travailleur), aux enjeux variables selon leur taille et leur pouvoir de marché. Elles collectent des informations et peuvent s’immiscer dans la vie des personnes.
J’ai donc fait un point détaillé des textes actuellement en examen par l’Union Européenne et visant à réguler ou réglementer ce secteur.
J’ai précisé les grands sujets.
Il y a un enjeu en matière de responsabilité des plateformes à l’égard du contenu mis en ligne, et notamment les contenus préjudiciables comportant une incitation à la haine ou au terrorisme. Ainsi la Commission européenne a abordé le problème grâce à une réglementation sectorielle dans le cadre de la modification de la directive « Services de médias audiovisuels ».
Sur les sujets relatifs au droit d’auteur, une réforme de la législation afférente est là aussi en cours et a été examinée par la Commission des Affaires européennes dans un de mes précédents rapports.
Concernant la protection du consommateur, et au vu de la variété des profils proposant la fourniture de services, la Commission recommande une approche équilibrée, selon une logique d’indices et de seuils. Les dimensions importantes dans ce champ sont celles de la fiabilité des informations et des avis en ligne, et de la portabilité et l’interopérabilité des contenus.
Les pays sont encouragés à concilier de la façon la plus efficace une protection réelle du consommateur et des obligations proportionnées en matière d’information et de de charges administratives pour les acteurs, notamment non professionnels, des secteurs. Le recours à des processus d’autocertification, tels que des labels de qualité, est cité comme l’un des moyens d’accroitre la confiance des consommateurs.
En conclusion, j’ai indiqué deux points de vigilance :

 le modèle économique, tant du côté des plates-formes visant à optimiser du temps tout en proposant une optimisation (ex Google) que de celles offrant une interface entre demandes et services (ex Uber) et de la nécessaire régulation de leurs activités pour maintenir des services d’un autre type ou lutter contre le monopole qu’elles constituent ;

 la propriété des données collectées, le droit pour les personnes d’y consentir, d’y accéder, de les récupérer et de les « faire » oublier…
Au final ce sujet est un sujet important, à suivre et pour lequel l’Assemblée Nationale devra poursuivre ses investigations, faire des recommandations et mobiliser les autres parlements nationaux dans la perspective de peser sur les orientations à mettre en oeuvre dans l’Union.
Marietta KARAMANLI


II. Communication de Mme Marietta Karamanli sur le marché unique numérique
Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

La stratégie pour un marché unique du numérique est l’une des grandes priorités affirmées par le Président Juncker au début de son mandat, et a donné lieu à de multiples initiatives législatives depuis 2014.
Celles-ci visent à mettre en œuvre les conditions d’établissement d’un marché favorable à des échanges fluides et à l’innovation qu’entraine le développement du numérique, et également à assurer que les droits des consommateurs, des travailleurs et des citoyens européens soient bien garantis.
Ce double enjeu est particulièrement important au regard de l’apparition de nouveaux acteurs tels que les plateformes, sur lesquelles nous avons plus spécifiquement concentré notre attention. En cette fin de législature nationale, il apparaissait en effet nécessaire de faire un premier bilan des efforts engagés pour la réalisation d’un marché unique numérique, et pour la circonscription des nouvelles problématiques attachées aux plateformes numériques.
La communication relative à la stratégie pour le marché unique du numérique en Europe publiée le 6 mai 2015 a permis de dégager trois axes de travail. La Commission proposait :

 d’améliorer l’accès des consommateurs et des entreprises aux biens et services numériques,

 de mettre en place un environnement propice et des conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et services numériques,

