Marietta KARAMANLI « Un rapport et une résolution en faveur d’un parquet européen qui protège l’Union Européenne et les personnes de la criminalité la plus grave « 

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Le 29 juin dernier la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a, sur la base d’un rapport dont je suis co-auteure avec M Guy GEOFFROY, député , adopté une résolution tendant à la création d’un parquet européen. En quoi consiste celui-ci ? Il s’agit de créer un parquet (organe juridictionnel) compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer ensuite en jugement devant les juridictions nationales concernées les auteurs et complices d’infractions mettant en cause les intérêts financiers de l’Union (et comme cela est suggéré dans notre rapport) celles relatives à la criminalité grave transnationale ( par exemple la traite des individus, les trafics de drogues€¦). Ce parquet protègerait l’Union, les citoyens européens mais aussi toutes les personnes victimes de graves trafics. Ce parquet ne serait pas l’organe de coordination la politique de l’Union en matière de justice et de contrôle d’Europol (1) et d’Eurojust (2), poste dont la création avait été aussi envisagée. En un mot le parquet européen consisterait en une organisation de magistrats chargés de la mission générale de veiller à l’application de la loi au nom du respect des intérêts de l’Union et de ses ressortissants. L’idée de création est déjà ancienne. Elle a pour origine le constat opéré que les organisations actuelles de l’Union sont insuffisantes. Il y aurait donc pour une réelle plus-value à la mise en place de cette organisation. Il est souvent difficile voire impossible de distinguer la fraude organisée des autres grandes activités criminelles organisées. Ce plus n’empêche pas les différents Etats d’avoir une position variée tant sur le fond que parfois dans le temps sur cette possible création. Le principe de cette création a été posé par le traité de Lisbonne même s’il continue d’être discuté car derrière le principe sont posée la question de ses modalités de mise en Å“uvre : son statut, ses actes et son contrôle. Ainsi il faudra dire après sa possible création, s’il est un personnage unique ou une institution collégiale comme le rapport en émet la préférence, s’il implique que son intervention est subordonnée à une harmonisation ou à un rapprochement plus limité des normes pénales à mettre en Å“uvre dans chaque Etat comme le rapport en demande la discussion, si les actes de ce parquet sont soumis à un contrôle national ou à un contrôle européen comme le rapport en fait la préconisation et ce afin de garantir l’égalité des poursuites et maintenir l’efficacité de celles-ci. Autant de points de discussion que la problématique du parquet européen met à jour. Autrement dit derrière la question du pour quoi, est posée la question du comment. Derrière le principe de l’institution est posée la question du faire. Une première étape est néanmoins franchie avec ce rapport et cette résolution.

(1) L’adoption de la convention Europol le 26 juillet 1995 (qui entrera en vigueur en juillet 1999) est un autre point clé de la coopération policière. Europol reçoit de la part des Etats membres les informations policières pour les infractions entrant dans son champ de compétence. Europol a pour objectif d’améliorer l’efficacité des services compétents des Etats membres et leur coopération en ce qui concerne la prévention et la lutte contre le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants et d’autres formes graves de la criminalité internationale).
(2) Eurojust a été créé par la décision du Conseil n° 2002/187/JAI du 28 février 2002 afin de renforcer la lutte contre les formes graves de la criminalité organisée. Eurojust est un organe de l’Union européenne doté de la personnalité juridique qui agit en tant que collège ou par l’intermédiaire des membres nationaux intervient dans le cadre d’enquêtes et de poursuites concernant au moins deux Etats membres afin de promouvoir et améliorer la coordination entre les autorités compétentes des Etats membres et de les soutenir.

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Le texte intégral de la présentation en commission

Commission des affaires européennes, mercredi 29 juin 2011
16 h 15, Compte rendu n° 215, Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Examen du rapport d’information de M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur le Parquet européen
Mercredi 29 juin 2011 à 16 h 15
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 15

I. Examen du rapport d’information de M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur le Parquet européen

Mme Mariette Karamanli, co-rapporteure.

Je tiens tout d’abord à souligner le grand plaisir que j’ai eu à travailler avec Guy Geoffroy. La création d’un Parquet européen est une question importante, à la fois pour les rapporteurs, mais aussi pour notre commission. Nous soutenons l’institution d’un parquet compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer ensuite en jugement devant les juridictions nationales concernées les auteurs et les complices d’infractions mettant en cause les intérêts financiers de l’Union ou plutôt, comme nous le suggérons, celles relatives à la criminalité grave transnationale. Ce parquet aurait vocation à protéger l’Union mais aussi les citoyens européens ainsi que toute personne victime de trafics graves au plan européen.

