« Protéger et soutenir les victimes du terrorisme, agir au plan international et au niveau de chaque Etat, les axes de mon travail au sein de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe » par Marietta KARAMANLI

 

Le 3 octobre 2018 j’étais à Strasbourg à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe  pour présenter aux membres de la Commission des questions politiques et de la démocratie (AS/Pol)  ma note introductive qui servira de base au projet de rapport que je prépare sur les victimes du terrorisme.

Dans mon propos oral j’ai insisté sur trois points

-l’enjeu de la définition de ce que sont les victimes du terrorisme, cette question ayant des effets sur le périmètre de l’action à mener ;

– les constats tirés de l’analyse des besoins et des législations existantes dans plusieurs des pays touchés ces dernières années ;

– les pistes d’évolution auxquelles nous pourrions donner un avis favorable et un appui par nos résolution et recommandation.

J’ai distingué deux niveaux, international et national (au niveau de chaque pays).

Au plan international,

–              il convient d’aller vers un statut de « victime de terrorisme » juridiquement et politiquement reconnu à l’échelle internationale ;

–              il faut affirmer la nécessité d’apporter un soutien rapide et efficace aux victimes, à chaque étape du processus de reconstruction, du moment de l’attentat jusqu’à ce que ce ne soit plus nécessaire ;

–              il est nécessaire de mettre en œuvre, des lignes directrices concernant le soutien aux victimes de terrorisme, en particulier celles du Conseil de l’Europe ;

–              il faut aussi élaborer des politiques de protection et de soutien des victimes de terrorisme en veillant au respect des droits de l’homme ;

–              il est nécessaire de partager les bonnes pratiques et l’expertise afin que la communauté internationale puisse apprendre de l’expérience unique de certains États ;

–              enfin il est temps de donner la priorité à l’amélioration du soutien aux victimes transfrontalières dans les réformes à venir.

Au plan national

–              il est opportun de s’assurer qu’un organisme spécialisé se charge d’adopter une approche complète axée sur les besoins des victimes, (médicaux, psychologiques, juridiques et financiers) ;

–              il faut mieux coordonner le soutien apporté par les différents organismes, former chacun d’entre eux et leur allouer des ressources suffisantes ;

–              il faut aussi se montrer soucieux des besoins spécifiques des groupes vulnérables tels que les victimes transfrontalières, les minorités et les enfants ;

–              Il est opportun d’offrir la possibilité aux victimes de terrorisme, quand cela est possible, de participer à la procédure pénale ;

–              Il est indispensable de préserver la dignité et la vie privée des victimes en les informant de leurs droits envers les médias ;

–              Mais aussi de leur fournir une aide financière pertinente et en temps opportun, indépendamment de leur statut de résidence ou de leur citoyenneté dans l’État où l’attentat a eu lieu ;

–              il conviendrait aussi de réfléchir à la création d’un fonds caritatif spécialisé ou, au minimum, superviser les appels aux dons, afin de s’assurer que l’argent collecté auprès du public pour soutenir les victimes de terrorisme est distribué de manière effective et efficiente.

Les travaux continuent je dois me rendre à Madrid pour rencontrer les autorités publiques et les associations de défense des droits des victimes.

 

Cette présentation a été signalée sur Twitter http://website-pace.net/documents/18848/4646402/AS-POL-2018-11-FR.pdf/f1980a31-40df-422a-bc44-ca29d7c58b82

Vous pouvez la retrouver sur la site de l’APCE  http://website-pace.net/documents/18848/4646402/AS-POL-2018-11-FR.pdf/f1980a31-40df-422a-bc44-ca29d7c58b82

Retrouvez à la suite la texte ayant servi de base à mon intervention orale…

Mesdames, Messieurs,

Cher-e-s Collègues ?

Comme je l’ai eu l’occasion précédemment de le dire c’est un honneur et une importante responsabilité que de venir devant vous m’exprimer sur les grandes lignes de ce qui est une note déjà aboutie sur mon travail de rapporteure  à propos d’un sujet important et sensible, à savoir celui d’une meilleure reconnaissance et aide aux victimes de terrorismes.

Mon propos sera le plus concis face à un sujet large et complexe.

Il s’articulera autour de trois idées.

