« La réponse sanitaire européenne a t’elle été à la hauteur des enjeux de la crise de la COVID, mes propositions pour une Europe de la santé » par Marietta KARAMANLI

 

Députée, je suis la co-auteure avec Jean Pierre Pont, député,  d’une très récente communication sur  « la réponse sanitaire européenne est-elle à la hauteur des enjeux de la crise de la COVID ? » , présentée en commission des affaires européennes le 15 juillet dernier.

J’y défends l’idée de créer une force européenne (task force) de la santé qui permettrait :

–              Une relocalisation de la production avec une évolution de la réglementation qui assure  «  l’approvisionnement souverain » ;

–              La création d’une réserve sanitaire européenne composée de personnel médical et soignant formés aux urgences et gestes adaptés en provenance de toute l’Union ;

–              Un système européen coordonné pour la distribution de médicaments et le transport des patients ;

–              Le renforcement de la recherche commune et la conduite d’essais cliniques conjoints avec une évolution concomitante des règles et bonnes pratiques si cela s’avère nécessaire ;

–              Un budget dédié aux questions de santé communes ou du moins un fléchage de crédits permettant d’assurer la visibilité de l’action européenne et son évaluation y compris au niveau des différents parlements nationaux.

La discussion européenne sur la relance ne peut faire l’impasse d’une intervention commune et de moyens dédiés tant à la prévention qu’aux soins en temps de crise.

L’Europe de la santé est indispensable et ne peut être une simple variable d’ajustement. Il appartient aux députés Français et Européens d’être vigilants et actifs sur cet enjeu.

 

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/due/l15due19200147_compte-rendu

 

Compte rendu, Commission des affaires européennes, Mercredi 15 juillet 2020 11 h 30, Compte rendu n° 147

Communication sur « La réponse sanitaire européenne est‑elle à la hauteur des enjeux ? » (Mme Marietta Karamanli et M. Jean‑Pierre Pont)

Mme la Présidente Sabine Thillaye.

Nous passons à la communication sur « la réponse sanitaire européenne est-elle à la hauteur des enjeux ? », avec nos collègues Marietta Karamanli et Jean Pierre Pont.

M. Jean-Pierre Pont.

 Nous essaierons aujourd’hui de répondre à la question que nous sommes nombreux à nous poser depuis plusieurs mois : « la réponse sanitaire de l’Union européenne a-t-elle été à la hauteur des enjeux ? »

Nous avons auditionné plusieurs experts : une professeure de droit international et une spécialiste des risques sanitaires globaux, un consultant en gestion de crise et ancien chef du département des urgences sanitaires de la DGS, une haute-fonctionnaire de la Commission européenne, des membres de la commission de la santé du Parlement européen et des membres du Bundestag allemand.

Nous avons pu entendre différents points de vue, souvent convergents, sur les mesures prises, les possibilités d’action et les limites aux initiatives de l’Union au regard de ses compétences reconnues ou possibles et sur les limites des réponses apportées à la crise.

Nous exposerons tout d’abord quelle était la configuration des systèmes de santé des États membres avant le début de la crise, ainsi que les premières réactions nationales et européennes qui ont suivi son déclenchement. Nous pourrons ensuite analyser les mesures adoptées par l’Union au regard des compétences qu’elle a pour agir, et proposer des axes et recommandations plus opérationnelles pour améliorer son action dans la perspective de nouvelles crises dont les pandémies et épidémies.

Si la réponse à la crise a d’abord été nationale, l’Union s’est pleinement saisie des enjeux. Tout d’abord, on constate des systèmes de santé hétérogènes mais dans l’ensemble résilients. L’analyse des systèmes de santé des États membres de l’Union avant le déclenchement de la pandémie montre que la plupart des États membres étaient bien positionnés selon les trois critères utilisés par l’Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé : l’efficacité, l’accessibilité et la résilience des systèmes de santé.

Les dépenses de santé en part du PIB ont augmenté au cours de la décennie écoulée dans l’ensemble des pays européens, avec une moyenne de dépenses de 9,8 % du PIB soit environ 2 900 € en parité de pouvoir d’achat par habitant. Les pays dont les dépenses de santé sont les plus importantes sont la Norvège, l’Allemagne, l’Autriche, la Suède et les Pays‑Bas. À l’inverse, les pays de l’Est ont les taux de dépense les plus faibles.