Ce parquet ne serait pas un organe de coordination de la politique de l’Union en matière de justice ni de contrôle d’Europol et d’Eurojust. Il s’agirait bien d’un parquet institué au niveau européen, composé de magistrats, et chargé de veiller à l’application de la loi, dans l’intérêt de l’Union et de ses ressortissants.

L’idée de la création d’un parquet européen est déjà ancienne, rapportée au temps de l’Union européenne.

Elle a pour origine le constat opéré que les modes de coopération actuels au sein de l’Union sont insuffisants. Eurojust et Europol restent sectorisés, ont des pouvoirs limités et l’OLAF a un champ de compétences circonscrit.

Il y a donc selon nous une réelle plus-value à la mise en place du parquet européen.

D’une manière générale, et, au cas par cas, il est souvent difficile voire impossible de distinguer la fraude organisée des autres grandes activités criminelles organisées. La plus-value du parquet européen serait majeure dans la lutte contre la criminalité grave transnationale, mais cette plus-value significative n’empêche pas les différents Etats membres d’avoir des positions très différenciées sur le fond et parfois dans le temps, avec des traditions juridiques et des approches de l’exercice de la souveraineté nationale parfois éloignées.

Au final, et avant de céder la parole au co-rapporteur, je souhaite rappeler que le principe de cette création est déjà posé par le traité de Lisbonne, même s’il continue d’être discuté, et qu’il n’épuise pas les modalités de la mise en Å“uvre du parquet européen. Sont posées notamment les questions de son statut, de ses actes et de son contrôle juridictionnel. Répondre positivement à la question de savoir s’il faut créer un parquet européen amène à se poser la deuxième question, tout aussi redoutable, de comment instituer ce parquet. Serait-il composé d’un unique procureur ou, comme nous le préférons, une institution collégiale ? Faut-il conditionner son intervention à une harmonisation ou à un rapprochement plus limité des normes pénales à mettre en Å“uvre dans chaque Etat membre ? Faut-il mettre en Å“uvre un contrôle national ou européen de ses actes, ceci afin de garantir l’égalité et d’assurer l’efficacité des poursuites ? Autant de points de discussion que la problématique du parquet européen met à jour.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur. Je tiens également à remercier ma collègue Marietta Karamanli pour notre travail en commun. Ce travail repose sur une démarche entreprise dès 2003 par la Délégation pour l’Union européenne et la Commission des lois et notre Assemblée nationale. Nous avons déjà évoqué ici les progrès à effectuer sur la voie de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, bien conscients de la difficulté de la matière pénale au vu de la sensibilité très forte, et à juste titre, des Etats membres. L’idée de l’espace judiciaire européen a été conceptualisée par Valéry Giscard d’Estaing dès 1977. Il nous faut maintenant trouver les moyens d’harmoniser davantage nos législations pour faire avancer la justice pénale. Des progrès ont été réalisés, dont certains avaient pu paraître inimaginables. Je pense notamment au mandat d’arrêt européen, que nous avions soutenu en son temps, et qui s’est avéré être un vrai succès de la coopération judiciaire pénale entre les Etats membres.

Il y a huit ans, suite à la publication du Livre vert de la Commission européenne de 2001, qui proposait la création ex nihilo d’un procureur européen compétent pour poursuivre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne, la Délégation ayant donné un avis favorable, j’avais proposé que l’on aille plus loin, sans dénier à la protection des intérêts financiers de l’Union toute son importance. Mais la grande criminalité au niveau européen constitue bien la grande atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. J’avais été très satisfait à l’époque de constater que nous avions été soutenus par le gouvernement français et que la France et l’Allemagne avaient conjointement poussé à inscrire dans le traité de Lisbonne la possibilité de créer un parquet européen.
En son article 86 TFUE, le traité de Lisbonne permet la création d’un parquet européen à partir d’Eurojust, comme nous le préconisions, qui pourrait, en l’application du paragraphe 4, voir ses compétences étendues à la criminalité grave transnationale. Ce sujet est suffisamment important pour que notre Président Pierre Lequiller ait suggéré au Président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, qui a accédé à sa demande, de solliciter le Gouvernement afin qu’il puisse saisir le Conseil d’Etat pour recueillir son opinion sur la problématique du parquet européen. Nous avons bien sûr lu avec intérêt l’étude du Conseil d’Etat et avons mené un dialogue fécond avec celui-ci. Nous sommes ressortis de nos auditions renforcés dans l’idée qu’il ne faut pas renoncer à notre ambition mais, au contraire, en nous appuyant sur l’article 86 TFUE, lui donner une impulsion nouvelle.
Au cours de nos déplacements, nous avons noté un réel intérêt de la Commission européenne et du Parlement européen pour écouter ce que nous avions à dire. Nous sommes donc convaincus, de par l’évolution des choses, de par la nécessité d’agir, qu’il faut prolonger notre travail de 2003 par une demande encore plus insistante de création d’un parquet européen tel qu’il est proposé dans la résolution.
Nous proposons de rappeler que la lutte contre la criminalité grave transnationale appelle une réponse forte et commune de l’Union européenne qui permette de pallier les insuffisances de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l’espace judiciaire européen et, qu’en application de l’article 67 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres. Nous proposons de soutenir la création d’un parquet européen, conformément aux dispositions de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’extension de ses compétences à la criminalité grave transnationale ne doit pas être considérée comme une hypothèse pour plus tard. Il serait d’ailleurs bien curieux que nous limitions notre ambition alors même que l’Union européenne vient d’adopter une directive très importante sur la traite des êtres humains. Nous devons nous appuyer sur ce travail pour rappeler le pas décisif que constituerait le parquet européen sur ce sujet. Le parquet européen devrait être collégial, comprenant en son sein un président, avec un délégué national dans chaque Etat membre. Nous ne devons pas être en recul par rapport à notre position de 2003, laquelle avait, à sa manière, contribué à l’évolution des traités. Les citoyens européens veulent que la criminalité transnationale soit combattue à l’échelle européenne, qui est la plus adaptée.

