Le 6 avril 2011 lors de la discussion des articles du projet de loi relatif à la garde à vue, je suis intervenue pour interroger le gouvernement sur la portée de l’article 11 bis qui institue une période d’audition avant la garde à vue et dont le régime juridique apparaît flou. Comme je l’ai dit une audition conduite après une convocation ou interpellation à laquelle une personne aurait obéi €“ cela peut concerner également une personne susceptible d’être mise en cause €“ ne peut pas lui donner le sentiment qu’il s’agit d’une situation de liberté. Dans ce cas il faut rappeler à la personne entendue ses droits, lui dire qu’elle peut bénéficier de la présence d’un avocat et que la durée de cette audition soit être imitée. Je ne suis pas la seule députée à avoir posé la question de cette audition libre comme l’a fait après moi mon collègue Jean-Paul LECOQ député communiste. Le ministre de la justice après avoir affirmé que mes propos tendaient à récréer cette période a en fait confirmé qu’elle existait « L’audition d’une personne qui vient librement dans les locaux de police est possible, comme l’indique l’article 11 bis » mais sans que son régime juridique soit précisé et que les droits de la personne entendue soient affirmés. Il convient de rappeler, ici, que lors de l’examen en première lecture du texte, j’avais souligné l’importance que des crédits soient prévus et dédiés à la rémunération des avocats pour les personnes ne pouvant payer leur intervention auprès d’eux.
Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011
Compte rendu intégral, Séance du mercredi 6 avril 2011
Article 11 bis
M. le président.
La parole est à Mme Marietta Karamanli, inscrite sur l’article.
Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le président, j’ai écouté attentivement les propos de M. le ministre et de M. le rapporteur. Il y a été question à plusieurs reprises d’auditions, et lorsqu’on examine l’article 11 bis, on voit bien qu’il réinvente ce qui s’est appelé, un temps, l’« audition libre ».
M. Michel Mercier, garde des sceaux.
C’est vous qui l’avez réinventée tout à l’heure.
Mme Marietta Karamanli.
Je formulerai deux remarques.
Premièrement, ce qui caractérise cette période susceptible de précéder la garde à vue, c’est l’absence de droits reconnus aux personnes ainsi entendues.
Une audition conduite après une convocation ou interpellation à laquelle une personne aurait obéi €“ cela peut concerner également une personne susceptible d’être mise en cause €“ ne peut pas lui donner le sentiment qu’il s’agit d’une situation de liberté.
Du reste, l’audition d’une personne mise en cause ne peut jamais être considérée comme vraiment libre, puisqu’un refus de celle-ci est susceptible de générer des mesures coercitives.
Aujourd’hui, eette phase n’est plus définie par son caractère de liberté, mais par son antériorité à la période de contrainte que constitue la garde à vue elle-même. De la sorte, n’étant pas encore une garde à vue, elle échapperait aux prescriptions liées à ce régime.
Deuxièmement, le projet de loi, dans cette procédure, ne donne aucune garantie aux personnes. Or, dès qu’une personne est entendue par la police ou la gendarmerie dans le cadre d’une enquête judiciaire, elle est susceptible d’être mise en cause. Elle doit donc avoir au moins le droit de demander l’assistance d’un avocat. Ce droit devrait lui être rappelé d’emblée, au moment de la convocation ou de son arrivée dans les locaux. Les faits pour lesquels la personne est convoquée ou entendue devraient aussi lui être notifiés, ainsi que leur qualification pénale et son droit de ne parler qu’en présence d’un avocat.
Enfin, l’article 11 bis ne fixe pas de durée maximale à l’audition. C’est, me semble-t-il, une insuffisance majeure, qui a pour effet de vicier radicalement le texte.
L’avant-projet de réforme du code de procédure pénale, en 2010, fixait la durée maximale de l’audition à quatre heures, à compter de l’interpellation.
Une limitation est fondamentale pour les personnes mises en cause. On ne peut pas accepter de laisser la durée d’une rétention à l’appréciation d’un officier de police judiciaire. La prétendue absence de contraintes dont bénéficieraient les personnes entendues sous ce régime ne doit pas non plus nous conduire à réduire leurs droits. Il convient de rappeler que la Cour de cassation a toujours entendu limiter à quatre heures la durée d’une audition pour témoins. On devrait, à tout le moins, consacrer cette juste limitation.
Pour ces raisons, il me semble que l’article 11 bis rétablit insidieusement ce qu’était auparavant l’audition libre.
M. le président.
Je suis saisi d’un amendement no 65.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq.
Monsieur le ministre, l’article 11 bis est un des points les plus problématiques du projet de loi, en ce qu’il nous semble pouvoir être lu comme une tentative de réintroduction discrète de la procédure de l’audition libre.
En effet, cet article permet aux OPJ d’auditionner et d’interroger « librement » des personnes suspectes qui remplissent pourtant tous les critères pour être entendus sous le régime de la garde à vue. Cela signifie qu’ils seront entendus sans bénéficier des droits ouverts par le placement en garde à vue, à savoir l’assistance d’un avocat.
Comme nous l’avions réclamé en première lecture, la moindre des choses nous semblait de signifier aux personnes mises en cause leur liberté de quitter les locaux de police ou de gendarmerie, sans quoi cette procédure « d’audition sans contrainte » aurait eu toutes les apparences d’un traquenard. Le Sénat, entendant notre inquiétude et celle des avocats, nous a donné satisfaction sur ce point.
