Marietta KARAMANLI « Droits des femmes en Europe et en Méditerranée, un mouvement et des progrès inéluctables mêmes si parfois difficiles à rendre rapidement effectifs »

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Le 7 octobre 2014 j’ai participé comme intervenante à un colloque organisé au Sénat sur le thème du « Dialogue euro-méditerranéen au féminin ».
Cette manifestation était organisée à l’initiative notamment de l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication (Afacom) et de plusieurs autres organisations dont le Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe.
Mon intervention portait sur « Droits de l’homme, droits de la femme : parallèle entre entre les pays du Sud et les droits en Europe ».
D’une part, j’ai rappelé que les droits de la femme avaient, eux-aussi , leur universalité et leur propre logique. Dans tous les pays existe une revendication plus ou moins forte mais réelle d’une demande d’égalité venant des femmes. Cette demande n’est ni importée ni imposée de l’extérieur. Cette revendication est, selon moi, un acte de conscience des individus qui doit conduire la collectivité à reconnaître qu’elle ne peut avoir prise sur la vie intérieure des femmes et sur leurs actes.
J’ai aussi fait part de mon analyse selon laquelle les traditions sont des constructions sociales qui doivent évoluer.
D’autre part, empruntant la logique mise en évidence par plusieurs juristes, j’ai énoncé les trois modalités du droit au service de la cause des femmes : le constat d’une égalité des droits devant aboutir à une reconnaissance de droits égaux ; l’affirmation d’une égalité des chances; enfin l’incitation à respecter l’égalité et à lutter contre les discriminations.
J’ai donné des exemples illustratifs des différents côtés de la Méditerranée.
J’ai mentionné l’article 2 du traité de l’Union Européenne qui après avoir rappelé la communauté des valeurs entre Etats mentionne que la société européenne est fondée sur « l’égalité entre les femmes et les hommes ». Ce principe d’égalité est « pervasif » en ce sens qu’il va irriguer l’ensemble des secteurs du droit.
De l’autre côté de la méditerranée malgré des progrès évidents et constants, certaines interprétations tendent à limiter les droits des femmes vers le haut dans des domaines sensibles, et que je qualifie, moi, de politiques, comme le droit de la famille, le droit à la participation économique, ou encore les droits sociaux.
Parallèlement, concernant le droit qui traite de façon « inégale » pour rééquilibrer des situations de fait, j’ai mentionné que l’Europe avait établi des lois en faveur de la parité qui ont depuis quelques années permis un accroissement certain du nombre de femmes élues, notamment dans les Parlements. Ce mouvement n’est pas propre à l’Union, puisque, pour ne prendre que cet exemple, le Maroc a adopté une législation pour les élections parlementaires et régionales fixant des quotas de sièges réservés aux femmes.
Enfin il convient de noter l’existence de hautes autorités ou d’organisations en vue de lutter contre les discriminations et veiller de façon pratique à la poursuite de l’objectif d’égalité hommes femmes.
Pour terminer j’ai insisté sur la nécessité de passer de l’affirmation à l’effectivité des droits en s’appuyant sur l’éducation, sur les organisations de la société civile ( les associations notamment …) et en essayant d’ « objectiver » les progrès par l’évaluation de ceux-ci de façon à faire des comparaisons ans le temps et entre territoires et pays.
Au final ce fut une contribution parmi de nombreuses autres de qualité mettant l’accent et en évidence le progrès inéluctable et souvent recommencé des droits et de la place des femmes au sein de sociétés diverses mais dynamiques grâce aux femmes elles-mêmes.


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Madame la Présidente,
Cher-e Collègues,
Cher-e-s participant-e-s,

Tout d’abord, je souhaite vous remercier pour cette invitation à venir débattre d’un sujet important à savoir «Droits de l’homme et droits des femmes ; parallèle entre les pays du sud et les droits en Europe».
Le sujet est vaste.
J’ai donc choisi de limiter mon propos en essayant

 de mettre en évidence ce que représentent les droits des femmes, ici et ailleurs ;

 de voir comment le droit est un instrument au service des droits des femmes et de l’égalité hommes / femmes ;

 enfin de mesurer le décalage existant entre le loi et les pratiques et quelles stratégies pouvaient nous aider à mieux les faire coïncider.