En revanche, les dépenses de prévention ne représentent en moyenne que 3 % de l’ensemble des dépenses. La plupart des État européens dispose d’une couverture maladie universelle financée par des organismes publics ou assimilés. En matière de personnel hospitalier, le nombre de médecins a augmenté dans la plupart des pays européens pour atteindre une moyenne de 3,6 médecins pour 1 000 habitants. Le nombre de lits pour 1 000 habitants est en moyenne 5.

Mais on constate de fortes disparités pour ce qui est du nombre de lits de soins intensifs. Alors qu’en Allemagne et en Autriche on trouve respectivement 34 et 29 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, en Espagne et en Italie – pays très fortement touchés par la pandémie – on est à moins de 10 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants.

Le dernier classement en 2019 de la John Hopkins University relatif au degré de préparation des différents États face à une éventuelle pandémie place la France en onzième position au niveau mondial. Il n’y a qu’un seul pays européen mieux classé que la France, il s’agit du Royaume-Uni en deuxième position. La crise de 2020 a montré les limites de ces évaluations formelles et théoriques.

Nous avons ensuite fait le constat de premières réponses nationales éparses voire incohérentes. Le 7 janvier 2020, un mois après la première apparition du virus en Chine, la Commission européenne a activé le mécanisme d’alerte précoce. Il sert à échanger des informations sur l’évaluation et la gestion des risques afin que les autorités sanitaires de l’Union et de l’Espace économique européen puissent réagir efficacement et rapidement aux menaces sanitaires transfrontalières graves.

Le 25 janvier, le virus a atteint l’Europe ; dès le 28 janvier, l’Union a activé le mécanisme européen de réponse aux crises (IPCR) en mode d’échange d’informations afin que les États membres et les institutions puissent procéder à une évaluation conjointe de la situation et des mesures à prendre. Le 30 janvier, l’OMC a annoncé une urgence sanitaire internationale. En février 2020, une augmentation significative des cas de COVID-19 est signalée dans le nord de l’Italie, alors que dans le même temps, plusieurs autres États membres de l’Union européenne signalent des cas de personnes infectées.

Certains experts considèrent que les différents États européens n’ont considéré la gravité qu’à partir de la situation italienne (dite « point de bascule »). À ce moment, ce sont les réactions nationales des différents États européens qui ont été au premier plan, l’Union européenne étant quasi-absente. Que ce soit pour les décisions concernant le trafic aérien, les frontières, les équipements (interdiction d’exportation des équipements y compris au sein de l’Union), les stratégies d’investigations épidémiologiques, les études de recherche à lancer (sur le plan de la connaissance de la maladie ou de son traitement), aucune coordination européenne n’apparaît clairement.

Le 4 février, plus de 20 000 personnes ont été infectées par le nouveau coronavirus, la plupart en Chine. Toutefois, l’OMS se refusait encore à parler de pandémie, l’épidémie étant à ce stade surtout concentrée sur le continent asiatique. Le 13 février, l’Union a mis en place un comité de crise et a activé son système de coordination de crise ARGUS, qui coordonne les efforts de l’ensemble des instances compétentes de l’Union. Compte tenu de la détérioration de la situation et des différents secteurs touchés (santé, services consulaires, protection civile, économie), la présidence fait passer l’activation du mécanisme du IPCR au mode complet le 2 mars 2020.

Fin février et début mars, les mesures contre la propagation du virus sont considérablement renforcées dans plusieurs États membres. Les premiers problèmes de respect des règles européennes apparaissent. Dans le débat médiatique, l’Union européenne semble soit être reléguée au second plan, soit être perçue comme manquant de solidarité et dysfonctionnelle. Les médias parlent beaucoup des offres d’aide de la Chine, de Cuba ou de la Russie, tout en déplorant le manque de solidarité européenne.

Le 11 mars, l’Autriche et la Slovénie ont partiellement fermé leurs frontières avec l’Italie et ce sans consulter les institutions européennes. Ces décisions nationales ont été critiquées par le Président français, qui appelait du même coup à un renforcement de la coordination entre les différents États membres.

Comme on le sait, les réactions nationales ont d’abord été très hétérogènes et mal articulées. Dès le début de la pandémie, tous les États (à l’exception de l’Irlande et du Danemark) ont restreint le trafic aérien. Partout sauf en Suède les magasins, restaurants, cafés et à des degrés divers les écoles ont été fermés. En France (depuis le 17 mars), en Espagne (depuis le 14 mars) et en Italie (depuis le 10 mars), un confinement strict a été mis en place.

