Marietta KARAMANLI  » Certains textes de droit international et des décisions des Cours internationales dans le domaine des libertés sont de nature à faire évoluer positivement notre droit et l’interprétation qu’en donne le Conseil constitutionnel »

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Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, un certain nombre de nominations par le Président de la République donne lieu à un avis exprimé par les commissions permanentes compétentes de l’Assemblée Nationale.
La Constitution prévoit, elle-même, un cas d’application de cette procédure : les nominations au Conseil constitutionnel (celui-ci est chargé de vérifier la conformité de la loi votée par le Parlement à la Constitution).
Le 20 février 2013, j’ai ainsi participé à l’audition des personnalités pressenties par la Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale pour devenir membres du Conseil constitutionnel.
Le Conseil ne vérifie pas la conformité de la loi aux textes internationaux.
Néanmoins les traités et accords internationaux, eux-mêmes, et le droit international dérivé (pour faire simple, le droit pris par les organisations et instances créées par ces mêmes traités), en s’imposant dans notre ordre juridique national peuvent écarter des dispositions de droit français.
Ainsi des directives européennes viennent-elles fixer des objectifs aux Etats membres dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale avec une vision inspirée de traditions étrangères, parfois plus protectrices des libertés, que le n’est notre droit.
En matière de libertés individuelles et de garanties fondamentales reconnues aux citoyens, des décisions que la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la Cour de Justice de l’Union Européenne sont sensiblement différentes dans leur approche de notre droit et de son interprétation par le Conseil Constitutionnel.
Je ne citerai que deux exemples : les mises en cause de personnes dans les affaires pénales soumises à plus de procédures et plus de contrôle du juge dans un projet de directive européenne ; le statut des procureurs dont la carrière trop dépendante du pouvoir exécutif analysée par la CEDH comme ne présentant pas toutes les garanties nécessaires à la qualité de magistrat indépendant.
J’ai donc interrogé une des deux personnalités pressenties pour devenir membres du Conseil Constitutionnel sur ce thème.
Celle-ci après avoir indiqué que les choses étaient claires, a néanmoins évoqué le dialogue des juges et des « suppressions » par des décisions de juridictions supra-nationales de dispositions de notre droit.
Selon moi des décisions de la CEDH ou de la CJUE, peuvent contredire la tradition juridique française et la renouveler.
Le sujet est encore devant nous.


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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 20 février 2013
Séance de 9 heures 15,

€“ Audition, ouverte à la presse, de Mme Nicole Maestracci, dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le président de la République
€“ Vote sur la proposition de nomination de Mme Nicole Maestracci, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement
€“ Audition, ouverte à la presse, de Mme Claire Bazy-Malaurie, dont la nomination au Conseil constitutionnel est envisagée par M. le Président de l’Assemblée nationale
€“ Vote sur la proposition de nomination de Mme Claire Bazy-Malaurie, dans les conditions prévues par l’article 29-1 du Règlement

Mme Marietta Karamanli.

La protection des libertés et des garanties fondamentales dépend autant de l’intervention du Conseil constitutionnel, avant et après promulgation de la loi nationale, que de l’intervention du juge international qu’est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), voire la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ainsi que de la volonté des institutions communautaires à travers notamment des projets de directive visant à légiférer dans ce domaine.

Les sujets sont nombreux : garde à vue, juridictionnalisation de la mise en cause des personnes, accès à l’avocat, notion d’indépendance du juge, autant de secteurs dans lesquels la jurisprudence constitutionnelle semble parfois en retrait par rapport à d’autres traditions juridiques européennes.

Quelles doivent être les relations entre le droit national, tel qu’interprété par le Conseil, et ses sources internationales ?
En quoi ces dernières peuvent-elles renouveler notre droit ?

….

Mme Claire Bazy-Malaurie.

La position du Conseil constitutionnel, madame Karamanli, est très claire et n’a pas varié : il n’est pas juge de la conventionalité mais de la constitutionnalité. Cette fameuse « jurisprudence IVG » a souvent été précisée €“ récemment encore, à l’occasion d’une QPC €“, mais la question se pose bien plutôt de la façon dont la CEDH, la CJUE et le Conseil constitutionnel respectent leur domaine de compétence et se considèrent entre eux. Il semble que le dialogue des juges, dont on parle beaucoup, a fonctionné de telle sorte que l’on n’a pas constaté de difficultés ou de contradictions particulières.

Le Conseil constitutionnel étant donc juge de la constitutionnalité et la CJUE juge de la conventionalité par rapport au droit européen, c’est bien au niveau de la Cour de cassation ou du Conseil d’État €“ et de l’ensemble des juridictions €“ qu’il convient de traiter de la conventionalité. Dès lors que chacun connaît les conditions dans lesquelles il intervient, ainsi que les normes de référence qui sont les siennes, les difficultés que l’on pourrait présager devraient être résolues.

La CEDH, quant à elle, commence à se référer à des décisions que le Conseil constitutionnel a prises sur tel ou tel sujet. Si ce dernier intervient de manière générale en supprimant de notre ordre juridique telle ou telle disposition, les décisions prises par la CEDH sont toujours très motivées au regard de l’espèce même qui lui est soumise et, finalement, ne donne pas matière à soulever d’éventuelles contradictions.

À ce jour, les augures qui prédisaient l’impossible coexistence d’un juge constitutionnel €“ beaucoup plus actif avec les QPC €“ et de la CJUE ou de la CEDH se sont trompés. Les décisions du Conseil sont très claires et ne permettent pas d’imaginer une modification de la jurisprudence.