Invitée au Forum Economique de DELPHES en GRECE, Marietta KARAMANLI défend une Europe qui fait progresser les droits sans uniformiser

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Invitée au Forum économique de DELPHES en GRECE, je suis intervenue le 2 mars dans le cadre d’une table ronde sur le thème de « l’identité et la diversité : le futur de l’Europe ».

Etaient présents M Jens Plötner, ambassadeur d’Allemagne en Grèce, Maria Damanaki, ancienne Commissaire Européenne aux Affaires Maritimes et à la Pêche, Daniel Daianu, Professeur d’économie et Membre du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Roumanie, le Dr. Bahadir Kaleagasi, Président de l’Institut du Bosphore, en Turquie et Dimitris Tsiodras, journaliste et auteur Grec.

Dans mon propos reproduit à la suite, j’ai insisté sur l’idée que l’Europe, elle-même, est difficile est cerner et à définir en tant qu’entité particulière ; j’ai rappelé qu’elle est, à l’évidence, fondamentalement diverse. J’ai insisté sur le fait que le projet européen, c’est pour les peuples qui la composent, une capacité à se retrouver sur des politiques qui rassemblent et permettent des progrès.

J’ai repris à cette occasion le propos que je développe depuis plusieurs années à savoir celui d’une Europe qui reconnaisse la diversité et qui « ajoute ».

Autrement dit, pour moi Europe doit harmoniser vers le haut et ne doit pas uniformiser.

J’ai insisté sur le fait que c’est par la dynamique qu’elle met et mettra en oeuvre que son identité se dessinera, qu’elle doit défendre un modèle culturel et artistique propre fondée sur la créativité et qu’elle doit développer  des politiques publiques identifiables et appropriables par tous.

Sur le site du Forum

http://www.delphiforum.gr/speakers/marietta-karamanlis

Le texte qui a service de base à mon intervention

Madame,

Monsieur,

Cher-e-s Participant-e-s,

Tout d’abord je souhaite remercier les organisateurs-trices du Forum de leur invitation  à venir discuter ici, avec vous, des questions d’identité et de diversité en Europe.

C’est un grand plaisir que d’échanger avec :

–              des responsables d’origines professionnelles et sociales diverses,

–              des particuliers curieux de cette variété des points de vue…

et c’est ce qui fait, me semble-t-il, une force de la société Grecque et un élément de son identité.

Mon propos, avant discussion avec la salle, sera bref et centré autour de trois idées.

Tout d’abord je souhaite vous montrer que l’Europe, elle-même, est difficile est cerner et à définir en tant qu’entité particulière.

La seconde idée à rappeler comme une évidence est que l’Europe est fondamentalement diverse.

La troisième et dernière idée est que c’est sur un projet, une capacité à « embarquer », c’est un mot que j’apprécie, littéralement c’est « faire monter à bord d’un bateau », et aussi entraîner et engager que notre identité future se fait et se fera.

I La question de l’identité de l’Europe en 2018 est toujours en suspens

Je le sais aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’interrogent pour savoir ce qu’est l’Europe.

1 Définir l’Europe territorialement est périlleux.

Sommes-nous un bout de l’Asie ou l’Asie est-elle un bout de l’Europe ?

2 Est-ce que l’Europe est une entité juridique, un nouvel ordre juridique ?

Oui certainement du point de vue des Etats et des juristes.

Pour les citoyens, la chose est un peu moins sûre.

L’Europe est encore et trop souvent pour le citoyen moyen, voire même pour celui qui s’y intéresse, une « boîte noire » dont on ignore le fonctionnement et les règles.

3 L’Europe est-elle alors une culture ?

Dans la mythologie grecque, Zeus se déguise en taureau blanc pour séduire Europe.  Europe est une femme, fille d’un Roi (Agénor, roi de Phénicie).

Le mot lui-même vient du mot« euryse, le large et  d’« ops » ou yeux.  Bref, le mot désigne une terre, une vision, et aussi un espoir.