La grande variété des situations empêche de déterminer, même rétrospectivement, quelle stratégie s’est révélée la plus efficace. Tout d’abord, il faut tenir compte du fait que les structures d’âge prédominent dans les différents États membres, que les systèmes de soins de santé sont organisés différemment et que le degré d’atteinte varie également beaucoup en termes de nombre d’infections. En outre, en raison des différentes façons de compter les décès (décès à la suite d’une infection par le virus ou en relation avec une infection), des différentes capacités de dépistage et du nombre de personnes dépistées, il n’existe toujours pas de base de données fiable pour procéder à une évaluation finale.

Enfin, nous pouvons parler d’une réponse tardive mais réelle de l’Union. Bien que la politique de santé soit une compétence exclusive des États membres et bien que le champ d’action de l’Union européenne soit, par conséquent, extrêmement limité, la Commission européenne a néanmoins pris de nombreuses mesures utiles ces derniers mois, en mobilisant des instruments existants et des instruments nouveaux pour limiter la propagation de l’épidémie, mettre à disposition du matériel médical et financer la recherche d’un vaccin.

Certains outils existaient déjà avant la pandémie de COVID‑19 : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le Système d’alerte précoce et de réaction, le Comité de sécurité sanitaire, son groupe de travail permanent et le programme Horizon 2020. Néanmoins, d’après les témoignages des experts auditionnés, la coordination s’était montrée faible à l’occasion de précédentes menaces. Dès la crise d’Ebola, on a pu constater l’absence quasi-totale de coopération au niveau de l’Union européenne, que ce soit dans le contrôle sanitaire aux frontières, qui a été décidé d’État à Etat sans aucune concertation, dans les équipements (la concurrence entre États européens pour les équipements est une réalité qui anticipe la situation en 2020) ou dans le rapatriement en Europe des soignants touchés par le virus afin de les traiter (il n’a pas été possible de trouver un accord européen pour les avions).

Parmi les principales nouvelles mesures prises fin mars et début avril, on peut citer les suivantes : l’élargissement de la réserve stratégique « RescEU » pour sécuriser l’approvisionnement en dispositifs médicaux et en équipements de protection, l’extension du Fonds de solidarité de l’Union aux urgences de santé publique ; la coordination de la production de dispositifs et de matériels médicaux ; l’adoption de l’instrument d’aide d’urgence de l’Union (3 milliards d’euros prélevés sur le budget de l’Union), la facilitation du traitement transfrontalier des patients et du détachement transfrontalier de personnel médical, le report à 2021 de d’application du règlement sur les dispositifs médicaux à 2021 et la garantie de l’approvisionnement et la disponibilité des médicaments.

Désormais, tous les efforts de l’Union sont tournés vers la recherche d’un vaccin et la garantie de son accessibilité pour l’ensemble des États membres. Il existe actuellement 161 projets de vaccins contre les coronavirus dans le monde, dont 17 projets en phase d’essai. Trois coopérations européennes sont déjà relativement avancées (Phase II ou III): les entreprises allemandes Biontech et CureVac ; la coopération d’Astra Zeneca avec l’université d’Oxford ; la coopération entre Sanofi (France) et GSK (Grande-Bretagne).

Le 17 juin 2020, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne en matière de vaccins. Cette stratégie vise à réduire le temps nécessaire au développement et à la disponibilité de vaccins pour les États membres. Pour y parvenir, la Commission souhaite mettre en place une procédure de passation de marchés centralisée. En échange du droit d’acheter un certain nombre de doses de vaccins à un prix fixe dans un certain délai, l’Union financera une partie des coûts initiaux des fabricants de vaccins dans le cadre de l’ESI (pour 2,7 milliards d’euros). La Commission est prête à entamer des négociations avec tous les fabricants de vaccins qui sont déjà entrés dans la phase clinique. La répartition de l’accès aux doses de vaccin entre les États membres sera fonction d’une clé de répartition basée sur la taille de la population. En outre, la Commission participera à l’élaboration d’une stratégie mondiale de vaccination et d’une stratégie d’attribution des vaccins afin de garantir que les groupes prioritaires reçoivent des vaccins le plus rapidement possible.

