« Rencontre sur la laïcité à l’université de Toulouse Capitole, une affaire de principe, d’interprétation et un enjeu, favoriser et partager une morale laïque » par Marietta KARAMANLI

Le vendredi 26 mai 2023 j’ai participé à l’université Toulouse Capitole à une rencontre sur le thème de «  de l’université à la société : laïcité » organisé par le collectif L’Unité du Droit », le laboratoire Laïc-Laicité, et ce, à l’invitation du professeur Mathieu TOUZEIL-DIVINAT, professeur de droit public.

L’atelier donnait la parole à plusieurs personnalités concernant la matérialisation de la laïcité dans la société qui donnaient leur point de vue.

Après un échange avec le public, une allocation de clôture a été prononcée par Mme Simone GABORIAU-MONTHIOUX, présidente de chambre honoraire à la Cour d’appel de Paris et auteure d’un livre « La laïcité, une passion française qui doit rester un humanisme », éditions L’Epitoge La Laïcité ? – Éditions L’Épitoge – Collectif L’Unité du Droit (l-epitoge.com)

Mon propos a été axé sur La laïcité vue par les partis, une affaire autant de principe(s) que d’interprétation et La laïcité comme une affaire d’institutions favorisant ou partageant une morale laïque

Monsieur le Professeur Touzeil-Divina,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de m’avoir invitée à évoquer la laïcité et à faire le lien avec ce qui se passe dans les partis et la vie politiques.

Mon propos sera axé sur la laïcité vue par les partis et les responsables politiques…j’essaierai de vous faire partager ma préoccupation que la laïcité,

–              c’est autant une affaire de principe(s) que d’interprétation ;

–              c’est aussi une affaire d’institutions favorisant ou partageant une morale laïque !

I La laïcité vue par les partis, une affaire autant de principe(s) que d’interprétation

La laïcité, c’est un sujet politique « par nature » si j’ose dire puisqu’il s’agit d’établir un partage entre :

             ce qui relève de la sphère privée ;

             et ce qui relève de la vie publique du moins de l’espace public partagé avec les autres.

Depuis plusieurs années, le sujet fait l’objet de nouvelles prises de positions.

Tous les partis politiques sont traversés par « la question laïque » avec des conceptions différentes voire des sensibilités qui ne se recouvrent pas entièrement en leur propre sein.

Pour faire simple il y aurait deux grands courants

Le premier serait ouvert à ce que l’on donne plus de visibilité à la particularité religieuse ou du moins qu’on n’exclue pas à raison de celle-ci. La ligne serait que la laïcité peut aussi être potentiellement discriminatoire.

Le second voit les religions comme à exclure de la sphère publique et à les maintenir fermement à distance.

Au final il y aurait des positions politiques qui illustreraient cette distance ou pas :

             une ligne « Stricte » avec toutes les religions ;

             une autre « Ouverte » avec toutes les religions ;

             enfin une « Bienveillante » avec l’une d’entre elles au motif d’une identité ou de racines historiques ou sociologiques.

Plusieurs de ces positions peuvent exister au sein d’un même parti, voire s’opposer ou pas.

La laïcité est un marqueur mais la conviction à l’égard de la position défendue est parfois en retrait des réalités.

Il y a parfois une instrumentalisation pour tirer d’une situation particulière ou exceptionnelle une critique…de l’adversaire…

On dénonce alors des complaisances ou ambiguïtés !

Cela renvoie à la définition et au périmètre de ce qu’on y retient ou décèle.

Suite l’évocation d’une situation, en l’espèce une cérémonie religieuse où des autorités administratives et militaires étaient officiellement conviées, les représentants des autres cultes aussi et évidemment des croyants… Certaines personnalités représentant des pouvoirs publics ont participer très activement au culte… au vu des autres communautés religieuses…et des autres participants. J’y étais comme une représentante politique qui respecte les différents cultes ; j’ai écouté et je me suis gardée de toute manifestation. Vous le comprenez tout cela est affaire de subtilité.