-l’enjeu de la définition de ce que sont les victimes du terrorisme, cette question ayant des effets sur le périmètre de l’action à mener ;

– les constats tirés de l’analyse des besoins et des législations existantes dans plusieurs des pays touchés ces dernières années ;

– les pistes d’évolution auxquelles nous pourrions donner un avis favorable et un appui par nos résolution et recommandation.

I L’enjeu de la définition

Malheureusement le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau, ses manifestations et les formes de sa violence peuvent évoluer dans le temps.

Ces dernières années plusieurs attaques terroristes dévastatrices ont fait des centaines de morts en Europe.

Notre Assemblée a à plusieurs reprises exprimé avec la plus grande fermeté sa condamnation de tous les actes de terrorisme.

Ses résolutions en sont l’illustration et la preuve.

Je pourrais citer entre autres :

  • la Résolution 2090 (2016) Combattre le terrorisme international tout en protégeant les normes et les valeurs du Conseil de l’Europe ;
  • la Résolution 2091 (2016) Les combattants étrangers en Syrie et en Irak, la Résolution 2113 (2016) ;
  • la Résolution 2190 (2017) Poursuivre et punir les crimes contre l’humanité, voire l’éventuel génocide commis par Daech;
  • ou encore la Résolution 2211 (2018) Le financement du groupe terroriste Daech : enseignements retenus.

Si on s’arrête sur ces actions meurtrières, il s’agit pour les agresseurs de communiquer par la violence et d’imposer par la force destructrice en faisant des victimes.

Celles-ci ne sont donc pas des personnes victimes collatérales mais « l’objet et le vecteur » si j’ose dire d’une propagande criminelle.

En ce sens, il est indispensable que les victimes des attaques terroristes soient facilement identifiables et formellement reconnues par la législation, les politiques et les procédures.

Le Rapport des Nations Unies sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de décembre 2011, prévoit une classification des victimes de terrorisme en quatre grandes catégories : victimes directes, victimes secondaires, victimes indirectes et victimes potentielle.

Cette classification n’est pas sans poser de problème. En effet elle risque de créer une approche hiérarchique qui ne tiendra pas compte des préjudices psychologique, physique et financier.

De plus, au sein même des différentes catégories de victimes, certains groupes peuvent être considérés comme plus vulnérables et nécessiter un soutien adapté.

Une approche globale, individualisée et axée sur la victime est dès lors essentielle à la protection et au soutien efficaces des victimes du terrorisme.

S’agissant des besoins des victimes, ils sont pour chacune d’entre elles identifiables.

On peut citer

– la reconnaissance (du statut de victime et des souffrances endurées) ;

–              la protection (de toute violence supplémentaire et/ou d’une victimisation secondaire) ;

–              le soutien (accès à une assistance juridique, financière, médicale et psychologique,        et à        l’information) ;

–              le recours à la justice ;

–              l’indemnisation.

J’ajouterai que les victimes ont des droits globaux auxquels la communauté doit répondre

Il y a ainsi nécessité d’une action transversale visant toutes les faces de la vie personnelle et professionnelle des personnes. L’accès à un nouveau logement ou le retour à l’emploi constituent, à ce titre, d’autres faces de cette reconnaissance du statut de victime.

Venons-en maintenant aux mesures juridiques et institutionnelles proposées par les autorités nationales.

Souvent elles s’inscrivent dans l’aide aux victimes mises en place de façon générale par les Etats.

Ces mesures représentent un bon point de départ pour appréhender le soutien proposé.

Néanmoins, de par leur nature très particulière, les actes terroristes prennent souvent une dimension publique et politique supplémentaire, qui amène à différencier l’expérience de ces victimes de celle des victimes d’infractions « ordinaires », pour lesquelles sont conçus la plupart des services d’assistance.

Les Etats chargent souvent un organisme pénal de mettre en œuvre des politiques spécifiquement conçues pour soutenir les victimes de terrorisme. Il est recommandé qu’une agence unique soit définie comme interlocuteur des victimes et qu’elle coordonne les différents services de soutien disponibles, assurant ainsi une stratégie complète et cohérente axée sur les victimes.

D’autres groupes de victimes peuvent être considérés comme « vulnérables », tels que les enfants ou les personnes souffrant de troubles mentaux, et doivent par conséquent faire l’objet d’une attention particulière.

En matière de poursuite et de condamnation pénales, les organismes de soutien aux victimes ont normalement reçu reçoivent la formation et les moyens adéquats pour venir en aide aux victimes plus spécifiques du terrorisme. Une attention doit être portée à cette adéquation.