L’Union apporte déjà un soutien considérable au développement de vaccins, en soutenant par exemple les entreprises Biontech et Curevac avec des prêts de la BEI s’élevant respectivement à 100 et 75 millions d’euros. La Commission européenne fournit également à la Gavi, l’Alliance du Vaccin, un financement de 300 millions d’euros pour la période 2021‑2025. Lors de la conférence des donateurs pour une réponse mondiale à la crise de COVID-19, co-organisé par la Commission européenne le 4 mai, Gavi a reçu des promesses de dons d’un montant total de plus de 1,5 milliard d’euros.

Certains États membres ont déjà formé une « Alliance européenne pour le vaccin contre la COVID-19 », notamment la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays‑Bas. Le premier accord signé avec la société pharmaceutique AstraZeneca porte sur un maximum de 400 millions de doses de vaccin, que la société développe en partenariat avec l’université d’Oxford. D’autres négociations avec d’autres entreprises sont également prévues ; l’alliance est d’ailleurs ouverte aux États tiers.

Marietta KARAMANLI

Les limites de l’action de l’Union s’expliquent aussi d’abord par les moyens insuffisants dont elle dispose. D’une part, elle dispose d’une compétence de l’Union limitée.

Dans le domaine de la protection et de l’amélioration de la santé humaine ainsi que dans le domaine de la protection civile l’Union est uniquement compétente pour mener des actions visant à appuyer, coordonner ou compléter les actions des États membres, sans pour autant se substituer à la compétence dans ces domaines.

Par conséquent, l’action de l’Union dans le domaine de la santé publique ne peut consister essentiellement qu’à compléter les politiques des États membres. Cela comprend la surveillance, l’alerte précoce et la lutte contre les menaces transfrontalières graves pour la santé. L’Union encourage la coopération entre les États membres et les États membres coordonnent entre eux, en consultation avec la Commission, leurs programmes et politiques dans ce domaine. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination (c’est l’article 168 du Traité).

Il existe deux bases juridiques qui permettent explicitement de fournir une assistance aux États membres en cas d’urgence :               l’article 222 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, prévoit une clause de solidarité au cas où un État membre est victime d’une attaque terroriste ou d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine, et sur la base de l’article 196 du Traité sur le fonctionnement de l’Union, les États membres peuvent aussi activer le mécanisme de protection civile pour demander des fournitures médicales et du personnel médical.

En plus, il y a quelques domaines de compétence sanitaire partagée : les « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique » (article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ; dans le cadre de la protection de l’environnement la « protection de la santé des personnes » fait partie des objectifs de cette politique (article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). L’Union peut adopter des règles contraignantes en matière de franchissement des frontières intérieures ainsi que de contrôle et de surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures (art. 77 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

 Il existe en dehors de cela une base juridique indirecte dans l’article 114 du Traité, qui habilite l’Union à harmoniser les législations nationales en vue de la réalisation du marché intérieur, notamment dans le domaine de la santé.

L’Union dispose d’une compétence exclusive pour « fixer les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » (article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Cela inclut la loi sur les aides d’État. Les aides d’État sont en principe interdites, mais l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne autorise l’octroi de certaines aides et l’approbation discrétionnaire de certaines autres par la Commission. Ainsi, il est possible de soutenir des projets de recherche et de produire de biens nécessaires.

D’autre part, il existe des instruments juridiques à rationaliser et à mieux exploiter. Malgré les mesures inédites qui ont été prises, l’action de l’Union est souvent apparue, pour l’opinion, comme tardive et discrète. Pour les citoyens, les compétences réelles de l’Union dans le domaine de la santé ne sont pas claires : dans ce contexte, les attentes sont fortes mais nécessairement déçues.

L’Union et les instruments internationaux dans le domaine de la santé : il mérite d’être rappelé ici que l’Union ne fait pas partie des accords multilatéraux dont l’objectif principal est de protéger la santé, mais elle est liée par divers types d’accords qui protègent la protection de la santé de manière subsidiaire ou indirecte. Il s’agit d’accords de coopération bilatéraux et de partenariats entre l’Union et des pays tiers, qui impliquent une assistance et une coopération afin de développer des systèmes de santé publique efficaces, ou d’accords environnementaux multilatéraux, dont la mise en œuvre implique une action dans le domaine de la santé. En outre, la « no harm rule » du droit international oblige les États à utiliser tous les moyens à leur disposition pour prévenir les dommages causés aux autres États à partir de leur territoire ou par une activité sous leur contrôle. Ce principe peut également être appliqué à l’Union dans une mesure limitée.