S’il n’existe pas de définition territoriale stricte, ni de définition culturelle générale de l’Europe, il existe une définition qu’on peut qualifier de « géographie par les genres de vie » et une définition politique

Comme l’a dit, en 1936, Jacques Bancel, éminent géographe, dans son livre « Géographie et politique » ce qui compte ce n’est pas la géographie mise au service d’une politique mais la géographie qui rend compte des genres de vie .

A ce titre l’Europe est une aire de civilisation composée de plusieurs modes de vie.

L’Europe est aussi un projet politique mais qui ne pas se résumer à un projet institutionnel.

II Une Europe qui est fondamentalement diverse

La définition classique de l’Europe telle que nous l’entendons, à savoir :

–              une association d’Etats,

–              unis par des politiques communes,

et

disposant d’institutions créant un droit propre ,

tous ces éléments ne rendent compte que difficilement de sa diversité.

L’union européenne est d’abord un ensemble d’éléments en nombre significatif et divers.

Je m’en tiendrai à quelques éléments évidents.

S’il n’y a que 24 langues officielles dans l’Union Européenne, il y a trois alphabets ; le latin, le grec, mais aussi le cyrillique (ex en Bulgarie).

Officiellement, il y a environ 60 langues régionales ou minoritaires dites indigènes, parlées par quelque 40 millions de personnes dans l’Union.

Cela reste en deça de la réalité . On peut citer, par exemple, le catalan, le basque, le frison, le sami, le gallois ou encore le yiddish.

Si ces langues sont parfois menacées de disparition, elles restent pour beaucoup de locuteurs leur langue de cœur et d’une partie de de leur identité.

Il existe bien souvent des relations de réciprocité entre la langue majoritaire et les langues minoritaires, l’une et les autres se nourrissant d’apports respectifs et créant un imaginaire commun .

Il y a plusieurs grandes religions : catholique, orthodoxe, protestantisme, islam, entre autres.

Je note ici, que même si le christianisme est majoritaire, il n’a pas toujours été facteur d’unité  entre les catholiques à l’Ouest et au Sud, les protestants au Nord et les orthodoxes à l’Est.

Les trois religions chrétiennes se sont fortement et violemment opposées au long de l’histoire .

Elles ont, elles-mêmes, participé à l’émergence de sociétés aux particularismes différents et bien des aspects des comportements économiques voire des relations sociales découlent d’une relation à l’argent et au pouvoir qui en a émergé.

Autrement dit la diversité n’enlève rien à l’identité et à la force de celle-ci mais l’ouvre et l’enrichit.

Il faut aujourd’hui accepter que nos concitoyens se reconnaissent plusieurs identités et les expriment :

–              Grec ou Français, pour moi Grecque et Française,

–              Européen-ne,

–              Citoyen-enne ayant des origines européennes ou extra-européennes…

Etc.

Alors me direz-vous, cette diversité ne nuit elle pas à l’idée que l’Europe devrait avoir « une âme et une seule » ?

En France, un récent débat à l’Assemblée Nationale a d’ailleurs opposé ceux qui refusent de voir prévaloir les symboles européens sur les symboles de l’identité nationale et ceux qui les estiment compatibles.

Dans les textes officiels européens (actes des conférences intergouvernementales, traités, déclarations communes, programmes européens), on ne parle pas de multiculturalisme.

Jusqu’à l’échec du projet de Constitution européenne au début des années 2000, on évoquait une identité culturelle au-delà des frontières politiques.

Face aux réticences populaires et parfois aux manifestations populistes, ont été mises en avant successivement :

-la notion d’exception culturelle (portée par la France),

– puis celle de diversité culturelle mise en avant au sein mais aussi à l’extérieur de l’Union européenne.

Toutes ces discussions un peu théoriques portent au fond la même interrogation ; les différences culturelles sont-elles incompatibles avec la notion même d’une identité culturelle européenne ?

Ma réponse sera à la fois prudente et j’espère audacieuse.

III Pour moi l’Europe est dans le mouvement de sa propre définition, dans la promotion d’un modèle culturel et artistique propre et dans  des politiques publiques identifiables et appropriables par tous

Une étude de juin 2017 montre que seulement 34 % du public a le sentiment d’avoir bénéficié de l’appartenance à l’UE !

