« Une proposition de loi sur l’usage des armes à feu des policiers décalée par rapport aux évolutions du droit et incomplète » par Marietta KARAMANLI

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Le 6 décembre 2012, je suis intervenue dans le cadre de la discussion générale d’une proposition de loi (venant de députés n’appartenant pas aux groupes de la majorité à l’Assemblée Nationale). Ladite proposition visait à aligner le région légal de l’utilisation des armes à feu des policiers chez les gendarmes. En effet Les gendarmes peuvent faire usage de leur arme en bénéficiant, depuis 1903, d’un texte réglementaire qui les autorise à ouvrir le feu après les injonctions d’usage. Les policiers, eux, n’ont le droit d’utiliser leur arme que pour se défendre ou défendre quelqu’un d’autre, et en aucun cas pour stopper la fuite d’un suspect. Dans le droit tel qu’il est interprété par les juridictions ce n’est déjà plus le cas.
Les juridictions pénales et la Cour de cassation ont progressivement restreint la possibilité pour les gendarmes d’utiliser leur arme.
A l’inverse certaines dispositions qui seraient utiles aux agents des forces de l’ordre mises en cause ne figuraient pas dans la dite proposition de loi. Celles-ci concerneraient le principe du contradictoire et les droits de la défense des policiers mis en cause. Il n’est pas acceptable, par exemple, qu’un agent entendu par un corps d’inspection ne puisse pas être assisté par le défenseur de son choix. Il serait également utile de revenir sur la possibilité dont dispose aujourd’hui l’autorité disciplinaire de statuer définitivement sur le sort de l’agent avant la fin de la procédure pénale le concernant. J’ai donc suggéré que le gouvernement prenne l’initiative d’un nouveau texte.


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Mon intervention intégrale à l’Assemblée Nationale

Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2012-2013 Compte rendu intégral Deuxième séance du jeudi 6 décembre 2012

1. Encadrement des grands passages et procédure d’évacuation forcée

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, beaucoup de choses viennent d’être dites par M. Matthias Fekl.

La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui vise, d’une part, à préciser les conditions de l’usage légal de la force armée et, d’autre part, à renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes.

Pour faire simple, l’article 1er de la proposition vise à aligner le régime d’utilisation des armes à feu par les policiers sur celui applicable pour les gendarmes.

Pour le policier ou le gendarme, l’usage de l’arme est une décision vitale. Il peut tout aussi bien sauver une vie €“ peut-être la sienne €“, éviter un drame pour une personne innocente ou extérieure à un délit ou un crime, ou tuer un délinquant dont le délit ou le crime peut être de nature diverse.

Il faut dénoncer avec la plus grande fermeté les actes de violence dont sont victimes les forces de police et s’insurger contre leur répétition.

Les autres dispositions, issues pour l’essentiel d’un rapport officiel, ont à la fois leur intérêt et leur cohérence, mais elles supposent, en amont, une évaluation des moyens utiles à leur mise en Å“uvre, et des crédits conditionnant leur réalisation. Elles visent pour l’essentiel à étendre la notion d’ayant droit, à augmenter le périmètre de la protection fonctionnelle, ou à créer une obligation de reclassement provisoire. Leur mise en Å“uvre dépend bien sûr de la volonté du Gouvernement, qui a la maîtrise de l’adoption des crédits budgétaires. Il s’agit là d’une prérogative du pouvoir exécutif sous la Ve République, confirmée par la réforme de 2008 votée par la précédente majorité.

Quelles sont les dispositions applicables en matière d’usage des armes à feu ?

Le point de départ est l’existence de dispositions différentes entre la police et la gendarmerie. Les gendarmes peuvent faire usage de leur arme en bénéficiant, depuis 1903, d’un texte réglementaire qui les autorise à ouvrir le feu après les injonctions d’usage. Les policiers, eux, n’ont le droit d’utiliser leur arme que pour se défendre ou défendre quelqu’un d’autre, et en aucun cas pour stopper la fuite d’un suspect.

La proposition de loi vise à rapprocher le régime applicable aux policiers du système en vigueur chez les gendarmes. Mais, en droit appliqué, cette distinction a évolué du fait de la jurisprudence. Les juridictions pénales et la Cour de cassation ont progressivement restreint la possibilité pour les gendarmes d’utiliser leur arme. Délaissant un texte qui a plus de cent ans, elles exigent désormais que la force ne soit utilisée qu’en tout dernier recours. Ainsi, dans une affaire récente où un gendarme avait fait feu après les injonctions sur une personne gardée à vue et qui s’enfuyait, elle a considéré qu’il n’y avait pas eu « état de nécessité ».

Parallèlement, les mêmes juridictions admettent qu’un policier puisse ouvrir le feu sur un véhicule afin de le stopper, à condition que le conducteur dudit véhicule mette en danger une vie humaine, par exemple en fonçant sur le fonctionnaire ou l’un de ses collègues. La voiture est alors assimilée à une arme par intention.

À présent que les gendarmes sont sous la tutelle du ministre de l’intérieur, leur mission civile étant affirmée, il serait assez logique que l’on assiste à une harmonisation des conditions légales entre les deux corps dans le sens de cet état de nécessité et non du seul respect des injonctions.

Dans ces conditions, le rapprochement que vous proposez ne présente pas véritablement d’intérêt sur le plan juridique mais sert probablement à envoyer un message.

Certaines dispositions qui pourraient être utiles ne figurent pas dans la proposition, et l’on pourrait ouvrir la réflexion pour préparer un projet que nous présenterait le Gouvernement.

Si les autres dispositions du texte visent à mieux protéger les agents, une question aurait mérité d’être abordée, celle des garanties offertes aux agents dans le cadre des enquêtes dites administratives et des procédures disciplinaires.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur.

C’est déjà fait par circulaire !

Mme Marietta Karamanli.

Celles-ci devraient respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense. Il n’est pas acceptable, par exemple, qu’un agent entendu par un corps d’inspection ne puisse pas être assisté par le défenseur de son choix.

Il serait également utile de revenir sur la possibilité dont dispose aujourd’hui l’autorité disciplinaire de statuer définitivement sur le sort de l’agent avant la fin de la procédure pénale le concernant. Ainsi, il est pour le moins étrange qu’un agent puisse être révoqué pour des faits par ailleurs objet d’une procédure pénale dans laquelle il est présumé innocent et à l’issue de laquelle il sera peut-être mis hors de cause. Ce point ne figure pas dans le texte.

Ainsi au final, cette proposition apparaît décalée par rapport à l’évolution du droit et à la complexité des situations, ne traite nullement des moyens nécessaires à sa mise en Å“uvre et n’évoque qu’imparfaitement les droits des policiers.

Vous comprendrez donc aisément, mes chers collègues, que nous ne puissions pas la soutenir. Les questions posées mériteront à coup sûr d’être revues dans le cadre d’un texte d’origine gouvernementale auquel nous pourrons, tous ensemble travailler.

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)