I Droits des femmes : une valeur partagée au-delà des histoires et des sociétés ; une cause ayant sa propre logique

L’égalité entre les hommes et les femmes, telle qu’incarnée par le droit et les droits, nous est indispensable en ce que cette égalité est droit humain fondamental et qu’elle est porteuse de progrès pour tous.
C’est un droit fondamental et c’est un droit universel.
Pourtant malgré l’affirmation de cette universalité, que traduisent des conventions internationales (je pense notamment à « la convention internationale relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » (CEDAW ), les Etats peuvent être tentés de considérer que cette universalité ne serait que relative et devrait se concilier avec des traditions juridiques et religieuses nationales ou pan-régionales, peu favorables à l’émancipation des femmes.
Je voudrais faire à ce propos deux observations.
D’une part, dans tous les pays existe une revendication plus ou moins forte mais réelle d’une demande d’égalité venant des femmes.
Cette demande n’est ni importée ni imposée de l’extérieur. La manipulation que l’on fait parfois présumer sur cette revendication revient de façon quasi-systématique à considérer que celles qui le réclament seraient en quelque sorte mineures et incapables d’estimer ce qui serait bon pour elles€¦
Cette revendication est, selon moi, un acte de conscience des individus qui doit conduire la collectivité à reconnaître qu’elle ne peut avoir prise sur la vie intérieure des femmes et sur leurs actes.
D’autre part, les traditions culturelles, juridiques ou religieuses excipées pour l’occasion sont en fait celles que l’on a construites hier. Les traditions seront demain celles que l’on aura faites et dont la plasticité aura permis à la communauté d’affronter les changements qui se présenteront à elle.
Ainsi donc, l’égalité entre les hommes et des femmes est une valeur partagée, à l’Å“uvre partout.
J’en tire l’idée que le droit à l’égalité et les droits des femmes progressent et doivent progresser partout, parfois de façon non linéaire, avec de possibles régressions mais aussi en réalisant des progrès constants.
Ce mouvement affecte, je voudrais vous le montrer, de façon générale nos pays qu’ils soient européens ou du Sud.

II Droits des femmes : une cause qui emprunte des modalités différenciées en droit et communes à tous

Trois grandes modalités ou formes d’intervention de la loi sont possibles pour obliger, rééquilibrer ou inciter les individus et les organisations à respecter les droits de l’homme et des femmes.
La première modalité est celle qui constatant l’égalité des individus créé une situation d’égalité de droits entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’appliquer des droits égaux pour des individus égaux.
C’est la modalité la plus courante en Europe et aussi aujourd’hui celle qui prospère le plus dans les pays du Maghreb, les pays Arabes, et du Sud pour simplifier.
Ainsi côté Europe, l’article 2 du traité de l’Union Européenne après avoir rappelé la communauté des valeurs entre Etats rappelle que la société européenne est fondée sur « l’égalité entre les femmes et les hommes ».
Par ailleurs l’article 19 du traité ouvre la possibilité d’adopter des actes législatifs en vue de combattre toutes formes de discrimination, dont les discriminations fondées sur le sexe.
Des actes législatifs contre la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, ont été adoptés en vertu des articles 79 et 83 du traité de l’UE,
À l’origine les dispositions de l’UE dans sa version « Traité de Rome » traitaient de l’égalité salariale.
On est ainsi passé d’une approche sectorielle si j’ose dire à une approche globale.
L’article 23 du traité de l’UE qui évoque l’action internationale de l’UE renvoie d’ailleurs la conformité de celle-ci aux principes du titre 1 dans lequel cette égalité est mentionnée.
Cela veut dire que ce principe même est ou devrait être à l’Å“uvre dans les négociations menées avec les pays tiers.
Venons-en maintenant côté « Sud », je ne prendrai qu’un exemple certes limité mais significatif, celui de la nouvelle constitution tunisienne.
L’article 21 de celle-ci proclame sans ambiguïté que « tous les citoyens et les citoyennes ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune (€¦)».
De façon générale ce principe d’égalité entre individus se décline au-delà de la sphère des garanties fondamentales reconnues à chacun et des droits politiques.
Ce principe d’égalité est « pervasif » en ce sens qu’il va irriguer l’ensemble des secteurs du droit, agir en quelque sorte automatiquement ou du moins logiquement en les rencontrant.
Si les hommes et les femmes sont généralement dans une situation identique, il faut leur appliquer les mêmes règles.
C’est au nom de ce principe d’égalité que les droits des femmes vont être alignés vers le haut dans des domaines sensibles, et que je qualifierai moi de politiques, comme le droit de la famille, le droit à la participation économique, ou encore les droits sociaux.
Ainsi l’égalité des époux dans les grands choix de la vie maritale ou de l’éducation des enfants a été acquise dans les Etats Européens, elle reste sujet à discussion et matière à progrès dans bon nombre de pays.
Je citerai pour ne prendre que ces exemples proches la Tunisie , le Maroc ou l’Algérie) du fait de deux éléments, d’une part d’éventuelles réserves concernant l’interprétation des traités internationaux et d’autre part de la possible opposition de la législation avec un droit religieux appliqué parallèlement.
Venons maintenant à€¦
L’autre modalité d’intervention législative (qui) est de considérer que pour atteindre une égalité réelle, les individus peuvent et doivent être traités de façon différente. Il s’agit d’affirmer l’égalité des chances entre individus de sexe différent.
Autrement dit, ici, il s’agit de faire que la loi redonne aux femmes des garanties pour rééquilibrer un accès aux droits qui est menacé.
Ainsi en Europe les lois établies en faveur de la parité ont depuis quelques années permis un accroissement certain du nombre de femmes élues, notamment dans les Parlements.
Dans le même ordre d’idées, la Commission Européenne a proposé des mesures pour remédier au déséquilibre de la participation des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Un objectif minimal de 40% a été fixé pour le sexe sous-représenté parmi les administrateurs non exécutifs des principales entreprises publiques européennes cotées en bourse.
Ce mouvement n’est pas propre à l’Union, puisque pour ne prendre que cet exemple le Maroc a adopté une législation pour les élections parlementaires et régionales fixant des quotas de sièges réservés aux femmes.
Néanmoins la rupture d’égalité formelle qui caractérise le droit dans ces ne doit être qu’exceptionnelle.
Il s’agit de récréer une situation qui s’approcherait de ce qui devrait être mais pas de créer des droits supérieurs pour un des deux sexes.
Dernière mode d’action,
Le droit valorise l’incitation à respecter l’égalité des sexes et les droits des femmes.
De nombreux mécanismes peuvent être mis en Å“uvre pour inciter les individus et organisations à poursuivre et à réaliser l’égalité.
La loi sert alors à valoriser les droits et la dignité des femmes et à les accompagner pour prévenir et lutter contre les traitements discriminatoires.
Ainsi de nombreux Etats en Europe disposent de hautes autorités en vue de lutter contre les discriminations et veiller de façon pratique à la poursuite de l’objectif d’égalité hommes femmes.
Parallèlement des textes sont venus renforcer les droits des femmes pour lutter contre les harcèlements, violences et trafics dont elles sont plus spécifiquement victimes.
Au Sud des Etats ont créé des institutions spécialisées. Quelques exemples peuvent être cités : il existe ainsi une « Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination » au Maroc et, antérieurement et de façon plus limitée, avait été mis en place un « conseil national de la femme » en Egypte.
On le voit, à bien des égards, le droit est un instrument au service des droits des femmes et de l’égalité hommes femmes.
Il n’est pas réservé aux savants mais ouvert à toutes celles qui sont dans la même situation.