Du côté des élites 60 % considèrent que l’Union ne doit pas aller plus loin.

L’Europe reste encore trop souvent pour les citoyens des Etats membres un moyen ; ils n’en voient pas la finalité.

Ma réponse est à trois niveaux.

1 La nature de l’Europe est dans le mouvement

La nature de l’Europe est celle que porte le mouvement que nous décrivons en la faisant, bien ou parfois plus mal, et en affrontant un ensemble de nouveaux défis.

Changement climatique, migrations, défense, lutte contre le terrorisme et le crime organisé, et bien évidemment développement économique et partage des richesses, en lien avec la globalisation, aucune de ces questions ne peut trouver une solution seulement nationale.

La dimension européenne nous empêche de vivre seuls et « enfermés » dans nos frontières.

Ce que les Etats pris isolément ont perdu en efficacité dans leur territoire soumis à des décisions qui ne leur appartiennent plus seulement ou des évènements dont ils ne sont plus maîtres, ils peuvent le retrouver en agissant ensemble et le faire valoir face à des Etats hors Europe plus puissants démographiquement, économiquement ou militairement.

2 Notre identité culturelle est particulière car elle est fondée sur la créativité et la diversité

Je le dis il y a une identité artistique culturelle européenne particulière.

Celle-ci repose sur la défense de la diversité culturelle et un certain modèle artistique.

Certes il y a une pluralité des identités et nous avons pour objectif de veiller à la préserver.

Mais cette identité n’est pas figée, l’Europe se caractérise par le rôle essentiel qu’elle reconnaît à l’interaction et à la créativité, qui nourrissent et renouvellent les expressions culturelles.

Nous donnons enfin un rôle particulier à ceux qui œuvrent au développement de la culture, et ce, dans le sens du progrès de la société dans son ensemble.

3 Pour moi enfin notre identité doit enfin s’incarner dans des politiques publiques nouvelles et de solidarité

En 2017, le taux de chômage dans la zone € touche  20 millions sans compter ceux qui y vivent de façon précaire.

Plus de 110 millions de personnes sont là en danger d’exclusion sociale dans l’UE-27, exposés à un risque aggravé de pauvreté, à un dénuement matériel extrême ou vivant dans des ménages n’ayant pas accès au marché du travail.

Plus de 15 % des jeunes de 18 à 24 ans ont quitté le système scolaire, et sont sans emploi ou ne suivent pas de formation.

La vie réelle montre que les programmes d’austérité extrême ont été un contre-sens économique.

Dans ces conditions les limites de l’Etat providence national sont souvent vécues avec peur et l’on propose souvent pour y remédier de se recroqueviller davantage.

Il est évident aussi que la société européenne dans son ensemble, y compris dans sa partie orientale et balkanique, est traversée par deux grands courants culturels opposés mais s’entremêlant parfois :

–              d’un côté un courant que caractérise une introversion exacerbée et une attitude suspicieuse à l’égard de l’innovation et ne disposant pas d’un projet à long terme,

–              de l’autre un courant qui voit l’ouverture vers l’extérieur comme une chance d’intégration mais aussi de reconnaissance de sa spécificité et en fait un projet à long terme.

Les progressistes doivent tirer de ce constat des éléments de méthode :

–              d’une part il faut faire à la fois l’Europe qui innove, fabrique, et emploie mais aussi travailler à l’Europe de l’intérêt général, celle qui est perçue comme rassemblant : la culture, l’école, la recherche scientifique et médicale…

Par exemple, pourquoi ne pas créer un premier grand service public européen autour de l’enseignement supérieur ?

–              d’autre part il faut valoriser la différence comme une complémentarité et non comme un obstacle a priori ;

–  enfin dans nos relations avec les autres membres il faut considérer qu’il existe toujours, même si elle n’est pas dominante, une culture de l’ouverture chez les autres.

J’espère par ces quelques mots et propos vont vous avoir donné envie d’en débattre et d’avancer.

Merci pour votre attention.