« Droits de l’homme en Europe : garantir leur protection et leur extension » par Marietta KARAMANLI

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Mardi 24 janvier, lors de la dernière session de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), où je représente l’Assemblée Nationale Française, je suis intervenue lors d’un débat précédant l’adoption d’un rapport relatif à l’autorité et à l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme .
La convention européenne des droits de l’homme a été élaborée au sein du Conseil de l’Europe, et signée le 4 novembre 1950. Elle s’inscrit dans le droit fil de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est la juridiction auprès du Conseil de l’Europe chargée de veiller au respect de ladite Convention par les 47 États (de l’Islande à la Turquie, du Portugal à la Russie) qui l’ont ratifiée. Celle-ci siège à Strasbourg et se compose de 47 juges élus pour 6 ans. Ces magistrats sont totalement indépendants.
Tout État signataire de la Convention et, depuis 1998, toute personne résidente (particulier, association…) s’estimant victime d’une violation de la Convention et qui a épuisé les voies de recours devant les juridictions de son pays, peuvent saisir la Cour. Les affaires sont instruites selon une procédure contradictoire et publique.
À défaut de solution amiable, la Cour prend un arrêt que l’autorité nationale mise en cause est tenue d’appliquer.
Aujourd’hui, le nombre croissant des requêtes individuelles (près de 30 000 nouvelles requêtes chaque année) allonge, parfois de façon considérable, les délais de jugement et met en cause l’efficacité même du dispositif.
Dans mon intervention j’ai insisté sur la nécessité de prendre en compte l’extension du domaine des droits. Ainsi, le respect de la dignité, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la protection du pluralisme des comportements, sont devenus des questions fortes
J’ai rappelé le caractère supranational de la Cour qui la porte peut-être à mieux reconnaître des droits que certaines traditions nationales ont du mal à admettre. Ainsi en France la procédure accusatoire, l’intervention limitée des avocats dans le cadre des procédures pénales, l’autonomie insuffisante des magistrats du Parquet sont parfois considérées comme des traditions mais elles empêchent, selon les juges mêmes de la Cour, le rendu d’une justice équilibrée et équitable.
Enfin l’accès à la Cour européenne des droits de l’homme n’est possible et justifié que parce que les juridictions nationales rendent des jugements et des arrêts dans un certain nombre d’affaires qui ne respectent pas la convention sachant qu’elle ne font souvent qu’appliquer une loi nationale que ne respecte pas ou mal la convention. Dans ces conditions les systèmes juridictionnels nationaux doivent évoluer sachant qu’ils sont, par nature, divers et disposant de moyens variables. De façon plus générale, il convient que le droit élaboré et appliqué dans les différents Etats sont plus soucieux de justice et d’équité pour parvenir aux buts fixés par la Convention et le Conseil de l’Europe. En attendant les Etats doivent accepter de donner les moyens matériels à la Cour européenne.

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SESSION ORDINAIRE DE 2012, première partie, COMPTE RENDU
de la quatrième séance, Mardi 24 janvier 2012

4. Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme

LE PRÉSIDENT

L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. de Vries, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, sur le thème « Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’Homme »

LA PRÉSIDENTE

La parole est à Mme Karamanli.

Mme KARAMANLI (France)

Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le rapport rappelle bien que la Cour européenne des droits de l’homme garantit à tous les citoyens d’un Etat membre signataire de la Convention européenne des droits de l’homme le bénéfice d’un contrôle juridictionnel du respect des droits sur lesquels cet Etat s’est engagé.

Il s’agit là de l’expression d’une philosophie politique forte, au terme de laquelle l’Etat se soumet au droit, limite son pouvoir à l’égard des personnes et accepte le contrôle d’un juge indépendant situé au-delà de ses frontières.

La Cour est, en application de ce triple principe, unique et ouverte aux individus, et intervient en dernier ressort du contrôle juridictionnel interne des Etats signataires de la Convention.

Il faudrait néanmoins aller plus loin.

Les droits garantis par la Convention constituent un domaine en expansion, ce qui n’est certainement pas sans influer sur la nature et le volume des recours. Même si le rapport n’évoque pas précisément cette question, dans la plupart des Etats, en Europe comme dans le reste du monde, la revendication du respect des droits de l’homme est certainement plus forte qu’hier.

Les domaines concernés sont à la fois quantitativement et qualitativement plus vastes.

Ainsi, le respect de la dignité, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la protection du pluralisme des comportements, sont devenus des questions fortes où le droit sert à reconnaître les personnes dans leur individualité, y compris contre des habitudes étatiques, religieuses, communautaires ou familiales.

La justice européenne est appelée à accompagner la reconnaissance de droits construits pour une large part en dehors des Etats, mais que ceux-ci se sont engagés à reconnaître et à respecter. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Ma deuxième remarque concerne le caractère supranational de la Cour qui la porte peut-être à mieux reconnaître des droits que certaines traditions nationales ont du mal à admettre.

Prenons le cas de la France. En matière d’accès à un avocat dans le cadre d’une procédure pénale, selon la Cour, un accusé doit bénéficier de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue. La loi française, qui prévoyait l’intervention d’un avocat limitée à un entretien confidentiel de 30 minutes en début de garde à vue, a dû évoluer en 2011 après que le Conseil constitutionnel français, saisi, eut jugé nécessaire son adaptation pour respecter les principes constitutionnels. Reste que la loi récemment adoptée, prévoyant des restrictions à l’intervention d’un avocat, jugées par certains comme significatives, pourrait, encore, ne pas être conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’Etat, pour maintenir sa législation, se défend en invoquant une tradition juridique faite d’équilibre entre les droits de la personne mise en cause et la défense de l’ordre public.

D’autres exemples pourraient être cités et il est vraisemblable que la Cour européenne des droits de l’homme sera à nouveau saisie de ces questions au travers de recours.

Il y a donc lieu de constater que l’augmentation du nombre de recours est aussi l’illustration d’un problème de fond relatif à l’articulation entre des traditions juridiques nationales revendiquées, un degré d’appropriation différent par les Etats des principes auxquels ils ont souscrits et des ajustements interprétatifs opérés par la Cour.

Mon dernier point concerne le contrôle des droits par les systèmes juridictionnels eux-mêmes. L’effectivité des droits passe d’abord, et le rapport le souligne à juste titre, par un contrôle juridictionnel interne qui doit être prééminent. Or les systèmes juridictionnels varient d’un Etat à l’autre. Par ailleurs le droit devient, quantitativement, toujours plus important.

La place et le rôle incontestés de la Cour européenne des droits de l’homme doivent le rester. Des moyens conséquents doivent être alloués en vue de rendre l’action de la Cour plus efficace et tout aussi efficiente.

De façon plus générale, le droit doit retrouver le sens initial qu’il a eu en Occident et en Europe, à savoir qu’il doit exprimer la justice et pas seulement une norme formelle de fonctionnement.