« Vote de la hausse de la CSG du détriment des retraités et agents publics, une mauvaise décision à laquelle je me suis opposée par des amendements, des votes « contre » et un recours devant le Conseil Constitutionnel ; un exemple montrant que l’exécutif n’a pas besoin de moyens supplémentaires pour faire adopter sa politique et restreindre encore le droit d’amendement des députés » par Marietta KARAMANLI

Plusieurs personnes m’ont posé la question de savoir pourquoi les députés des différents groupes parlementaires n’avaient pu s’opposer à la disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 visant à augmenter la CSG pesant sur les retraites des retraités et les agents publics sans compensation via une réduction des cotisations sociales.

Une dame de bonne foi m’a écrit « Le Président  envoie 41 élus (inconnus à ce jour, présents en séance) et il fait adopter les lois qu’il veut. A quoi sert que nous allions voter ? ».

Cette demande d’explications a été pour moi l’occasion d’expliquer pour dans notre régime politique la majorité garde la majorité jusqu’au bout et peut imposer ses vues…

Ce qui est particulier dans notre régime c’est que la majorité des député-e-s est élue sur le nom du Président de la République ( les élections législative sont lieu tous les 5 ans dans foulée de l’élection présidentielle, qui

-nomme lui-même le 1er ministre et les ministres (et non la majorité qui les désigne comme dans la plupart des régimes parlementaires en Europe) ce qui renforce la subordination des députés à l’exécutif et au Président,

– peut dissoudre l’Assemblée Nationale (et non le 1er Ministre),

– qui préside le Conseil des Ministres,

– qui impose in fine ses vues aux députés de son parti (sauf cas de majorité fragile).

Par ailleurs le président demande au 1er ministre d’imposer ses vues à l’Assemblée Nationale via toute une série de dispositions présentes dans la Constitution et de procédures parlementaires qui ont pour but de de faire disparaître le doute et d’imposer son point de vue.

Je les retrace ici dans ma réponse.

J’ai pensé utile de l’évoque à un moment où l’exécutif évoque l’idée d’amoindri encore le droit d’amendements des parlementaires et donc des député-é-s.

Voici ma réponse.

Madame,

Tout d’abord je souhaite vous demander de bien vouloir excuser le délai mis à vous répondre délai qui s’explique à la fois par un grand nombre de dossiers individuels et collectifs à traiter et par mon souci de vous expliquer le fonctionnement réel de nos institutions, ce qui demande, il est vrai, un peu de temps.

Sur le fond si je comprends votre déception que cette disposition soit passée, je maintiens mon affirmation de mon opposition et de mon vote contre cette mesure.

J’espère faire preuve d’un peu de pédagogie car votre erreur consiste à penser d’une part que la procédure parlementaire se limite à un seul vote sur un article alors que ce dispositif faisait partie d’un texte global, d’autre part qu’à l’occasion d’un vote ponctuel le Gouvernement aurait pu considérer qu’il en restait là, ce qui est faux.

1 Sur la procédure suivie et ma position

Ce texte a fait l’objet de cinq lectures d’ensemble. Il comprenait au départ 57 articles et au final 78 articles. Plus de mille amendements ont été déposés.

1.1 Ma cosignature de plusieurs amendements contre

J’ai cosigné 23 amendements qui ont été rejetés en séance publique ; http://www2.assemblee-nationale.fr/recherche/amendements/15#listeResultats=tru&idDossierLegislatif=36030&idExamen=&missionVisee=&numAmend=&idAuteur=ID_335054&premierSignataire=false&idArticle=&idAlinea=&sort=&dateDebut=&dateFin=&periodeParlementaire=&texteRecherche=&zoneRecherche=tout&nbres=10&format=html&regleTri=ordre_texte&ordreTri=croissant&start=1

Deux de ces deux amendements concernaient la hausse de la CSG des retraités et visait à l’annuler. Vous pouvez consulter ces articles sur le lien ci-dessus. La Commission des affaires sociales a examiné dès le 17 octobre les amendements en question qui ont été rejetés. Je ne participe pas à cette commission n’en étant pas membre et ne pouvant voter.