Dans toute la mesure du possible, les victimes devraient avoir la possibilité d’assister, de prendre part et/ou d’être associées d’une manière ou d’une autre au processus judiciaire, si elles le souhaitent.

C’est primordial pour garantir le droit des victimes à la justice et à la vérité et contribuer ainsi à l’autonomisation des victimes.

Le soutien financier est le plus souvent une préoccupation majeure pour les victimes, car l’attaque terroriste peut entraîner des frais, à la fois immédiats et à plus long terme, accentuant encore le traumatisme.

Il est là encore indispensable que des solutions de soutien financier soient effectivement à la disposition de toutes les victimes du terrorisme, et ce, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur citoyenneté.

Se pose ici la question des victimes qui ne sont pas des nationaux du pays sur le territoire duquel ont eu lieu l’attaque ou l’agression.

Des solutions transnationales doivent être imaginées quand elles n’existent pas, et doivent être mises en œuvre.

Dans cette politique de prise en compte des besoins, la société civile joue un rôle fondamental.

Comme cela a été évoqué lors des auditions organisées par la commission, la société civile est particulièrement bien placée pour comprendre les besoins et les intérêts des victimes (de nombreuses organisations ont été fondées ou sont dirigées par des victimes elles-mêmes).

Il est donc dans l’intérêt des autorités nationales et des organisations internationales de partager les informations, de faciliter les orientations et de coordonner les activités avec les organisations non gouvernementales engagées.

De plus, le soutien aux victimes aux niveaux international et multilatéral au travers de l’engagement des grandes organisations publiques et interétatiques doit être conforté.

Je pense au Conseil de l’Europe, aux Nations Unies, à l’Union Européenne, ou encore à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Si on en revient à la comparaison, certes limitée, que nous avons réalisée au travers de l’analyse de quatre Etats particulièrement touchés ces dernières années à savoir l’Espagne, le Royaume-Uni, La France et l’Allemagne, plusieurs constats s’imposent.

2 J’essaierai d’en distinguer les faits marquants.

C’est mon second axe.

En Espagne, une victime de terrorisme peut juridiquement être définie de deux manières. Une définition générale identifie les victimes de crimes comme victimes directes et, en cas de décès, les membres de leur famille également.

Les détenteurs de droits sont les victimes directes et les membres de leur famille, les personnes ayant subi des dommages matériels à la suite du terrorisme et les témoins de tels actes.

Le législateur espagnol a donné aux victimes d’actes de terrorisme une signification politique en les reconnaissant expressément comme des symboles de la défense de l’État de droit démocratique face à la menace terroriste.

La Direction générale de l’aide aux victimes du terrorisme du ministère de l’Intérieur procure des informations et apporte un soutien. Elle offre une aide professionnelle et d’autres formes de soutien pratique, dans le domaine du logement par exemple.

L’Asociación de Víctimas del Terrorismo (Association des victimes du terrorisme (AVT)) est la principale organisation non gouvernementale de victimes en Espagne, elle représente et défend les intérêts des victimes du terrorisme et leur apporte une aide morale et matérielle. Elle est à l’origine d’une plateforme européenne en faveur des victimes.

En France les victimes d’actes de terrorisme en France ont droit à un soutien de la part des acteurs institutionnels et de la société civile. Concrètement, les dispositions comprennent un soutien juridique et psychologique, une indemnité, les mêmes droits et avantages que ceux garantis aux victimes de guerre, l’exonération de certaines taxes et une reconnaissance spéciale en tant que « victime du terrorisme ».

A été créé en 1986 un Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme en 1986, devenu Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) en 1990.

Peuvent y prétendre les victimes, françaises ou étrangères, d’actes de terrorisme survenus en France à compter du 1er janvier 1985 et les victimes françaises d’actes de terrorisme survenus à l’étranger ; elles peuvent demander une indemnisation au FGTI selon une procédure particulière.

Néanmoins les formalités administratives nécessaires pour obtenir une indemnisation peuvent être très lourdes et il n’existe aucun dispositif pour aider les victimes concernant les dépenses immédiates, comme l’organisation des funérailles et les soins médicaux.

S’agissant du Royaume-Uni, le Royaume-Uni a mis en place en 2017 une unité intergouvernementale chargée des victimes du terrorisme afin de coordonner le soutien à ses citoyens directement touchés par des attentats terroristes sur le territoire national et à l’étranger.

