« Glyphosates et autres pesticides, fixer collectivement une date de sortie, faire un bilan de leurs conséquences sanitaires et environnementales par un groupe de travail inter-parlements, affecter des moyens dédiés à la recherche d’alternatives et élaborer un plan de transition » par Marietta KARAMANLI

Le 10 avril 2019 j’ai présenté avec Eric Andrieu, député européen et Président de la Commission spéciale du Parlement européen sur les pesticides (PEST), la position et le travail en commun mené avec les députés socialistes au Parlement Européen. Voir aussi l’article de La France Agricole

Comme secrétaire de la commission des affaires européennes je mène avec mes collègues un travail  sur « les conséquences sanitaires et environnementales de l’usage des pesticides en Europe ».

Sur ce sujet, compte tenu d’avis parfois « opposés » des experts, j’ai néanmoins proposé d’ « avancer » en fixant tout d’abord une date d’interdiction qui permette aux acteurs d’anticiper en faisant évoluer leurs pratiques.

Il convient aussi de prévoir ensuite, selon moi, des alternatives au(x) produit(s) actuel(s) ainsi qu’un plan de transition par étape pour les agriculteurs.

Dans le cadre d’une première audition nous avons accueilli notre collègue député européen Eric Andrieu,  Président de la Commission spéciale du Parlement européen sur les pesticides (PEST),.

Je lui ai demandé  qu’il fasse part des résultats de cette commission et des suites qui lui seront données.

Notre collègue Serge Letchimy, député présent a aussi mentionné aussi la création prochaine d’une commission d’enquête sur le Chlordécone qu’il a demandé dans le cadre du droit de tirage du groupe socialiste.

Eric Andrieu avait mentionné le fait qu’il sera en Martinique les 23 et 24 avril 2019 et que les départements d’Outre-mer, notamment ceux de la Caraïbe, étaient les 3èmee consommateurs de glyphosate en France.

I Concernant la sortie du Glyphosate, ma position a été et reste très claire en faveur de l’interdiction du Glyphosate.

Comme indiqué plus haut, j’ai cosigné plusieurs amendements au projet de loi dit « EGalim » ( ce texte est devenue la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) dont plusieurs portaient sur les produits phytosanitaires avec pour objectif de mieux les contrôler ou de les interdire.

Vous pouvez consulter ces amendements sur le site de l’Assemblée Nationale

Préalablement à la discussion publique en 1ère lecture, la Commission des affaires économiques de l’Assemblée avait examiné les amendements en question et les avait refusés ; il en allait ainsi pour l’amendement relatif à l’interdiction du Glyphosate. Je ne participe pas à cette commission n’en étant pas membre et ne pouvant voter. Le groupe « socialiste» auquel j’appartiens, y est représenté au prorata de son effectif total et l’amendement sur l’interdiction du Glyphosate a été défendu par mon collègue Guillaume GAROT. Je cite son propos « Je regrette le retrait de cet amendement qui avait été mis au point à la commission développement durable. Il avait le mérite de la sagesse, de la cohérence et de l’efficacité. Si on ne fixe pas un terme, on n’arrivera pas à changer les choses. Le grand mérite de cet amendement était de fixer une échéance. »

Comme le dit l’éminent professeur de droit constitutionnel Jean Gicquel, « le sort du texte est scellé dès cet instant ».

J’ai par ailleurs voté contre le projet de texte (dans son ensemble en 1ère lecture) et notamment à raison du refus de la majorité de l’interdiction de ce produit. Vous pouvez consulter le site de l’Assemblée Nationale qui recense mon vote contre !

En nouvelle lecture des amendements le samedi 15 septembre à 4 heures du matin, le groupe parlementaire auquel j’appartiens a soutenu l’ensemble des amendements visant à interdire la glyphosate (voir en sens les interventions de mes collègues Olivier Faure et Guillaume Garot).

Enfin j’ai voté contre le projet lors de son adoption d’ensemble le 2 octobre 2018.