En vertu des traités européens, l’Union doit respecter le principe de loyauté : elle doit coopérer avec les États membres pour s’assurer qu’ils remplissent leurs obligations. Cela inclut de nombreuses obligations internationales dans le domaine de la santé, telles que la « no harm rule », le Règlement sanitaire international (RSI) et la protection du droit à la santé, comme le prévoient plusieurs traités sur les droits de l’homme.

L’Union et son droit interne lui permettent aussi d’agir. Il faut bien admettre, aussi, que l’Union a dans un premier temps tardé à réagir et à activer la clause de solidarité de l’article 222 évoquée prévoyant une assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle. En parallèle, les réflexes souverains des États nations ont resurgi, de manière un peu analogue à ce qu’on a vu pendant la crise des réfugiés de 2015, aboutissant à une limitation des exportations entre États membres des équipements médicaux. Ces décisions nationales ont abouti à une coopération sous-optimale et à des ruptures de la chaîne de production et d’approvisionnement.

Dans la perspective d’une nouvelle crise sanitaire ou d’une nouvelle vague, que nous ne souhaitons évidemment pas, les enseignements suivants pourraient être retenus.

L’Union européenne dispose désormais de compétences et d’instruments qui, s’ils sont limités, sont néanmoins réels : elle doit parvenir à les utiliser de manière plus efficace. Les bases juridiques liées à la politique de santé sont éparses dans les traités : nous aurions tout intérêt à les réunir et les expliciter atteindre une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité.

Si l’on compare l’action de l’Union en matière de santé et l’action de l’Union en matière d’environnement, domaine où elle dispose de prérogatives comparables, on s’aperçoit que l’Union adopte une approche beaucoup plus déterminée pour ce qui touche à l’environnement. Il y a ici un retard à rattraper, dont la crise du Coronavirus nous aura fait prendre conscience. L’Union doit mener dans le domaine de la santé une action aussi résolue et explicite que celle qu’elle mène en faveur de l’environnement.

La crise de COVID-19 a également montré que les systèmes santé des États membres sont très différents, quand on compare par exemple le nombre de médecins ou de lits par habitant. Ces différences de situations initiales créent des écarts importants en cas de crise et une difficulté à adopter des solutions adaptées pour tous les pays. L’Union doit faire usage de ses compétences pour soutenir l’harmonisation des systèmes de santé et pour faciliter une meilleure coordination de l’approvisionnement en médicaments, en produits médicaux et du transport des patients en cas de surcharge des systèmes de santé dans les différents États membres.

Le dernier point sur lequel nous voulions insister est qu’il convient de donner à l’Union les moyens d’une politique de santé ambitieuse.

La première recommandation serait de créer une base de données fiable pour évaluer l’impact réel de la pandémie. Il conviendrait à cet égard d’examiner le taux de mortalité dû à la maladie de COVID-19, le taux de surmortalité, et les taux de mortalité hospitalière, en particulier chez les patients placés en soins intensifs. Il est important de disposer d’une méthode de comptage uniforme à l’échelle de l’Union et d’une méthode uniforme de collecte des données, idéalement coordonnée par le ECDC.

Afin d’examiner régulièrement (hebdomadairement ou mensuellement) la surmortalité, on pourrait utiliser le réseau de collaboration EuroMOMO, qui collecte et fournit chaque semaine des statistiques nationales sur la mortalité. Le réseau vise à détecter et à mesurer la surmortalité associée à la grippe saisonnière, aux pandémies et à d’autres menaces pour la santé publique. Le réseau est soutenu par l’ECDC et l’OMS et géré par le Statens Serum Institut au Danemark.

Les experts que nous avons entendus ont également recommandé la mise en œuvre d’une stratégie de crise pour les urgences épidémiologiques, fondée sur les instruments existants (comme la réserve stratégique « RescEU ») et sur la clause de solidarité de l’article 222 du Traité.

À cette fin, les scénarios de crise devront être soumis à des exercices réguliers, par exemple deux fois par législature, afin que l’ensemble des institutions puisse réagir rapidement et efficacement quand cela sera nécessaire. Cette stratégie commune devrait également prévoir des critères uniformes relatifs aux restrictions de transports (notamment aérien) et à l’introduction de contrôles aux frontières nationales.

