« Garde à vue : jour J +1 d’une réforme nécessaire mais insatisfaisante » par Marietta KARAMANLI (1)

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Les 5 et 6 avril je suis intervenue à plusieurs reprises lors de la discussion en séance publique sur le projet de loi portant réforme de la garde à vue. L’adoption d’un nouveau texte de loi a été rendue indispensable après la décision du Conseil Constitutionnel qui, saisi à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (lors d’un procès une des parties peut demander à une juridiction de vérifier qu’un texte de loi est conforme à la Constitution en saisissant préalablement soit la Cour des Cassation soit le Conseil d’Etat), a estimé que les dispositions applicables n’étaient pas constitutionnelles. Le gouvernement a été obligé de faire adopter dans une certaine urgence un nouveau texte et ce alors même que les députés socialistes et certains députés de l’UMP avaient demandé il y a déjà plusieurs mois avec insistance une réforme et que le gouvernement en avait rejeté le principe en faisant valoir la nécessité d’une réforme plus globale de la procédure pénale€¦qui en fait a été abandonnée par le gouvernement.
Lors de mon intervention en discussion générale, j’ai fait valoir que ce texte présentait trois inconvénients : il ne fait pas de la garde à vue une mesure exceptionnelle ce qui devrait pourtant être le cas ; il instaure une période « avant-garde à vue » (vous pouvez par exemple être convoqué ou entendu par la police en ayant la possibilité d’y mettre fin) pendant laquelle le droit d’être assisté par un avocat n’est pas garanti, cette période « avant » ne peut être dite libre (vous êtes « invité » sans avoir la possibilité vraiment d’y échapper sauf peut-être à refuser et être alors mis en garde à vue) et sans qu’aucune limite dans le temps ne soit fixée ; enfin la garde à vue est placée sous le contrôle du Procureur de la République qui n’est pas considéré par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme un magistrat indépendant du fait de ses modalités de nomination et de carrière. En tout état de cause ce projet constitue un progrès certes incomplet mais applicable depuis hier. La Cour de cassation a en effet décidé que la présence effective d’un avocat aux conditions ici rappelées était de droit depuis la publication de la loi au journal officiel le 15 avril 2011.


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Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011
Compte rendu intégral, Deuxième séance du mardi 5 avril 2011

Garde à vue

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous commençons à débattre aujourd’hui d’un texte important pour les libertés individuelles et la justice. Celle-ci est en effet censée incarner à la fois les impératifs de l’ordre public et ceux de la recherche de la vérité. Cela m’amène à développer trois idées.

Tout d’abord, je note, comme d’autres collègues sur l’ensemble des bancs, le caractère inachevé de la réforme.

Pendant de nombreux mois, les observations et propositions de l’opposition, mais aussi d’un certain nombre de collègues de la majorité, appelant à modifier les dispositions applicables se sont heurtées à une forme d’autisme de vos prédécesseurs, monsieur le garde des sceaux. Ceux-ci prétendaient que le régime appliqué en France ne contrevenait en rien aux principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme. Il a fallu une décision du Conseil constitutionnel s’imposant à tous les pouvoirs publics et une date limite d’adoption d’une législation nouvelle pour que nous puissions discuter d’un projet de loi sur la garde à vue.

Cette remarque préliminaire renvoie à deux constats.

Premièrement, ce projet est examiné en dehors de toute autre modification de la procédure pénale, pourtant annoncée ici même. Pour refuser toute amélioration partielle de la garde à vue, je me souviens qu’on avait opposé aux députés socialistes qu’une réforme de celle-ci était consubstantiellement liée à une réforme des autres dispositions de la procédure, laquelle, de toute évidence, ne viendra pas, en tout cas pas sous cette législature.

Deuxièmement, ses articles 1er et 2, dans le texte du Gouvernement, inscrivent la garde à vue dans le cadre des décisions et du contrôle exercé par le procureur de la République. Malgré les interprétations rassurantes qui nous sont données, celui-ci ne constitue pas, selon les standards de la justice européenne, une autorité judiciaire indépendante, autorité seule à même d’ordonner le placement sous contrainte, la prolongation de la mesure, le contrôle de son bon déroulement.

Nous ne pouvons donc que regretter que ce projet important soit marqué par l’urgence de son adoption et ne prenne qu’insuffisamment en compte son environnement solidaire, à savoir une adaptation des autres dispositions de procédure pénale et la modernisation du statut du parquet.

Deuxième idée : le dispositif proposé est en lui-même insuffisant pour garantir les droits des justiciables.