Sans volonté réelle de compromis de la part du Gouvernement et de sa majorité, aucune disposition contraire à son orientation ne pouvait être adoptée définitivement.

II Mes initiatives personnelles dans le domaine des produits phytosanitaires en général

Avant même la discussion du projet de loi, j’avais, par une question écrite parue au Journal Officiel le 3 juillet 2018 interrogé, le gouvernement sur la nécessaire réduction des produits phytosanitaires.

J’ai notamment insisté sur la nécessité d’une harmonisation européenne à l’égard des pays tiers et au sein de l’Union, une augmentation significative des moyens de recherche-innovation, une utilisation plus raisonnable et adaptée des pesticides comme pistes possibles.

Vous pouvez retrouver ma question sur le site de l’Assemblée Nationale

III Sur les conséquences sanitaires et environnementales de l’usage des pesticides en Europe ( je vous propose le compte-rendu fait de l’audition de notre collègue député européen faite le 10 avril 2019)

Compte rendu de l’audition menée par Marietta Karamanli, Serge Letchimy, Dominique Potier, députés socialistes et apparentés (Assemblée Nationale)

Eric Andrieu a retracé le contexte particulier de la création de la commission spéciale au Parlement européen qui a été marqué par trois éléments :

–              la parution des Monsanto Papers,

–              l’initiative citoyenne européenne « Stop Glyphosate » qui a recueilli plus d’1,3 millions de signatures

–              la controverse entre agences sanitaires dans laquelle le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) classe le glyphosate « cancérigène probable » tandis que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) affirme le contraire.

À l’époque, en novembre 2017, le Parlement européen a voté la sortie en 5 ans du glyphosate : 2 ans d’autorisation, 1 an pour préparer la sortie et 1 an pour épuiser les stocks. En parallèle, suite à la controverse scientifique. Eric Andrieu propose en avril 2017s la création d’une commission spéciale pour tenter d’investir le sujet et de trouver une issue en établissant les faits. A l’époque, la droite ne voulait pas en entendre parler et le débat se composait de deux camps irréconciliables entre pro-business et pro-santé humaine. Eric Andrieu a tenté d’apaiser le climat en affirmant que le Parlement européen n’avait pas vocation à être ni une ONG, ni un tribunal, son objectif étant de se préoccuper de légiférer pour l’avenir. Il établit alors un cahier des charges très précis ayant vocation à préciser l’objet de la commission spéciale. Pour ce faire, il propose alors de vérifier et de contrôler, étape par étape, les différentes séquences du protocole d’autorisation du glyphosate. Personne alors n’avaient une vue globale. Il s’est ainsi rendu compte que les industries avaient investies à un degré ou un autre toutes les étapes du protocole d’autorisation. Il s’est également rendu compte que les objectifs de l’industrie ne consistaient qu’à trouver la molécule pour éliminer les insectes nuisibles, en dehors de toute préoccupation des conséquences potentielles environnementales ou sanitaires.

Dans les travaux de la commission PEST, notre collègue a pointé certaines incongruités comme le fait que l’industrie peut choisir l’Etat membre chargé d’évaluer la molécule ou que dans les recommandations des agences nationales d’évaluation se retrouvent de nombreux plagiats ou copier-coller provenant directement des évaluations de l’industrie.

►Le rapport de la Commission PEST du Parlement européen revient sur la possibilité pour l’industrie de choisir l’Etat membre responsable de l’évaluation de la molécule.

Après avoir rendu son étude, l’agence nationale d’évaluation l’envoie à un comité d’experts nommés par l’EFSA. Eric Andrieu s’est alors interrogé sur la manière dont était composé ce comité d’experts. L’agence européenne EFSA fait tout d’abord un appel à experts et suivant leurs profils et leurs compétences elle sélectionne comme cela 20 experts sur 200 par exemple.

►Eric Andrieu propose que cela ne soit pas l’EFSA qui nomme les experts mais que soit constitué un comité ad hoc composé de scientifiques et de magistrats afin d’éviter tout conflit de compétences.

