« Garde à vue : jour J +1 de la présence effective d’un avocat, la garde à vue restera-t-elle bien une mesure exceptionnelle ?» par Marietta KARAMANLI (2)

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Lors de la discussion en séance publique du projet de loi, je suis intervenue sur l’article 1 du texte, pour m’inquiéter de son caractère vraiment exceptionnel. En effet c’est notamment l’augmentation invraisemblable du nombre de gardes à vue qui a certainement motivé la décision du Conseil Constitutionnel près de 800 000 en 2009. Il convient donc d’être vigilant sur le fait qu’elle reste une procédure de dernier recours. Malheureusement la rédaction même du texte ne me paraît le garantir ; en effet le premier motif est celui de « permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne », ce qui peut en pratique couvrir toutes diligences à opérer pour faire apparaître la liberté. Par ailleurs j’ai fait valoir qu’il serait opportun que l’article mentionne le respect de la dignité des personnes et garantisse le droit au repos, le droit de boire et de manger, celui de satisfaire ses besoins naturels. Ma collègue Colette LANGLADE a défendu un amendement allant dans ce sens.


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Compte rendu intégral, Assemblée nationale, XIIIe législature
Session ordinaire de 2010-2011, Séance du mercredi 6 avril 2011

Garde à vue

Discussion des articles

Article 1er

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, inscrite sur l’article 1er.

Mme Marietta Karamanli.

Cet article fixe la liste limitative des motifs pour lesquels la garde à vue peut être décidée et mise en Å“uvre. À cet égard, je voudrais vous faire part de deux observations.

La garde à vue devrait rester exceptionnelle. Or le mot lui-même ne figure même pas dans le texte, lequel assigne à la garde à vue des objectifs qui ne garantissent pas qu’elle sera exceptionnelle.

Le premier objectif €“ « permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne » €“ est, par définition, très large. Si l’audition de la personne soupçonnée fait partie des investigations, il est certain que toute infraction permettra un placement en garde à vue. Il semblerait donc opportun de préciser les investigations en question : une perquisition, ou une confrontation, par exemple.

Par ailleurs, le texte définit la personne pouvant être mise en garde à vue comme celle « à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis » une infraction. La notion de « raison plausible » s’est substituée à la référence à « un ou plusieurs indices laissant présumer la commission d’une infraction ». Cette formule avait au moins le mérite de renvoyer à la notion d’indice, qui est une objective, alors que celle de « raison plausible » est bien plus subjective et bien moins précise.

Ma seconde remarque porte sur le principe de la dignité des personnes retenues sous contrainte de la police et de la justice. Ce principe n’est pas, lui non plus, mentionné dans le texte.

Comme l’a rappelé la commission parlementaire d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau, commission dont nos collègues Vallini et Houillon étaient respectivement président et rapporteur, la pression psychologique exercée à l’égard des personnes en garde à vue ne doit pas se transformer en violence psychologique et amener à faire « céder » une personne innocente en la conduisant à reconnaître des faits.

D’autres affaires pénales ont montré comment des gardes à vue menées de façon « virile », selon les dires mêmes de ceux qui en étaient chargés, sur des personnes en état de choc ou de faiblesse €“ comme nous pourrions l’être, les uns ou les autres, dans des situations comparables €“, ont pu participer à de véritables désastres d’instruction.

Il est donc clair que la garde à vue doit se faire dans le respect de la dignité des personnes retenues. Le droit au repos, le droit de boire et de manger, celui de satisfaire ses besoins naturels peuvent apparaître comme de simples déclinaisons du respect de la personne. Ils n’en restent pas moins fondamentaux et devraient, à ce titre, être mentionnés dans la loi.

M. le président.

Je suis saisi d’un amendement n° 96.

La parole est à Mme Colette Langlade.

Mme Colette Langlade.

Cet amendement va dans le sens de ce que vient de dire notre collègue Karamanli. Il vise à rappeler le principe contenu dans l’avis du 6 janvier 2011 de la CNCDH, selon lequel l’audition hors garde à vue doit être renforcée et la garde à vue doit être un dernier recours. Cet amendement apporte des précisions sur la durée de l’audition hors garde à vue et sur les droits dont la personne entendue doit être informée dès le début de son audition.

Cette personne ne doit pouvoir, par ailleurs, être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63.

M. le président.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Gosselin, rapporteur.

Avis évidemment défavorable. Cet amendement a en réalité pour objectif de rétablir, indirectement, l’audition libre. Or celle-ci a été, à juste titre, supprimée par notre assemblée et cette suppression a été évidemment maintenue par le Sénat. Adopter un tel amendement reviendrait donc à compromettre l’équilibre que j’évoquais il y a un instant.

D’autre part, l’article 11 bis satisfait l’objectif affiché par Mme Langlade : la garde à vue est le dernier recours. Cet article prévoit que le recours à la garde à vue n’est pas obligatoire €“ c’est un principe qui relève du bon sens, mais encore fallait-il le rappeler €“, ni en cas de flagrance, ni à la suite d’un placement en cellule de dégrisement, ni à la suite d’un contrôle de dépistage d’alcoolémie ou d’usage de stupéfiants au volant, ce qui permettra vraisemblablement de diminuer très sensiblement le nombre des gardes à vue qualifiées de « routières ».

M. le président.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.

Mon avis est à peu près le même que celui du rapporteur.

Il est défavorable sur le fond. Cet amendement est pour partie satisfait. Le caractère subsidiaire de la garde à vue résulte déjà du projet de loi, notamment du nouvel article 62-3 du code de procédure pénale, qui prévoit que la garde à vue doit être l’unique moyen de parvenir à certains objectifs, lesquels sont énumérés de façon limitative par la loi.

Pour ce qui est de l’autre partie de cet amendement, comme l’a très bien dit le rapporteur, elle revient à rétablir l’audition libre, que l’Assemblée nous a demandé de supprimer, demande à laquelle le Gouvernement a bien volontiers donné satisfaction. Nous n’allons donc pas instaurer l’audition libre après l’avoir supprimée.

(L’amendement n° 96 n’est pas adopté.)