« Projet de loi sur la consommation : mes propositions pour élargir l’accès aux associations et le champ des domaines de l’action de groupe  » par Marietta KARAMANLI

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Le 11 juin 2013, je suis intervenue en commission des lois, compétente pour l’examen des deux premiers articles du projet de loi sur la consommation pour soutenir deux propositions, l’une sur la nécessité d’ouvrir l’action de groupe à un plus grand nombre d’associations, l’autre sur l’utilité de disposer d’une évaluation à l’issue d’une première période et ce afin d’élargir les domaines où une telle action serait possible et ainsi donner une suite aux engagements du gouvernement d’étendre celle-ci.

 Sur l’ouverture à d’autres associations, mon argumentation est la suivante.
Lors de la consultation ouverte sur la qualité d’association autorisée à engager la nouvelle procédure un nombre significatif d’avis (environ 40 %) a été formulé dans le sens d’une ouverture à d’autres associations que les seules associations de consommateurs généralistes agréées.
Depuis 20 ans l’Etat n’a autorisé aucune nouvelle association. Certaines associations ayant un objet plus spécialisé peuvent jouer dans leur secteur un rôle de « dissuasion » qu’appelle le gouvernement. De façon plus globale, le principe de l’égalité d’accès à la justice est affirmé par la Cour européenne des droits de l’homme en application de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme. L’article L 411-1 du code de la consommation auquel renvoie l’article indique que l’agrément des associations se fait « sur avis du ministère public ». Dans ces conditions exclure toute association non agréée pose la question de l’égalité d’accès lorsqu’il est soumis, en amont, à une forme d’autorisation de l’Etat. Enfin dans la plupart des cas les législations étrangères qui n’ont connu aucune dérive ni excès comme au Canada, en Suède, en Norvège ou en Italie ne posent aucune condition de ce type soit que le tribunal puisse redéfinir les limites du groupe représenté (Canada), autorise les personnes morales à but non lucratif, à côté des personnes physiques ou de droit public habilitées par le gouvernement, ou « les associations représentatives des consommateurs » (Italie).

 Sur le champ de l’action de groupe, j’avais fait une proposition d’amendement ainsi rédigée.
Au chapitre 1 après l’article 2 il est ajouté un article 2 bis ainsi rédigé
« Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er septembre 2016, un rapport sur l’application des présentes dispositions en vue d’examiner l’élargissement de l’action ainsi créée aux domaines du droit des sociétés, du droit financier, du droit boursier et des dispositions applicables en matière de protection de environnement et de la santé ». Les motifs étaient les suivants.
Le gouvernement a indiqué limiter la portée de l’introduction de l’action de groupe au domaine de la consommation et a fait valoir que celle-ci ferait l’objet d’un suivi, pour étudier en fonction des constats opérés, la possibilité d’en étendre la portée. Il convient de concrétiser cet élément au travers d’une disposition législative qui donne toute sa place au Parlement.
Ces deux propositions n’ont pas été retenues pour des raisons que la discussion en commission éclaire.
Je reste persuadée que sur ces deux sujets des progrès sont encore possibles.


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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mardi 11 juin 2013, Séance de 10 heures 30, Compte rendu n° 75

Mme Marietta Karamanli.

Nous avons déjà rappelé au sein de la commission des Affaires européennes, à propos de la proposition européenne sur les recours collectifs, la nécessité de créer une action de groupe : c’est pourquoi je suis satisfaite de voir le Gouvernement s’engager dans cette voie.

S’il est heureux que le texte prévoie de réserver l’action de groupe aux associations agréées, ne conviendrait-il pas de revoir la liste de ces associations, laquelle n’a pas été révisée depuis au moins vingt ans ?
Il serait bien que l’État agrée, via un décret en Conseil d’État, de nouvelles associations pour prendre en compte leur représentativité au plan national.
Le rapporteur l’a souligné : ce texte représente déjà une grande avancée. Il peut toutefois être encore amélioré, s’agissant notamment des associations représentatives au plan national.

M. Philippe Houillon.

Ce texte, qui relaie des initiatives prises dans le même sens et dans des termes voisins sous différentes majorités, institue une action de groupe au petit pied puisque très limitée. Il facilitera toutefois l’engagement de telles actions, car si le droit positif prévoit déjà une telle possibilité, il faut reconnaître qu’il est laborieux d’y recourir.

Cela dit, jusqu’à présent, en France, nul ne plaidait par procureur : ce ne sera désormais plus le cas puisque les consommateurs devront passer par une association. Il est gênant d’enfermer ce droit nouveau en le réservant à certaines associations, sans écarter pour autant le risque des dérives à l’américaine, puisque ces associations agréées pourront toujours faire du chantage auprès des entreprises qu’elles viseront, comme cela se passe aux États-Unis.
De plus, la disposition étant renvoyée à un décret en Conseil d’État, nous ignorons si le texte privilégie le mécanisme de l’opt-in ou celui de l’opt-out. Peut-être le rapporteur pour avis pourra-t-il nous éclairer sur ce point.
Selon Colette Capdevielle le texte ne portera pas préjudice aux avocats. Je pense quant à moi qu’il faut être plus mesuré. C’est un sujet qui mérite réflexion.