La décision d’autorisation est d’importance. En effet, une fois l’autorisation donnée par l’EFSA, c’est le marché mondial qui est ouvert pour au moins 10 ans sans autre forme de contrôle pour les molécules autorisées.

Ces évaluations sont très complexes à réaliser car même si une molécule active peut ne pas présenter en elle-même une forme de toxicité, elle peut lorsqu’elle est associée à d’autres éléments dans le cadre d’un produit fini présenter cette fois-ci de telles caractéristiques.

►De ce point de vue, Eric Andrieu pointe une autre incongruité : si la molécule active est autorisée au niveau européen via l’EFSA, le produit fini, qui lui peut être toxique, est autorisé au niveau national. Il propose que les molécules comme les produits soient autorisés au niveau européen.

Eric Andrieu indique avoir reçu l’engagement du commissaire européen à la santé à ce que son successeur engage la modification du règlement n°1107 de 2009 relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques au cours de la prochaine mandature 2019-2024.

Il précise que pour 90% de l’utilisation agricole, nous n’avons pas besoin de glyphosate. Il reste à trouver des alternatives pour les 10% des besoins restant. Mais il n’y a pas un secteur de l’agriculture qui ne puisse pas se passer des pesticides. Il conviendrait de renforcer la recherche pour essayer de substituer une molécule à une autre. C’est possible. Beaucoup de vignerons aujourd’hui utilisent des produits bio.

Dominique Potier, député,  affirme le fait que l’on ne part pas de zéro et que l’action des socialistes sur ce sujet a une antériorité : il mentionne le rapport « Ecophyto II » qu’il avait remis en décembre 2014 au Premier ministre de l’époque, Manuel Valls. Il propose de se fixer une date 2050 avec l’objectif d’une Europe sans pesticide d’ici 30 ans qui permettrait de réfléchir sur les voies alternatives et leur financement.

Eric Andrieu évoque lui la nécessité de suspendre tout de suite la molécule de glyphosate en vertu du principe de précaution prévu dans l’article 191 paragraphe 2 du TFUE et qui prévoit que « La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement est fondée sur les principes de précaution ». Il mentionne le fait que chaque jour des procès remettent en cause les produits phytosanitaires qui en contiennent.

L’état du débat européen peut par ailleurs apparaître équivoque : le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement a voté pour un prolongement de 5 ans la durée d’utilisation du glyphosate avant un possible voire un probable renouvellement alors que le Parlement européen a lui voté également une sortie du glyphosate en 5 ans. Dans le cadre Horizon Europe, le Parlement propose une enveloppe de 120 milliards d’euros pour 2021-2027 pour la recherche européenne. Ce budget doit être utilisé pour notamment permettre le développement d’alternatives au glyphosate.

Eric Andrieu mentionne le fait que pour sortir par le haut de ces débats et controverses, il faut repenser les enjeux à travers un triptyque indissociable : agriculture, santé, alimentation. Il faut d’abord penser les enjeux en ayant le souci de la santé humaine, qui nécessite le fait que les aliments contiennent de nouveau en quantité suffisante des nutriments essentiels et ne soient pas toxiques. Pour cela, nous avons besoin de faire évoluer notre modèle agricole vers une agriculture bio.

Enfin, Eric Andrieu  est revenu sur la décision des chefs d’Etat et de Gouvernement du 27 novembre 2017 au moment où ils ont de nouveau autorisé le glyphosate sur 5 ans. La décision se prenait à la majorité qualifiée qui nécessite dans l’UE une majorité de 55% des voix représentant au moins 65% de la population de l’Union. La majorité qui l’a emportée n’a été de 65,71%. Cela signifie que si le Président français avait vraiment voulu s’engager contre l’autorisation du glyphosate, il aurait pu trouver le soutien d’un autre pays, ne serait-ce qu’un petit Etat de l’UE, comme la Lituanie, la Lettonie ou l’Estonie, pour que la majorité qualifiée pondérée par la population soit obtenue et empêche le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cette substance controversée.

 

Source image: photo conférence de presse à l'Assemblée Nationale - La France Agricole