Le Président Pierre Lequiller.

Je tiens à remercier les rapporteurs pour leurs travaux et souhaite insister sur le fait que, pour la première fois, le Président de l’Assemblée nationale a demandé au Gouvernement que le Conseil d’Etat soit saisi sur ce sujet, son étude ayant été adoptée au cours de son assemblée générale du 24 février dernier. Comme cela a été souligné, cette étude a permis d’étayer de manière précieuse la position des rapporteurs.

Nous avions également, le 8 juin dernier, auditionné M. Michel Mercier, garde des Sceaux, qui avait une position sensiblement différente de celle des rapporteurs. J’avais à l’époque défendu la position des rapporteurs et je continue à le faire. Il serait sans doute utile que les rapporteurs puissent directement expliciter la position adoptée par notre Commission.

Mme Marie-Louise Fort.

Ma collègue Pascale Gruny et moi souhaiterions savoir quels seront les rapports qu’entretiendra le parquet européen avec la Cour de justice de l’Union européenne et avec la Cour européenne des droits de l’homme.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur.

C’est un vrai sujet ! C’est pour cela qu’il faut être à la fois déterminés et prudents. La matière pénale est caractérisée par l’extrême diversité des systèmes nationaux, ce qui en fait un sujet très sensible. Si l’on ne parvient pas à réunir l’unanimité, qui est requise dans ce domaine, il faudra probablement envisager une coopération renforcée. La question du rattachement, ou non, du parquet européen à une instance juridictionnelle européenne se pose. Faudrait-il créer une juridiction pénale européenne ? Le lien avec les Cours européennes est une question importante.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteur.

La CJUE n’est pas une cour pénale.

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution européenne suivante :

« L’Assemblée nationale,
Vu l’article 3 du traité sur l’Union européenne,
Vu les articles 82 à 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives (COM (2011) 293 final) du 26 mai 2011,
1. Juge que la lutte contre la criminalité grave transnationale appelle une réponse forte et commune de l’Union européenne qui permette de pallier les insuffisances de la coopération judiciaire pénale et le morcellement de l’espace judiciaire européen ;
2. Rappelle qu’en application de l’article 67 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres ;
3. Soutient la création d’un parquet européen, conformément aux dispositions de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
4. Souhaite la création d’un parquet européen compétent, dès l’origine, en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, en application du 4 de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
5. Estime que le parquet européen devrait être de forme collégiale, comprenant en son sein un Président, et devrait s’appuyer sur des délégués nationaux dans chaque Etat membre ;
6. Rappelle que le parquet européen serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer ensuite en jugement devant les juridictions nationales compétentes les auteurs et complices d’infractions relevant de son domaine de compétence, les actes de procédure qu’il serait amené à arrêter devant être soumis à un contrôle juridictionnel étendu, et souhaite qu’une réflexion soit engagée sur les modalités de contrôle de ses actes au niveau européen afin d’assurer à la fois l’efficacité des procédures et du contrôle et la garantie uniforme des droits des justiciables ;
7. Recommande que des règles minimales sur l’admissibilité mutuelle des preuves entre les Etats membres soient rapidement adoptées et qu’une harmonisation minimale des législations pénales en matière d’incriminations et de sanctions soit dès à présent mise en Å“uvre. »

La Commission a également approuvé la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1073/1999 relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (Euratom) no 1074/1999 (document E 6139).