 et de maximiser le potentiel de croissance de l’économie numérique européenne.
La communication de la Commission « Améliorer le marché unique » du 28 octobre 2015 a ensuite complété certaines des initiatives présentées dans le cadre de la stratégie pour le marché unique numérique, avec des lignes directrices sur l’application du droit de l’Union à l’économie collaborative, une proposition de soutien aux start-ups innovantes, la perspective d’une lutte contre le blocage géographique entre autres projets.
Depuis la fin de l’année 2015, ce sont près des deux tiers des initiatives envisagées dans le cadre de la stratégie pour le marché unique numérique qui ont été présentées par la Commission et sont pour la plupart en cours d’examen.
Il serait fastidieux de les citer toutes, mais on peut rappeler pour le droit d’auteur la proposition de règlement visant à assurer la portabilité transfrontière des services de contenus en ligne et la communication « Vers un cadre moderne et plus européen pour le droit d’auteur » du 9 décembre 2015, ou la révision de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur du 14 septembre 2016.
Un précédent rapport de votre rapporteure et de Monsieur Hervé Gaymard était déjà revenu sur ce sujet. D’autres actions de la Commission portaient sur la libre circulation des données et la mise en place d’un cloud (ou utilisation d’un réseau pour calculer et stocker) européen, la révision du paquet télécom ou la révision de la directive sur les services de média audiovisuels.
Nous avons choisi pour ce travail d’information de nous pencher plus particulièrement sur les plateformes numériques pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, elles représentent un nouvel objet de réflexion pour les institutions européennes : pour proposer ses orientations, la Commission a réalisé un important travail de consultation et de recherche qui doit être souligné. Il s’agit notamment d’une étude économique des plateformes en ligne effectuée par le Centre commun de recherche de la Commission, de deux études Eurobaromètre sur l’impact des plateformes en ligne, d’une audition sur les plateformes en ligne organisée par le Centre européen de stratégie politique ainsi que des conclusions de nombreux échanges avec des universitaires et parties prenantes, qui ont servi à l’élaboration du document de travail des services de la Commission accompagnant la présente communication.
Ensuite, les plateformes numériques cristallisent les grands enjeux du marché unique numérique : elles mettent en lumière de nouvelles relations économiques (entre clients et fournisseurs, entre partenaires commerciaux, entre employeur et travailleur), aux enjeux variables selon leur taille et leur pouvoir de marché. Leur responsabilité, en tant que diffuseur de contenu, dans le respect des droits de propriété intellectuelle et dans la protection des droits des citoyens et notamment des mineurs est un autre grand sujet.
Je vois deux enjeux importants.
Elles sont au coeur des interactions entre acteurs dans la production et la diffusion de biens et de services, qu’ils soient audiovisuels et automatisent les relations entre les parties prenantes de l’entreprise (fournisseurs, clients, salariés, etc.). A ce double titre elles changent une partie de la donne économique.
Les plateformes peuvent constituer aussi un moyen de « privatisation » (au sens d’une prise de contrôle par des grandes entreprises privées) sur un nombre significatif de services et ce hors de toute régulation.
Comme le dit Evgeny Morozov, chercheur et spécialiste du numérique « Ces technologies permettent très facilement de tout gérer, les objets et les personnes, comme des produits qui s’échangent sur un marché ».
Elles collectent des informations et peuvent s’immiscer dans la vie des personnes.
La Commission déroule ainsi un certain nombre d’objectifs dont l’achèvement passe par de grandes orientations transversales contenues dans la communication elle-même, ou par des règlementations plus sectorielles exposées dans des initiatives plus spécifiques.
L’objectif d’un meilleur accès au marché pour une concurrence équitable devrait être atteint grâce au réexamen de la réglementation des télécommunications de l’Union et au réexamen de la directive relative à la vie privée et aux communications électroniques. La Commission cherche à offrir des règles similaires pour des services semblables en dérégulant en partie le secteur des télécommunications, et en proposant également des règles spécifiques applicables aux acteurs qui y échappent encore (notamment les acteurs dits « over the top »). On qualifie de services « over the top », ceux dont le mode de distribution passe « au-dessus » des règles, y compris contractuelles habituelles. Il s’agit par exemple de distribuer des contenus audiovisuels via le net sans autre acte et / ou plus-value que l’acheminement des données.
Cette situation vise entre autres les géants de l’internet qui utilisent le cas échéant, leur force en s’affranchissant des règlements nationaux et des règles contractuelles « classiques ».
Concernant l’objectif d’une meilleure responsabilité des plateformes à l’égard du contenu mis en ligne, et notamment les contenus préjudiciables comportant une incitation à la haine ou au terrorisme, la Commission a abordé le problème grâce à une réglementation sectorielle dans le cadre de la modification de la directive « Services de médias audiovisuels ».
Sur les sujets relatifs au droit d’auteur, une réforme de la législation afférente est là aussi en cours et a été examinée par la Commission des Affaires européennes dans un précédent rapport de votre rapporteure et du député Hervé Gaymard .
Concernant la protection du consommateur, et au vu de la variété des profils proposant la fourniture de services, la Commission recommande une approche équilibrée, selon une logique d’indices et de seuils.
Les dimensions importantes dans ce champ sont celles de la fiabilité des informations et des avis en ligne, et de la portabilité et l’interopérabilité des contenus. Les pays sont encouragés à concilier de la façon la plus efficace une protection réelle du consommateur et des obligations proportionnées en matière d’information et de de charges administratives pour les acteurs, notamment non professionnels, des secteurs. Le recours à des processus d’autocertification, tels que des labels de qualité, est cité comme l’un des moyens d’accroitre la confiance des consommateurs.
D’autres sujets entourant les plateformes restent à examiner, qu’il s’agisse des relations entre les plateformes et leurs partenaires commerciaux, qui font actuellement l’objet d’une consultation, ou de la portabilité des données, qui vient d’être abordée le 10 janvier 2017 par une communication de la Commission sur l’économie des données. Pour les relations entre les plateformes et leurs partenaires commerciaux, aussi appelées relations « b to b », il s’agit par exemple pour la Commission d’examiner les potentiels abus de position dominante exercés par certaines plateformes majeures. Ce futur travail permettra de mettre en lumière les problèmes que peuvent rencontrer les partenaires des plateformes dans leurs relations commerciales.
Comme vous le voyez, l’activité de la Commission dans le domaine du numérique est soutenue, et les textes sont nombreux.
Il faut se féliciter de son intérêt pour un secteur dont les recettes ont pu générer près de trente milliards d’euros en 2015.
Sur les plateformes, tout l’enjeu est donc de concilier l’incitation à l’innovation, qui passe par un marché fluide et la limitation des barrières règlementaires nationales, et l’obligation de respecter des principes de responsabilité ainsi que de ne pas abuser d’une position dominante pour les plateformes les plus importantes.
La Commission a choisi d’éviter une approche trop horizontale, en énonçant de grandes orientations, mais surtout en révisant les législations sectorielles pour intégrer ces nouveaux acteurs. Cette approche nous apparait équilibrée, mais il conviendra de suivre sa mise en œuvre afin de s’assurer que les situations problématiques concrètes nées avec les plateformes trouvent des moyens de résolution suffisants.
Néanmoins deux points de vigilance émergent :