Alors que l’Etat affirme une position forte à l’égard d’une stricte distance, ses représentants peuvent s’en affranchir un peu, probablement de bonne foi. Mais cela sans réflexion ou sans introspection…  Cela me fait penser à la question des liens d’intérêts où ce qui compte c’est parfois moins le lien objectif que le fait de faire présumer celui-ci.

De ce point de vue le droit m’est souvent apparu comme une école où le principe est bien mais l’interprétation qui garantit le principe est mieux !

Venons-en à la laïcité comme une morale encouragé par des institutions.

II La laïcité une affaire d’institutions favorisant ou partageant une morale laïque

La laïcité ce sont deux grands principes modernes

– l’autonomie du sujet pour grandir, apprendre, se former, travailler et vivre avec les autres, en dehors de tout ordre religieux ;

et

-la neutralité de l’Etat qui respecte les croyances de tous les citoyens mais n’a pas à imposer ni une vue religieuse ni favoriser une religion dans ses décisions et actions.

Il a été pour moi inquiétant d’entendre un homme politique ( un ancien Président de la République) prétendre qu’on pourrait gouverner par ses croyances, ses accointances avec des milieux religieux, ce qui favoriserait une façon de voir, et conduirait à « interroger » des lois en fonction de ses croyances.

Je pense que la laïcité

             est là pour protéger les citoyens, y compris de l’Etat ;

et

             est là pour laisser croire et pratiquer leur religion les dits citoyens hors de ce qui est l’espace public où toutes les croyances peuvent exister mais n’ont pas prétention à régir d’une façon ou d’une autre la vie collective.

A bien des égards, la laïcité est menacée par des religions qui veulent soumettre la conscience des individus.

Elle est menacée aussi par le recul de certaines valeurs notamment par un modèle de réussite personnelle et sociale qui rend les individus dépendants de pratiques contraires aux valeurs républicaines.

Si j’en reviens à l’école, l’idée de la République c’est de « protéger l’enfant contre l’abus de pouvoir » le cas échéant de sa propre famille y compris grâce à l’école.

Selon Ferdinand BUISSON un des penseurs de la laïcité et de l’école publique celle-ci a vocation à développer un individualisme de la conscience s’opposant à un individualisme concurrentiel.

Tandis que le premier s’appuie sur la loi du devoir, le second repose sur la force et se fonde sur ce que Hobbes nomme « la passion de la gloire ».

Cette dernière passion naît lorsque nous estimons, selon Buisson que « notre propre pouvoir est supérieur au pouvoir de celui avec lequel nous nous disputons ou nous comparons ».

L’esprit concurrentiel peut en effet mettre l’individu hors de lui-même en le plaçant sous la dépendance du succès et du regard d’autrui.

On est loin de l’individualisme de concurrence aujourd’hui si valorisé et vanté dans les médias, incarnés par des jeux de téléréalité, ou illustré par tous ces exemples de réussite par l’argent ou par la notoriété!

Si on est laïque il faut donc proposer une morale de la conscience plutôt qu’une morale de la puissance.

C’est l’école, l’éducation et l’exemple social qui doivent nous permettre de ne pas succomber à cette possible épidémie d’individualisme concurrentiel.

Cela suppose que l’État

             Reconnaisse bien la place et le rôle du milieu associatif laïque, qui promeut les valeurs du don, de la réciprocité, du bien commun ou du respect hors d’une seule morale religieuse ;

             Respecte l’école publique, j’y mets aussi l’université publique !

En ce sens la morale laïque doit nous protéger de la religion mais aussi de l’excès et de l’ivresse du pouvoir.

Autant vous dire qu’elle a à mes yeux un bel avenir devant elle !

Merci de votre attention.

Marietta KARAMANLI

Une photo de fin de journée

Aux côtés de Mme Mme Simone GABORIAU-MONTHIOUX, M Le professeur TOUZEIL-DIVINA et M Le sénateur Pierre OUZOULIAS