Par ailleurs, une nouvelle stratégie industrielle permettrait d’établir une production indépendante de médicaments et de fournitures médicales nécessaires sur le territoire de l’Union. Une première étape consisterait à identifier et à définir les chaînes de production et les médicaments essentiels en cas de crise. Une partie de la production doit être réservée à la demande européenne, ce qui revient à interdire l’exportation des produits concernés vers des pays tiers. Cette relocalisation de la production pourrait reposer sur la formation de consortiums, sur le modèle de ce qui existe pour la recherche et la production de batteries de voitures. En outre, le marché commun devrait être utilisé spécifiquement pour la production pharmaceutique (médicaments, dispositifs médicaux, équipements de protection, matériel médical).

Il paraît également nécessaire d’augmenter significativement la réserve stratégique européenne « RescUE » afin d’inclure les biens médicaux et les ressources humaines mobilisables à tout moment. Les biens doivent être acquis par le biais d’une procédure de passation de marché conjointe, pour laquelle des fonds suffisants doivent être prévus dans le cadre financier pluriannuel.

Entre toutes les recommandations que nous avons entendues, la proposition la plus ambitieuse consisterait à créer une force européenne de la santé qui permettrait : une relocalisation de la production avec une évolution de la réglementation qui assure « l’approvisionnement souverain » ; la création d’une réserve sanitaire européenne composée de personnel médical et soignant formés aux urgences et gestes adaptés en provenance de toute l’Union ; un système européen coordonné pour la distribution de médicaments et le transport des patients ; le renforcement de la recherche commune et la conduite d’essais cliniques conjoints avec une évolution concomitante des règles et bonnes pratiques si cela s’avère nécessaire ; enfin, un budget dédié aux questions de santé communes ou du moins un fléchage de crédits permettant d’assurer la visibilité de l’action européenne et son évaluation y compris au niveau des différents parlements nationaux. Voilà la synthèse de nos recommandations à travers la communication.

L’ampleur historique des mesures prises par l’Union montre que celle-ci, malgré ses compétences limitées dans le domaine de la santé publique, est tout à fait capable d’agir. Elle a déjà réussi à apporter, dans l’urgence, une réponse efficace et ciblée aux défis posés par la pandémie en exploitant comme elle l’a pu le faire les compétences que lui donnent les traités.

Mme Marietta Karamanli.

L’ampleur historique des mesures prises par l’Union montre que celle-ci, malgré ses compétences limitées dans le domaine de la santé publique, est tout à fait capable d’agir. Elle a déjà réussi à apporter, dans l’urgence, une réponse efficace et ciblée aux défis posés par la pandémie en exploitant comme elle l’a pu le faire les compétences que lui donnent les traités.

Néanmoins, une mise en œuvre mieux coordonnée des mesures et recommandations formulées par l’Union semble cruciale dans la perspective d’une éventuelle « deuxième vague ».

À cette fin, il serait souhaitable que les politiques visant à préserver la santé publique relèvent des compétences partagées, à chaque fois qu’une catastrophe sanitaire concerne de manière systémique la totalité de l’Union.

On ne peut pas à la fois reprocher à l’Union de ne rien faire, et refuser de lui déléguer les compétences nécessaires à la détermination de politiques efficaces ! Il faut lever l’ambiguïté.

Les pandémies touchant par définition plusieurs États et même plusieurs continents, il serait conforme à l’esprit du principe de subsidiarité que la réponse à une telle crise relève en premier lieu du niveau communautaire.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. 

Je remercie les rapporteurs pour le travail, qui est finalement rassurant. Même si l’Union européenne ne dispose pas de compétences véritables en matière sanitaire, elle a été en mesure de réagir face à la pandémie. Avec la souveraineté alimentaire, la santé est un autre sujet qui, à n’en pas douter, nourrira la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui devrait être lancée à l’automne. Mon seul regret est l’absence d’évaluation des systèmes de santé européens, lesquels présentent de nombreuses différences d’où l’on aurait pu tirer des enseignements utiles.

Mme Liliana Tanguy.

Je souhaiterais revenir sur la mise en place d’un mécanisme européen de réaction sanitaire. Cette proposition me semble faire écho à celle de la députée européenne Véronique Trillet-Lenoir qui, à ma connaissance, a été adoptée. Je note également qu’il n’y a pas de plan de crise formalisé à l’échelle européenne. En cas de nouvelle crise, comment fera-t-on ?