M. le rapporteur pour avis.

S’agissant de la création d’un fichier positif, je tiens à rappeler que la commission des Lois ne s’est saisie que des deux premiers articles du projet de loi, ceux relatifs à l’action de groupe. De plus, la rédaction actuelle du texte gouvernemental ne prévoit pas la création d’un tel fichier, même si chacun sait que le Gouvernement déposera probablement un amendement en ce sens. Ce dispositif, dont l’instauration est éminemment souhaitable pour s’attaquer au problème dramatique du surendettement qui touche des millions de nos concitoyens, exige parallèlement de prendre aussi toutes mesures de protection des libertés. En effet, constituer un fichier de plusieurs millions de personnes ne va pas sans soulever des difficultés, notamment d’ordre technique, qui appellent des précautions extrêmes. Je suis certain qu’après avoir demandé l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et celui du Conseil d’État, le Gouvernement sera en mesure de proposer un dispositif satisfaisant à tous égards que, je n’en doute pas, la majorité soutiendra.
Je me suis moi-même longtemps demandé s’il fallait réserver l’action de groupe aux associations de consommateurs agréées nationales ou s’il ne fallait pas l’élargir notamment à des associations ad hoc. Les associations actuellement agréées ayant un large spectre d’actions potentielles, les consommateurs sont assurés de les voir défendre leurs intérêts. De plus, ces associations offrent des garanties non seulement de sérieux, mais aussi en matière d’indemnisation au stade final de la procédure. Certains craignent que, ne pouvant matériellement engager toutes les actions de groupe souhaitables, elles ne mettent en place des « politiques » €“ telle année, tel secteur, etc. €“, en laissant les consommateurs au bord du chemin. Ce risque me semble très faible compte tenu du nombre d’associations agréées existantes, lequel n’est d’ailleurs pas figé puisque d’autres associations pourront bénéficier de l’agrément. De surcroît, cette loi présentant un caractère un peu expérimental, son évaluation pourra être l’occasion d’en réaliser un bilan.
J’ajoute que l’actuelle limitation aux associations agréées constitue un choix politique résultant d’un équilibre obtenu notamment au sein du Conseil national de la consommation. Nous tenons à respecter l’esprit de cette concertation, car c’est l’une des conditions de l’acceptation et de la réussite du dispositif. En effet, c’est bien parce que les gouvernements successifs n’ont pas su trouver le consensus nécessaire qu’il n’a pas été possible, en trente ans, d’instaurer un tel dispositif.
Le lobbying intense auquel nous avons pu assister jusque dans ces murs et les propos tenus par certains représentants du patronat montrent bien que ce n’est pas une action de groupe « au petit pied », monsieur Houillon ! Au contraire, grâce à ce texte, c’est un grand pas qui va être fait !
L’action de groupe doit en effet être la plus dissuasive possible, monsieur Clément, et représenter une véritable menace, sans pour autant être un élément de déstabilisation de notre économie. Elle doit jouer un rôle de prévention en incitant les entreprises à s’auto-discipliner. C’est ainsi que nous parviendrons à assainir l’économie de marché.

Enfin, le texte vise à dépasser la logique binaire entre opt-in et opt-out, même si la procédure relève plutôt de l’opt-in : au final, c’est bien au consommateur de se manifester pour adhérer au groupe. Il est également vrai que la phase initiale comporte une sorte d’opt-out virtuel.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CL 3 de Mme Marietta Karamanli, portant article additionnel après l’article 2.

Mme Marietta Karamanli.

Le Gouvernement a choisi de limiter la portée de l’action de groupe au domaine de la consommation, faisant valoir qu’il convenait de l’évaluer afin d’en étendre éventuellement la portée. Il me semble utile, dans ces conditions, de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’application de la loi un an après son entrée en vigueur.
Je sais bien que de telles demandes ne sont pas toujours suivies d’effets, mais la spécificité du domaine concerné me semble justifier l’amendement. Il nous faut au demeurant réfléchir aux moyens de rendre automatique la remise de ces rapports.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.

Je suis par principe hostile à ce genre d’amendement, pour les raisons qui viennent d’ailleurs d’être exposées. Qui plus est, la rédaction confine à l’injonction. Enfin, l’Assemblée nationale a tout à fait la possibilité de mener, dans un an, l’évaluation que vous souhaitez via le Comité d’évaluation et de contrôle, dont le rôle est précisément d’évaluer les politiques publiques sur des sujets communs à plusieurs commissions permanentes. Cette démarche prétorienne aurait beaucoup plus de portée, pour le Parlement, que l’attente d’un rapport que nul ne pensera à réclamer s’il ne vient pas.
Mme Cécile Untermaier. Cosignataire de l’amendement, je me range aux arguments du président de la Commission.

M. le rapporteur pour avis.

Je souscris à l’objectif poursuivi, même s’il faudrait au moins deux ou trois ans pour évaluer le dispositif. J’émets donc un avis favorable à l’amendement, même s’il convient, à mon sens, de prendre en considération les sages observations du président Urvoas.

Mme Marietta Karamanli.

J’ai exprimé les mêmes réserves que lui en présentant l’amendement. Cependant, je souhaite que nous affirmions collectivement notre souhait d’une réelle évaluation, notamment pour étudier la possibilité d’étendre l’action de groupe à d’autres domaines. Le Parlement doit également réfléchir aux moyens d’obtenir des rapports d’évaluation du Gouvernement, notamment sur ce texte, car de tels rapports peuvent lui donner un éclairage complémentaire. Le pessimisme du président Urvoas est avant tout d’ordre pragmatique, je le conçois bien, mais nous devons aussi rester volontaristes. Quoi qu’il en soit je retire l’amendement.

M. le président Jean-Jacques Urvoas.

Je m’engage pour ma part à proposer de soumettre le sujet au Comité d’évaluation et de contrôle dans deux ans. Ce serait d’ailleurs la première initiative de ce genre de notre Commission, la plupart du temps saisie sur des domaines qui relèvent de sa seule compétence ; reste que, s’agissant d’un dispositif nouveau dans notre droit, l’évaluation est effectivement nécessaire. Que cette évaluation émane du Parlement me semblerait une bonne chose.