III De l’affirmation à l’effectivité

Pourtant l’affirmation de droits en Europe comme dans les Pays du Sud, bien qu’indispensable, ne suffit pas.
Les considérations politiques et morales sont importantes pour justifier le mouvement, elles ne suffisent pas forcément à rendre effectifs ces droits.
Il y a nécessité
d’une appropriation

 par une partie de celles qui en bénéficient,

 par ceux aussi qui ont à appliquer la règle et à l’interpréter,
et d’une acceptation par ceux qui sont les « perdants », et qui vont chercher à « biaiser » ou contourner la règle .
Il y a donc un pas entre l’égalité de droit et l’égalité réelle.
Les exemples sont nombreux.
De plus les décalages entre l’affirmation des droits et leur effectivité apparaissent parfois plus grands à raison de situations économiques plus fragiles dans un certain nombre de pays.
Les femmes assises en quelque sorte à l’arrière du bus (en 2ème ou 3ème classe si je persiste à m’inspirer des transports) restent en arrière même si le bus va plus vite et si le développement est plus rapide.
C’est ce qui justifie selon moi que les droits des femmes, en Europe et au Sud, ne soient pas considérés comme un appendice du droit au développement ou de la croissance.
Alors, me direz-vous , que faire ?
Pour avancer, je crois qu’il faut agir, au-delà du droit, par

 l’exemplarité et, ce que j’appelle, la norme informelle
et

 le suivi des progrès.
L’exemplarité
L’exemple donné par les femmes en responsabilités politiques, professionnelles et associatives joue le rôle d’une norme informelle très efficace.
Tous les exemples permettant de faire correspondre aux femmes l’idée de compétences et d’efficacité sont utiles.
L’éducation joue aussi un rôle central pour modeler les attitudes à l’égard de l’égalité entre les hommes et les femmes dans la vie.
Les plus jeunes doivent dès l’âge scolaire être sensibilisés aux questions d’égalité des sexes.
Parallèlement les mouvements et organisations de la société civile font aussi de la politique et doivent permettre aux femmes d’acquérir des compétences et de gagner en légitimité.
L’évaluation.
Parallèlement je crois nécessaire de suivre et d’évaluer les progrès faits dans chaque Etat grâce à la collecte régulière, l’analyse et la diffusion des données quantitatives et qualitatives sur l’égalité des droits.
Cela suppose aussi en aval de sensibiliser les médias au rôle qu’ils jouent dans la formation de l’opinion publique sur la place des femmes dans la société.

Je terminerai sur une note volontariste.
Simone de Beauvoir déclarait il y a plus 60 ans « La femme libre est seulement en train de naître. »
J’ajouterai « La femme égale aussi ».
Il nous appartient de continuer à y travailler.
A l’évidence cette rencontre est, à sa façon, un jalon dans une longue marche.
Merci de votre attention.