Je m’interroge également sur la question de la relocalisation de la production des principes actifs des médicaments, actuellement à 80 % produits en Asie ? Comment faire, alors que les coûts de production en Europe sont bien plus élevés, avec des conséquences potentielles pour nos systèmes d’assurance-maladie ? Peut-on imaginer selon vous une relocalisation dans les pays des Balkans occidentaux, lesquels pourraient les produire à un coût très compétitif ?

Mme Marietta Karamanli. 

Ce mécanisme européen de réaction sanitaire existe. C’est RescUE, mais il ne fonctionne pas. D’où notre proposition d’une véritable force européenne de santé, mise en œuvre par les Etats-membres sous l’égide de l’Union européenne. On éviterait ainsi que ce soit des médecins chinois, russes ou cubains qui viennent en renfort de l’Italie en cas de crise, comme ce fut le cas avec la crise du coronavirus.

S’agissant de la relocalisation de l’industrie du médicament, le coût n’est pas le seul déterminant. Il y a une industrie chimique puissante en Allemagne et nous avons été capables de produire des surblouses et des masques rapidement. Les capacités de production existent. Elles sont toutefois dépendantes d’une volonté politique de ne plus être dépendant de l’extérieur.

M. Jean-Pierre Pont. 

Les médicaments concernés sont, d’une manière générale, les plus simples et, de ce fait, les moins rentables. D’où le fait d’ailleurs que leur production ait été délocalisée en Asie.

M. Alexandre Holroyd. 

Je voudrais creuser la question de la relocalisation. Il y a quelques semaines, Jean-Louis Bourlanges soulignait que le problème des masques ne venait pas tant du lieu de production en soi, mais du fait qu’il n’y en avait qu’un, en l’occurrence le pays où l’épidémie a commencé. Cela a créé de grandes tensions menant à une pénurie, qui est terminée aujourd’hui.

Marietta Karamanli a dit dans sa réponse qu’il y avait des industries chimiques en Allemagne et en Suisse. On parle beaucoup de relocalisation, quel est le rôle de l’État dans votre esprit ? S’il y a une industrie chimique en Suisse, ce n’est pas parce que l’État impose à des usines de s’installer dans tel ou tel canton. Quel levier l’État utilise-t-il pour atteindre un objectif de relocalisation, que j’imagine ciblée ?

Mme Marietta Karamanli. 

Nous avons débattu de ce sujet lors de la présentation du rapport de Christophe Jerretie sur le cadre financier pluriannuel. Il est possible d’orienter l’accompagnement européen des investissements ou l’accompagnement national, comme le font les Suisses ou les Allemands, dans certains domaines de production qui ont quitté le territoire européen parce que l’État n’avait pas su s’y investir.

Ce sont des dispositifs qui ont été proposés mais pas appliqués parce que certains États membres ne partagent pas cette orientation.

M. Alexandre Holroyd. 

J’aimerais être sûr de bien comprendre comment cela fonctionne. Si aujourd’hui une grande entreprise produit un médicament X de l’autre côté du monde, la Commission ou un État devrait dire qu’elle peut bénéficier d’une aide si elle produit 300 000 doses de paracétamol ou 250 000 doses d’aspirine en Europe ?

Mme Liliana Tanguy. 

Jusqu’où va-t-on dans le subventionnement de ces industries ?

Par ailleurs, nous sommes tous d’accord pour réduire notre dépendance par rapport à l’Asie ou à l’Inde, mais les Allemands et les Suisses ont déjà une industrie chimique. Les Français seraient-ils d’accord pour introduire une industrie qui n’est pas sans effets sur l’environnement ? C’est peut-être aussi une raison pour laquelle nous achetons des médicaments à l’étranger.

Il faut concilier protection de l’environnement et réduction de notre dépendance.

Mme Marietta Karamanli.

 Je ne vais pas ouvrir un débat sur l’environnement, on pourrait aussi parler de l’industrie nucléaire !

Il ne s’agit pas d’entrer dans le détail, mais de prévoir un dispositif plus général qui permet à l’État de prévoir une prime si une entreprise produisant à l’étranger décide de produire sur le territoire de l’Union. Il faut activer de nouveaux leviers au niveau de l’Union européenne. Il faut penser la relocalisation industrielle au niveau européen et pas uniquement national.

M. Jean-Pierre Pont. 

Je remercie Marietta d’avoir eu l’excellente idée d’une force d’intervention. On pourrait appeler cette force Marietta !