« Collège Roger Vercel au Mans ; une dénomination qui pose problème au regard de l’antisémitisme de son auteur. Ma question au ministère de l’Education Nationale » par Marietta KARAMANLI

Mardi 17 avril 2018 j’ai interrogé à l’Assemblée Nationale le ministre de l’éducation nationale sur la situation du collège Roger Vercel au MANS au regard de sa dénomination, de nombreuses voix s’étant élevées pour considérer que la reconnaissance de l’écrivain Roger Vercel par l’attribution de son nom à l’établissement était anormale , les propos publics de l’écrivain dans la presse de l’époque, visant à exclure de la vie artistique, culturelle et donc éducative les juifs l’excluait lui-même de cette vie publique.
Déjà en 2012 j’avais demandé que le collège change de nom. Voir mon article en ce sens.
Je reste aujourd’hui convaincue de cette nécessité. Il nous faut rendre hommage à des propos, des actes et des créations, de femmes et d’hommes qui rapprochent nos contemporains et font preuve d’humanité.

Voir la vidéo de la séance des questions orales sans débat de ce 17 avril

Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2017-2018, Compte rendu intégral, Première séance du mardi 17 avril 2018 1. Questions orale s sans débat

Dénomination du collège Roger-Vercel du Mans

Le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour exposer sa question, no 292, relative à la dénomination du collège Roger-Vercel du Mans.

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le ministre l’éducation nationale, je voulais vous interroger sur la dénomination du collège Roger-Vercel du Mans dans la Sarthe.

Les enseignants, les parents d’élèves et la Fédération nationale des déportés et internée résistants et patriotes réclament le changement de nom de ce collège depuis 2012. Les parents d’élèves ont exprimé massivement, à près de 90 %, leur souhait de voir ce collège changer de nom. Comme moi, de nombreux élus se sont joints à cette demande.

Si l’on connaît Roger Vercel comme le lauréat du prix Goncourt 1934, on sait aussi qu’il a collaboré en tant qu’éditorialiste à un journal vichyste condamné à la Libération, dans lequel il a pris une position clairement antisémite en 1940. Il se félicitait alors de la prochaine élimination du Juif de la vie littéraire française : « l’élimination du Juif, en tant que penseur et écrivain réagira d’extraordinaire façon sur la littérature de demain ».

Ces propos publics ne sont pas seulement condamnables, ils condamnent aussi leur auteur à ne pas pouvoir incarner les valeurs qu’on attend de celui à qui le nom d’un établissement d’enseignement public est donné. Le choix du nom propre qui s’inscrit aux frontons de nos collèges est porteur de sens et de valeurs. Nommer un collège, c’est rendre hommage à une personnalité, à son œuvre et à ses actions.

Même si cette modification appartient juridiquement au conseil départemental, le ministère de l’éducation nationale ne peut rester indifférent à cette situation. Le conseil municipal du Mans qui, en 1968, nomma ce collège Roger-Vercel, a, il y a trois semaines, abrogé majoritairement cette décision. Cette délibération, qui a probablement peu de valeur juridique, représente en revanche l’expression d’une opinion locale acquise.

L’exécutif du conseil départemental s’oppose à cette décision pour des raisons comme « On ne refait pas l’histoire » ou « Il appartient aux enseignants d’expliquer aux élèves que la France, lors de l’Occupation, fut antisémite ». À ces arguments, il est répondu : « L’histoire, c’est ce que nous en faisons, c’est une science humaine et vivante » et « Les enseignants font leur travail quand ils traitent de la France occupée ».

Or, comment transmettre des valeurs laïques et républicaines quand les élèves du collège doivent porter le nom d’un homme qui ne partageait pas ces valeurs ? Comment parler du devoir de mémoire aux enfants si le département ne prend pas lui-même en charge ce devoir ? En cette période où la République cherche à être exemplaire, maintenir le nom d’un écrivain dont les idées exprimées sont détestables n’est guère audible.

Monsieur le ministre, quelle est la position de l’État sur cette situation, qui doit nous conduire à ne pas laisser croire que la nation, porteuse de valeurs, ne les défend pas au quotidien au profit des générations actuelles et nouvelles ? La terrible actualité récente doit nous conduire à une vigilance accrue

Le président.

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale.

Madame la députée, votre question est importante et on ne peut qu’être épouvanté à la lecture des phrases que vous avez évoquées, a fortiori compte tenu de l’actualité que vous avez rappelée. C’est mon rôle que de souligner cette évidence.

Je dois aussi être très attentif à ce que les compétences de chacun soient respectées. Comme vous l’avez vous-même souligné, l’article L. 421-24 du code de l’éducation dispose que la dénomination ou le changement de dénomination des établissements publics locaux d’enseignement est de la compétence de la collectivité territoriale de rattachement. Le changement de dénomination du collège Roger-Vercel relève donc de l’unique compétence du département de la Sarthe. Il doit pour cela prendre l’avis du maire de la commune siège de l’établissement, ainsi que du conseil d’administration de l’établissement. Ces avis ne lient pas la collectivité qui est la seule compétente pour se prononcer à titre définitif.

Les services du ministère de l’éducation nationale n’exercent donc aucune compétence en la matière et n’ont aucun moyen d’interférer dans une décision qui a été légalement prise par le conseil départemental de la Sarthe.

Je tiens à respecter les compétences des collectivités en la matière, tout en vous assurant de nouveau que je partage votre indignation s’agissant des propos que vous avez cités. De manière plus générale, j’invite chacun à la prudence lorsqu’il s’agit de baptiser ou de débaptiser des collèges. Projeter des querelles historiques sur l’ensemble des noms des établissements risquerait d’ouvrir une boîte de Pandore, ce qui serait contre-productif. En revanche, les collectivités locales doivent pouvoir considérer les cas extrêmes.

Je profite de l’occasion pour vous donner l’état des lieux des dénominations des établissements en France, dénominations dont la vocation est d’avoir une résonance éthique et historique auprès de nos élèves. Ces dénominations rendent souvent hommage à la République et aux hommes et aux femmes qui l’ont construite – politiques, écrivains, scientifiques. Jules Ferry, le grand homme de l’école gratuite et laïque, est le nom le plus fréquemment choisi par les collectivités. Il devance Jacques Prévert, Jean Moulin, Jean Jaurès, Antoine de Saint-Exupéry, Victor Hugo, Louis Pasteur et les époux Curie. Les établissements rendent également hommage aux pédagogues qui ont façonné notre système éducatif : Jean Macé, Paul Bert, ancien ministre de l’instruction publique, Pauline Kergomard, considérée comme ayant inventé l’école maternelle, ou encore Jean Zay, figure mythique de l’éducation nationale, assassiné par la Milice en 1944.

La carte du nom des écoles traduit également la géographie culturelle de la France. Ces noms permettent de porter nos valeurs, et j’ai recommandé que celui du colonel Beltrame soit donné à des établissements. J’ai été heureux d’apprendre qu’un collège des Alpes-Maritimes portera bientôt son nom.

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, je voudrais répondre

Le président.

Je dois respecter le règlement, madame, les six minutes sont écoulées. Le ministre répond longuement, et c’est très bien, mais il serait bien aussi de laisser quelques secondes à l’auteur de la question pour lui répondre.

 

Source image : capture depuis la vidéo de la séance à l’Assemblée Nationale sur le site de celle-ci