Il existe un programme d’aide aux victimes de terrorisme à l’étranger (dispositif d’indemnisation financé par l’État) depuis la fin 2012. Toutefois, il n’indemnise les victimes que dans certains types d’actes de terrorisme.

Des victimes du terrorisme entendues ont jugé le soutien parfois inadéquat et difficile à obtenir.

L’Etat subventionne des organisations et fondations basées au Royaume-Uni qui visent à rassembler les victimes et les survivants du terrorisme/de la violence politique.

Pour ce qui est de l’Allemagne, il existait depuis 2001, un indemnisation les victimes du terrorisme d’extrême droite sous la forme d’un versement unique. En 2010, une loi a prévu l’indemnisation des victimes d’autres formes de terrorisme, comme celui d’extrême gauche ou l’extrémisme islamique. L’État entendait témoigner de sa solidarité avec les victimes et condamner fermement de tels actes. L’Allemagne ne disposait cependant d’aucun dispositif d’indemnisation spécifique pour les victimes d’homicides. En juillet 2017, une loi accordant aux proches des victimes le droit à une indemnisation a ainsi été adoptée afin de reconnaître les souffrances de ceux qui restent.

Après l’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016, des dysfonctionnements dans le soutien aux victimes ont été révélés : absence d’information aux familles, absence de considération officielle…Les évolutions réalisées à la suite montrent la nécessité d’évaluer les dispositifs existants et de les faire évoluer.

J’en viens maintenant aux évolutions et recommandations possibles.

3 C’est mon dernier axe qui se décline à l’international et pour chaque Etat.

Au plan international,

–              il convient d’aller vers un statut de « victime de terrorisme » juridiquement et politiquement reconnu à l’échelle internationale ;

–              il faut affirmer la nécessité d’apporter un soutien rapide et efficace aux victimes, à chaque étape du processus de reconstruction, du moment de l’attentat jusqu’à ce que ce ne soit plus nécessaire ;

–              il est nécessaire de mettre en œuvre, des lignes directrices concernant le soutien aux victimes de terrorisme, en particulier celles du Conseil de l’Europe ;

–              il faut aussi élaborer des politiques de protection et de soutien des victimes de terrorisme en veillant au respect des droits de l’homme ;

–              il est nécessaire de partager les bonnes pratiques et l’expertise afin que la communauté internationale puisse apprendre de l’expérience unique de certains États ;

–              enfin il est temps de donner la priorité à l’amélioration du soutien aux victimes transfrontalières dans les réformes à venir.

Au plan national

–              il est opportun de s’assurer qu’un organisme spécialisé se charge d’adopter une approche complète axée sur les besoins des victimes, (médicaux, psychologiques, juridiques et financiers) ;

–              il faut mieux coordonner le soutien apporté par les différents organismes, former chacun d’entre eux et leur allouer des ressources suffisantes ;

–              il faut aussi se montrer soucieux des besoins spécifiques des groupes vulnérables tels que les victimes transfrontalières, les minorités et les enfants ;

–              Il est opportun d’offrir la possibilité aux victimes de terrorisme, quand cela est possible, de participer à la procédure pénale ;

–              Il est indispensable de préserver la dignité et la vie privée des victimes en les informant de leurs droits envers les médias ;

–              Mais aussi de leur fournir une aide financière pertinente et en temps opportun, indépendamment de leur statut de résidence ou de leur citoyenneté dans l’État où l’attentat a eu lieu ;

–              il conviendrait aussi de réfléchir à la création d’un fonds caritatif spécialisé ou, au minimum, superviser les appels aux dons, afin de s’assurer que l’argent collecté auprès du public pour soutenir les victimes de terrorisme est distribué de manière effective et efficiente.

De façon plus générale il est bon de s’engager et travailler en étroite collaboration avec les organisations de la société civile telles que les associations de victimes, sur des projets d’élaboration de politiques et des campagnes d’information ; il est opportun de les soutenir afin l’offre de services complémentaires en faveur des victimes et de leur famille soit améliorée.

Nos prochains travaux porteront sur la mise en œuvre de l’article 13 de la Convention de 2005 pour la prévention du terrorisme.

Même si ne n’ai pu être complète, je reste attentive à vos observations et demandes.

Je vous remercie pour attention.

Marietta KARAMANLI