Marietta KARAMANLI « Une Assemblée Nationale mieux armée au plan de l’expertise, disposant de prérogatives plus fortes en termes de contrôle et de droits d’initiative plus significatifs, n’est pas un frein à l’efficacité, mais un moteur »

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L’Assemblée nationale a discuté le 26 novembre dernier en séance publique d’une proposition de résolution visant à modifier le règlement de l’Assemblée Nationale et à améliorer le travail parlementaire.
Cette résolution était le fruit d’un travail de députés initié à la demande du Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone.
En séance, j’ai défendu ce texte qui vise à limiter les procédures longues ou répétées qui, loin de déboucher sur une activité de qualité, créent des flux difficiles à gérer. Cette proposition améliore aussi la coordination en matière d’évaluation et les opportunités de mener des contrôles sur l’exécutif..
De façon plus générale, j’ai déploré le déséquilibre institutionnel au terme duquel les moyens techniques manquent cruellement aux députés pour disposer de données, d’analyses techniques, quand ce n’est pas le temps pour auditionner ou se déplacer et constater sur place.
J’ai aussi fait des propositions pour améliorer le contrôle à réaliser en matière de droits fondamentaux et d’exécution par notre pays de la Convention européenne des droits de l’homme.
Je reviendrai dans un prochain article sur ma proposition d’ amendement en ce sens.


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Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2014-2015
Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 26 novembre

Modification du règlement de l’Assemblée nationale
Discussion d’une proposition de résolution

M. le président.

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale (nos 2273, 2381).

Je me félicite que nous examinions aujourd’hui cette proposition de résolution, qui résulte des travaux du groupe de travail que j’ai eu l’occasion de mettre en place et qui a mené ses travaux au cours de l’année 2013. Son périmètre est circonscrit, car il s’agit de mettre en Å“uvre les points de convergence auxquels nous sommes parvenus. Chacune des mesures techniques proposées, qui concernent tous les aspects du travail parlementaire, vise à moderniser nos méthodes de travail et à rendre plus efficaces nos délibérations.

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la proposition de résolution dont nous discutons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement qui vise à ce que notre assemblée travaille d’une manière plus transparente et plus efficace, afin que ce pour quoi nos concitoyens nous ont choisis et nous ont délégué un pouvoir, à savoir faire et contrôler la loi, se fasse dans de meilleures conditions. Le mérite de cette initiative revient amplement au président Claude Bartolone, ainsi qu’au président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, qui a conduit les travaux.

Mon propos sera axé autour de trois idées : le mouvement que dessine cette proposition de résolution, l’enjeu de l’évaluation, et la question des droits fondamentaux, à l’aune de la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant le mouvement que dessine cette proposition de résolution, plusieurs axes de travail ont été privilégiés. Je citerai d’abord celui visant à limiter la durée de certaines procédures qui, loin de déboucher sur une activité de qualité, ne font que susciter des flux peu pertinents. Tel est par exemple le cas des questions écrites. Leur nombre étant illimité, elles restent sans réponse, et certains ministres peuvent même tirer prétexte de leur surabondance pour justifier leur insouciance et ne pas y répondre avec pertinence.
J’évoquerai également les discussions générales trop longues, qui retardent parfois l’examen au fond du dispositif et de ses effets réels, ou encore les journées supplémentaires ajoutées au fil du temps.

Parmi les autres orientations majeures de cette proposition de résolution, j’évoquerai également l’objectif de renforcement du travail d’évaluation du Gouvernement et de l’efficacité des lois. Il s’agit notamment d’élargir la composition des organes d’évaluation, d’améliorer la coordination des travaux et de faciliter le recours à des procédures telles que les missions d’information, en lien notamment avec le statut des groupes d’opposition.

Je voudrais m’arrêter quelques instants sur l’enjeu de l’évaluation, et notamment sur les expertises qui nous sont demandées et sur lesquelles l’exécutif s’appuie dans bon nombre de cas pour expliquer et argumenter ses projets. Certes, la Constitution a conforté et sanctuarisé la mission d’évaluation de nos assemblées, mais, au quotidien et dans le travail des rapporteurs, des responsables de groupes et des députés impliqués, les moyens techniques manquent cruellement pour disposer de données, d’analyses techniques, quand ce n’est pas le temps qui fait défaut pour auditionner ou se déplacer.

L’examen de mesures introduites de façon séparée dans plusieurs textes, ou de manière successive à l’intérieur d’un même texte, limite parfois significativement la marge de manÅ“uvre des parlementaires, qui n’ont pas une vue cohérente sur l’ensemble des dispositions en cours de discussion. Par ailleurs, c’est l’administration au service de l’exécutif qui, du fait de sa permanence, des connaissances et des outils dont elle dispose, peut faire des prévisions utiles, alors que les parlementaires sont souvent incapables de prévoir l’impact de certains dispositifs et d’envisager d’éventuelles réallocations de moyens.

Ces constats doivent nous conduire à renforcer l’évolution des moyens de contrôle de l’exécution législative et budgétaire, afin d’inventorier les marges qui nous permettraient, collectivement, de peser plus significativement sur les choix ministériels. Car tel est bien l’enjeu de la délibération collective démocratique : reconnaître qu’à plusieurs, on est plus intelligent que tout seul !

Autre sujet d’importance directement lié à l’évaluation, celui de la capacité de notre assemblée à renforcer son intervention dans le domaine de la protection des droits de l’homme et du citoyen. En tant qu’assemblée, et de par notre histoire et nos compétences, nous avons le souci du droit et des droits fondamentaux. C’est cette préoccupation qui a déterminé la commission des lois à élargir explicitement son champ de compétence, en y ajoutant les droits fondamentaux.

Nous devons également avoir le souci que notre assemblée soit, dans les faits, un meilleur acteur du contrôle de la bonne application de ces droits fondamentaux. Depuis deux décennies, plusieurs exemples peuvent être donnés de décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme ayant débouché sur une prise de conscience de l’inadéquation de notre droit national aux standards européens, qui devraient pourtant s’imposer, eu égard à notre « état de civilisation commune », comme l’aurait dit l’éminent juriste Guy Braibant.

À ce titre, je pense que notre assemblée pourrait aller plus loin, à l’instar de ce que font plusieurs assemblées parlementaires en Europe. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’Allemagne débattent en commission et en séance publique du suivi des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme.

Selon moi, c’est dans le cadre du débat public et de la délibération politique que nous pouvons faire bouger les choses. L’opportunité nous est peut-être donnée de renforcer notre capacité en la matière en complétant notre règlement.

Il s’agirait d’adopter le principe selon lequel une partie relative à l’exécution des décisions de la Cour figure systématiquement dans le rapport annuel de notre délégation, celle de l’Assemblée nationale à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, et donne lieu à une discussion en commission des lois, désormais compétente. L’ensemble des évolutions dans notre façon de fonctionner et de délibérer, que je viens de citer, sont peut-être modestes ; elles n’en sont pas moins résolument modernes.

Elles traduisent le sentiment objectivé que l’effritement qu’a connu le Parlement au long des décennies passées n’a pas forcément de raison d’être. Dans un monde devenu complexe, un Parlement mieux armé au plan de l’expertise, disposant de prérogatives plus fortes en termes de contrôle et de droits d’initiative plus significatifs, n’est pas un frein à l’efficacité, mais un moteur. Essayons de faire Å“uvre de modernisation.

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)