Mon groupe y est représenté au prorata de son effectif total et l’amendement présenté et défendu par mon collègue Joël Aviragnet a été rejeté.

Comme le dit l’éminent professeur de droit constitutionnel Jean Gicquel, « le sort du texte est scellé dès cet instant »[1].

1.2 Mes votes contre

Le 25 octobre, j’ai participé à la séance publique où en 1ère lecture nos amendements sur cet article ont été rejetés. J’ai donc bien voté pour ces amendements et contre le texte gouvernemental.

Le 31 octobre 2017 en scrutin public j’ai voté contre le projet dans son ensemble (voir sur le site de l’Assemblée Nationale le détail des votes http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/%28legislature%29/15/%28num%29/208

La commission mixte paritaire (composée de 7 députés et de 7 sénateurs et qui a pour mission de proposer une version du texte en cas de désaccord entre les deux assemblées, mon groupe n’y étant pas représenté à raison de son importance relative) n’a pas trouvé d’accord en l’absence de consensus entre le groupe majoritaire du Sénat et le groupe majoritaire de l’Assemblée Nationale et le texte est revenu en discussion.

En deuxième lecture le 28 novembre mon collègue Joël Aviragnet a défendu au nom de notre groupe une motion de rejet préalable qui a été rejetée par la majorité sur le texte tel qu’il avait été adopté en 1ère lecture comme l’a demandé le gouvernement.

Dans ces conditions il était clair que le gouvernement et sa majorité forte de 308 députés-e-s sur 577 député-e-s ferait adopter le texte tel qu’il était sorti de la première lecture.

2 Sur le parlementarisme rationalisé ou les méthodes légales pour imposer un texte

Si les 3 et 4 décembre 2017, il y avait peu de députés en séance quelque soit le groupe c’est que parce que nous savions que même si un amendement était à nouveau déposé et voté à l’occasion d’une majorité relative d’un court moment aucune évolution définitive sur ce point ne serait possible.

2.1 D’une part plusieurs dispositions permettent en effet à la majorité de reconstituer une majorité insuffisante un court moment et d’imposer sa version.

En effet le Président peut faire revoter l’amendement plusieurs fois, le temps qu’un nombre suffisant de députés de la majorité soit présent.

Pour vous en convaincre vous pouvez consulter l’article consacré par la magazine Marianne à une telle pratique. https://www.marianne.net/politique/video-loi-moralisation-lrem-tente-t-elle-de-faire-revoter-des-amendements-jusqu-obtenir-le-resultat

2.2 D’autre part le gouvernement et sa majorité disposent de plusieurs dispositions lui permettant de faire passer un texte s’il considère que sa propre majorité a été ou pourrait être défaillante.

D’une part, l’article 101 du Règlement de l’Assemblée Nationale prévoit qu’avant le commencement des explications de vote sur l’ensemble des projets et propositions, l‘Assemblée (donc la majorité) peut décider, sur la demande du Gouvernement ou d’un député, qu’il sera procédé à une seconde délibération de tout ou partie du texte [2]. Dans le même ordre d’idées l’article 95 du même règlement permet au gouvernement de demander la réserve ou report du vote en modifiant l’ordre de la discussion, ce qui lui arrive quand il prévoit une discussion plus difficile avec sa majorité.

Selon le Professeur Jean Gicquel, déjà cité, le re-dépôt par l’opposition d’amendements, non adoptés ou que le Gouvernement a refusés une 1ère fois, l’est, à titre de médiatisation[3] de l’enjeu,  car sans possibilité réelle de succès.

D’autre part, l’article 44 alinéa 3 de la Constitution prévoit que si le Gouvernement le demande, l’assemblée ( donc sa majorité) saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement.

La conjonction d’emploi de ces dispositions permet au Gouvernement de ne retenir in fine que les amendements qu’il souhaite et qu’il approuve. C’est dans ces conditions que le vote une fois acquis par défaut d’une courte majorité peut être repris jusqu’au bout de la procédure.