 le modèle économique, tant du côté des plates-formes visant à optimiser du temps tout en proposant une optimisation (ex Google) que de celles offrant une interface entre demandes et services (ex Uber) et de la nécessaire régulation de leurs activités pour maintenir des services d’un autre type ou lutter contre le monopole qu’elles constituent ;

 la propriété des données collectées, le droit pour les personnes d’y consentir, d’y accéder, de les récupérer et de les « faire » oublier
La convergence des questions économiques, avec de forts enjeux de croissance à la clé, et des préoccupations en matière de droits des citoyens, doit conduire la Commission des Affaires européennes à rester particulièrement attentive à l’avenir aux prochains développements du marché unique numérique.

M. Bruno Gollnisch.

J’aurais deux brèves questions. Tout d’abord, pourriez-vous préciser les contours exacts de la notion de plateformes ? Et selon vous, au regard du principe de subsidiarité, quel devrait être le critère de partage entre la compétence de l’Union européenne et les compétences nationales ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Sur les contours du concept de plateformes, on entend par là des espaces qui mettent en relation des services et des personnes, dont la forme doit être régie par des règles. Cela peut concerner de l’activité économique privée, des commerces, et ce qui manque à ce jour, c’est un cadre suffisant de régulation et de protection des données. Sur la question de la subsidiarité, la Commission est tout à fait en droit d’intervenir dans ce domaine, il ne s’agit pas d’un domaine réservé aux États. Il faudra toutefois évidemment réfléchir plus avant à la conciliation de l’action des pays et de l’Union européenne. Nous devons avoir des règles de droit européennes pour faire face à d’autres systèmes de régulation, qui se constituent par exemple outre-atlantique et ne reflètent pas forcément les préoccupations européennes.

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