Cependant, il convient encore de préciser €“ c’est l’objet de notre amendement n° 65 €“que cette information doit se faire « dès l’arrivée » de la personne mise en cause dans les locaux.
D’autre part, cette petite amélioration n’enlève pas les doutes sur l’opportunité d’un tel dispositif, qui vient se substituer à la garde à vue sans ouvrir les droits afférents à ce régime, à savoir la présence d’un avocat. Ce point n’est pas sans gravité, puisque, dans ce cas, le présent article est anticonstitutionnel et contraire au droit conventionnel. Dans les deux cas, la faculté d’être assisté par un avocat et de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont des réquisits inévitables.
C’est la raison pour laquelle nous proposons un autre amendement, n° 66, destiné à compléter le présent article pour permettre aux personnes auditionnées sous ce régime de bénéficier de l’assistance d’un avocat,
De plus, en l’état actuel du texte, ce régime d’audition n’est pas limité dans le temps, et autorise virtuellement les OPJ à « cuisiner » – pardonnez-moi l’expression – la personne mise en cause autant qu’ils le souhaitent !
Enfin, le fait de notifier à la personne auditionnée qu’elle a le droit de quitter les lieux ne garantit pas l’effectivité de ce droit. En effet, les OPJ disposeront d’une arme de procédure dissuasive au cas où la personne quitterait effectivement les locaux : la possibilité de la faire revenir sous le régime de la garde à vue en bonne et due forme. La menace de la privation de liberté pourra convaincre les personnes récalcitrantes de rester dans les locaux et de contribuer à leur propre incrimination, sans assistance d’un avocat, au mépris de toute la jurisprudence conventionnelle. Dans cette procédure-là, monsieur le ministre €“ je vous interpelle à nouveau sur votre premier amendement €“ l’auto-incrimination sera-t-elle ou non prise en considération ? Votre amendement s’applique-t-il au seul régime de la garde à vue ou dans tous les cas ?
On le voit, la cuisine procédurale introduite à cet article ne va pas sans poser de graves difficultés. Il importe donc de voter les deux amendements proposés.
M. le président.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 65 et 66 ?
M. Philippe Gosselin, rapporteur.
Madame Karamanli, il ne s’agit pas de réintroduire l’audition libre. Nous l’avons clairement éliminée dès le premier tour, si je puis dire. Le Sénat nous a suivis sur ce point. Il ne s’agit donc pas de faire rentrer par la fenêtre ce qui a été évacué par la porte. Quelques tentatives de réintroduction ont eu lieu, mais cela n’a pas marché.
M. Michel Mercier, garde des sceaux.
Vous-même avez essayé de la réintroduire, madame Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Il faut suivre la Cour de cassation !
M. Philippe Gosselin, rapporteur.
Monsieur Lecoq, vous avez employé des termes comme « traquenard » ou « cuisiner ». Je ne souhaite pas faire de polémique, mais ils me semblent un peu forts.
M. Jean-Paul Lecoq.
C’est parce que vous n’avez pas connu ces situations !
M. Philippe Gosselin, rapporteur.
Je n’ai pas encore été mis en garde à vue pour le moment. Mais je n’insulterai pas l’avenir, cela peut nous arriver à tous demain.
Les termes que vous avez utilisés me paraissent, disais-je, un peu spécieux. En effet, le projet de loi dispose que la personne est informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie à l’issue d’une retenue en cellule de dégrisement ou à l’issue d’un contrôle d’alcoolémie ou d’un dépistage de stupéfiants. Or ces derniers peuvent être réalisés au sein même des locaux de police ou de gendarmerie. Ainsi, lorsque la personne se verra délivrer cette information, il est vraisemblable qu’elle sera en réalité présente dans les locaux depuis déjà quelques heures. Il n’est donc pas possible d’inscrire dans la loi que cette information lui est donnée dès son arrivée, c’est-à-dire, dans certains cas, avant son placement en cellule de dégrisement ou avant la réalisation d’un contrôle d’alcoolémie, voire d’un dépistage de stupéfiants. C’est une question de coordination et de cohérence. C’est une difficulté, au-delà du « traquenard », de la « cuisine », etc.
La commission est donc défavorable aux amendements nos 65 et 66.
M. le président.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux
Monsieur Lecoq, il faut prendre les textes dans le sens qu’ils peuvent avoir plutôt que d’une façon où ils n’auraient pas de sens.
L’audition d’une personne qui vient librement dans les locaux de police est possible, comme l’indique l’article 11 bis. Cette disposition n’est pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire ; si les conditions sont réunies, il doit à ce moment-là prononcer la garde à vue. Les choses sont simples et claires. On ne va pas entendre quelqu’un si on n’a rien à lui demander ; la personne doit être soupçonnée d’un certain nombre de choses.
Si la personne est entendue et vient librement, elle pourra partir quand elle le voudra, comme le prévoit le texte. L’OPJ pourra à tous moments la placer en garde à vue, si cela s’avère nécessaire, et on entre alors dans le droit commun.
L’article 1er A s’applique dans toutes les hypothèses. « En matière criminelle et correctionnelle, les déclarations faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ne peuvent servir à elles seules de fondement à une condamnation prononcée contre une personne. » Cela ne peut pas être plus clair. C’est pour cette raison que nous avons mis cette disposition en tête du texte. Ce qui m’étonne, c’est que j’aie eu tant de peine à vous convaincre de la mettre à cet emplacement-là.
(L’amendement n° 65 n’est pas adopté.)