3 Sur ma saisine avec d’autres collègues du Conseil Constitutionnel

Enfin je me permets de vous rappeler que j’ai saisi, avec d’autres collègues, ; le Conseil Constitutionnel voir en ce sens http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2017/2017-756-dc/decision-n-2017-756-dc-du-21-decembre-2017.150449.html ; je lui ai demandé de considérer cette disposition comme non conforme à la Constitution, au motif comme le rappelle  le Conseil lui -même  « Les députés auteurs des deux saisines reprochent à ces dispositions de méconnaître les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques dès lors que la hausse des taux de la contribution sociale généralisée n’est compensée par d’autres mesures que pour certains des redevables de cet impôt. Serait ainsi instituée une différence de traitement injustifiée entre les actifs du secteur privé, qui bénéficient de réductions des cotisations sociales, et les retraités, qui n’en bénéficient pas » (mon nom figure clairement sur cette demande que vous pouvez retrouver sur le site du Conseil).

4 Mes observations finales

Au final j’ai proposé et soutenu un amendement de suppression de la mesure, voté lors des votes sur l’ensemble du texte contre, et ai saisi la Conseil Constitutionnel en lui demandant de déclarer la hausse non conforme à la Constitution à raison d’une rupture d’égalité.

Déduire de l’absence temporaire de députés de l’opposition sur un vote qui aurait été redemandé en cas de résultat ne satisfaisant pas le gouvernement ou les députés de la majorité sur un engagement du Président et de sa majorité c’est méconnaître sa capacité, reconnue par les textes à reprendre ce qu’il veut quand il le veut et c’est ne pas reconnaître que le Président dispose d’une majorité forte qu’il peut mobiliser quand il le souhaite.

A ce titre, je me permettrai de rappeler les récents proposés de M Eric Alauzet, député (LREM) du Doubs et rapporteur du budget de la Sécurité sociale pour la commission des finances, défendant la politique fiscale du Président et déclarant dans la Journal « Le Parisien », le 5 mars 2018 que la hausse de la CSG, je l cite « n’impacte pas les retraités ou les Français les plus modestes » et confirmant selon lui le bien-fondé de la mesure qu’il défend et que j’ai combattue.

Partageant votre préoccupation sur le fond et espérant avoir répondu à vos interrogations et restant à votre disposition pour vous faire mieux connaître la procédure parlementaire en vous accueillant le cas échéant à l’Assemblée Nationale, je vous prie de croire, Madame, à l’assurance de mes salutations les meilleures.

Marietta KARAMANLI

 

[1] In Jean Gicquel « Droit constitutionnel et institutions politiques », Précis Domat, LGDJ, page 798.

[2] Comme le cette disposition dont le texte a été approuvé comme conforme à la Constitution par la Conseil Constitutionnel « La seconde délibération est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond, ou si celle-ci l’accepte. Les textes qui font l’objet de la seconde délibération sont renvoyés  à  la commission, qui doit présenter, par écrit ou verbalement, un nouveau rapport (2). Le rejet par l’Assemblée des amendements présentés en seconde délibération vaut confirmation de la décision prise par  l’Assemblée  en  première  délibération ( le commencement des explications de vote sur l’ensemble des projets et propositions,  l ;Assemblée  peut  décider,  sur  la  demande  du  Gouvernement  ou d’un député qu,’il sera procédé à une seconde délibération de tout ou partie du texte. La seconde délibération est de droit à la demande du Gouvernement ou de la commission saisie au fond, ou si celle-ci l’accepte. 3 Les textes qui font  l’objet  de  la  seconde  délibération  sont  renvoyés  à  la commission, qui doit présenter, par écrit ou verbalement, un nouveau rapport(2).  4 Le rejet par l’Assemblée des amendements présentés en seconde délibération vaut confirmation de la  décision  prise  par  l’Assemblée  en  première  délibération. »

[3] In Jean Gicquel « Droit constitutionnel et institutions politiques », Précis Domat, LGDJ, page 800.

Source image : capture vidéo de la séance (2ème) du 27 mars 2018 sur le site de l’Assemblée Nationale