D’une part, la rédaction actuelle ne fait pas de la garde à vue une mesure de contrainte exceptionnelle puisque l’énumération à l’article 1er des objectifs poursuivis, aussi louable soit-elle, constitue plutôt une liste de motifs variés pouvant justifier la garde à vue qu’une limitation de principe à son recours.

D’autre part, l’article 11 bis relatif à la période dite « sans contrainte » pouvant précéder la garde à vue ne retient pas le principe selon laquelle toute personne invitée par la police ou par la justice peut se faire assister par un avocat.

En l’état, cette disposition introduit donc un régime sans droits pour la personne auditionnée par le policier enquêteur alors même qu’aucune durée à cette audition n’est fixée.

Il conviendrait que toute personne entendue ou pouvant être mise en cause ait le droit d’être assistée d’un avocat dès qu’elle est invitée ou convoquée par toute autorité exerçant l’action publique, et que ce droit lui soit rappelé dès qu’elle est dans une telle situation. Cette seule mention suffirait à lever toute ambiguïté. Or elle n’y figure pas.

Enfin, je l’ai déjà souligné, le contrôle de la garde à vue est confié au procureur, juge par statut, et non à un véritable magistrat rendant des décisions juridictionnelles. De nombreuses voix s’élèvent pour demander que la garde à vue soit placée sous la responsabilité d’un magistrat indépendant. À cette fin, le choix devrait être fait de donner cette responsabilité au juge des libertés et de la détention, qui serait doté du pouvoir, sur saisine de la personne gardée à vue ou de son avocat, de mettre fin à tout moment à la mesure après un débat contradictoire.

Le dernier point de mon intervention porte sur la réticence de votre gouvernement à accepter la présence d’un avocat lors la garde à vue, réticence qui parasite l’adoption d’un texte cohérent avec les exigences constitutionnelles et comparable aux dispositions les plus avancées adoptées par d’autres États européens. Le Gouvernement paraît toujours douter du fait que la garde à vue encadrée soit un plus pour les citoyens. Peut-être pense-t-il que donner des droits à une personne, c’est donner l’impression à l’opinion publique de reculer en ce qui concerne la force de la répression ?

À cet égard, je ferai trois observations.

Trop souvent, l‘argument du droit applicable dans d’autres pays comparables est utilisé pour diminuer les droits économiques et sociaux, et, à l’inverse, quand les ressources du droit européen valorisent les libertés individuelles, elles sont réfutées au nom d’un pouvoir souverain pour juger de ce qui est bon pour nos concitoyens et ne pas s’en laisser compter par les autres.

Pourtant, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, au Danemark, en Allemagne, l’avocat est présent tout au long de la procédure, certes sous des formes diverses et variées : présence constante en Espagne, intervention sur tous les actes en Italie, présence de droit si elle est demandée en Grande-Bretagne,€¦

M. Philippe Goujon.

La garde à vue peut y durer vingt-six jours !

Mme Marietta Karamanli. €¦consultation à tout moment si souhaitée, même s’il faut interrompre les interrogatoires en Allemagne, participation aux interrogatoires au Danemark. Il est donc possible de parler d’un véritable modèle européen des garanties données aux personnes interrogées et auditionnées par la police et par la justice.

Ce ne sont pourtant pas « les résultats, l’efficacité ou la performance », pour reprendre des mots très chers au Président de la République, qui sont en cause dans la plupart de ces pays. Dans le rapport de 2010 de la commission européenne pour l’efficacité de la justice, dépendante du Conseil de l’Europe, il était noté que la France présentait la particularité d’un pourcentage important d’affaires classées sans suite parce que les auteurs n’étaient pas identifiés €“ près de 55 % €“, et ce alors même que, dans plusieurs autres pays cités, le taux d’affaires classées sans suite par défaut d’identification y était sensiblement plus faible.

Une réforme de la garde à vue allant dans le sens d’une meilleure reconnaissance des droits des personnes mises en cause n’est donc pas de nature à diminuer l’efficacité des poursuites ; à l’inverse, une réforme inachevée, insuffisante et susceptible de générer de nouveaux errements est de nature à faire douter nos concitoyens de l’institution judiciaire et de l’égalité de traitement qu’elle leur réserve.

Chers collègues, dès lors, le risque que vous prenez en n’améliorant pas les droits des personnes est bien celui de fragiliser la justice non seulement comme organe de l’État mais aussi comme pratique sociale.
J’espère que ces quelques réflexions vous amèneront collectivement à modifier ce texte. En l’état actuel, nous ne pourrons pas le voter.

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)