En commission des lois, Marietta KARAMANLI aborde le sujet de l’utilisation de la question prioritaire de constitutionnalité et de la spécialisation du juge constitutionnel

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Le 21 novembre dernier à l’occasion d’une réunion de la commission des lois, dont je suis membre, qui recevait plusieurs personnalités, hauts magistrats sur le thème de la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, innovation de la réforme constitutionnelle de 2008, j’ai interrogé le secrétaire général du Conseil Constitutionnel.
Jusqu’à 2010, il n’existait donc aucun moyen pour contester la constitutionnalité d’une loi a posteriori, c’est-à-dire après sa promulgation.
Depuis tout justiciable peut demander à l’occasion d’un procès (ou instance) que la conformité d’une loi qui n’ pas été déférée au Conseil constitutionnel soit vérifiée et transmise à celui-ci par la juridiction suprême de l’ordre juridictionnel compétent (Conseil d’Etat et Cour de cassation). Cette dernière joue le rôle de filtre.
N’importe quel justiciable peut ainsi invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition législative applicable à son cas au moyen d’une QPC : celle-ci, si elle n’a pas déjà fait l’objet d’un jugement rendu par le Conseil constitutionnel, est ensuite transmise par la juridiction saisie, dans les plus brefs délais, à la Cour de cassation (pour les juridictions judiciaires) ou le Conseil d’État (pour les juridictions administratives). Elles ont trois mois pour se prononcer et la transmettre, ou non, au Conseil constitutionnel, qui a alors lui aussi trois mois pour décider de la conformité (totale ou partielle) ou non de la disposition à la Constitution.
Mes interrogations étaient les suivantes.
Le Conseil constitutionnel indique avoir enregistré environ 400 décisions portant sur des QPC adressées par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation en 2010 et environ 600 en 2011, des chiffres beaucoup plus élevés que ceux imaginés initialement.
A priori ce sont les plaideurs qui se sont emparés de la QPC. Est- ce qu’on peut considérer que cette procédure citoyenne est devenue un moyen de faire naître un incident de procédure ?
Au vu des exemples étrangers comparables (exemple les Etats-Unis) le nombre et les conditions de son recours paraissent ils traduire une pratique je dirais normale ?
La juridictionnalisation forte de la procédure de QPC ne devrait-elle pas conduire à modifier la composition du conseil constitutionnel. Bien que les membres actuels aient d’éminentes qualités une composition avec une meilleure représentation d’éminents juristes ne serait €“elle pas utile ?
Cette évolution du travail du Conseil pose aussi la question des possibles conflits d’intérêts de personnes ayant eu de hautes responsabilités avec la loi.
Sur ces questions, le Secrétaire général a apporté des réponses circonstanciées et prudentes.


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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 21 novembre 2012, Séance de 9 heures 30

€“ Auditions sur la question prioritaire de constitutionnalité :
€“ Audition de M. Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel 3
€“ Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, et de M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d’État
€“ Audition de M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation

Mme Marietta Karamanli.

La QPC, dont vous avez montré les bénéfices pour nos concitoyens, peut-elle aussi devenir un moyen de créer des incidents de procédure ?
La forte juridictionnalisation de la QPC ne devrait-elle pas conduire à modifier la composition du Conseil constitutionnel ?

Bien que ses membres actuels aient d’éminentes qualités, ne serait-il pas utile d’assurer une meilleure représentation des spécialistes du droit ?

M. Marc Guillaume.

Vous m’avez interrogé, monsieur Geoffroy, sur le stock et sur le flux des lois. Il est vrai que les grandes lois emblématiques, touchant par exemple à la garde à vue, à la privation de liberté ou à l’hospitalisation sans consentement, ont déjà été soumises au Conseil constitutionnel. L’expérience à l’étranger, déjà vieille de cinquante ans, montre cependant que les saisines des cours constitutionnelles vont croissant €“ elles s’élèvent par exemple à 6 000 pour la Cour constitutionnelle allemande. Loin de s’éteindre, la procédure visera de plus en plus les détails de la loi, même si je ne crois pas davantage à une explosion du nombre des procédures. Quoi qu’il en soit, nous nous efforcerons d’établir des statistiques en fonction de l’ancienneté des lois, comme vous l’avez suggéré.

Pour les lois nouvelles, le Conseil peut toujours être saisi par soixante députés ou sénateurs. Il se trouve que, depuis l’entrée en vigueur de la QPC, le nombre de saisines a priori a augmenté dans des proportions considérables : c’est sans doute que les parlementaires préfèrent saisir le juge constitutionnel avant qu’un particulier ne le fasse via la QPC.

Quant aux textes consensuels, la saisine du Conseil constitutionnel est toujours possible. Le président Séguin avait recouru à cette procédure pour la loi bioéthique, et les présidents des deux assemblées avaient fait de même en 2010 sur la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Le rapprochement avec la loi sur le harcèlement me semble infondé puisque, dans ce dernier cas, des associations féministes étaient elles aussi favorables à la censure des dispositions concernées, dont la rédaction était si mauvaise, selon elles, qu’elles n’étaient presque jamais appliquées.

Pour ce qui est des incidents de procédure, madame Karamanli, nous aimerions, en effet, mieux savoir comment la procédure est appréhendée par les juges a quo.

En tout état de cause, le problème semble ne se poser que dans le domaine pénal. Il serait peut-être utile, pour les seuls procès pénaux ayant fait l’objet d’une instruction, de transposer la règle applicable aux procès d’assises, dans la mesure où les instructions pénales sont très longues €“ ce qui laissait d’ailleurs supposer que les requérants disposaient du temps nécessaire pour soulever une QPC pendant cette étape de la procédure. Il est vrai que les statistiques que je vous ai données sont étonnantes, et autorisent à penser qu’elles résultent de quelque raison de procédure.

Je garde la question de la composition du Conseil constitutionnel pour la fin, ce qui me permettra de ne pas y répondre si le temps est écoulé. (Sourires.)