Marietta KARAMANLI pose la question d’indicateurs et de salaires minimaux, signes et conditions du progrès social en Europe

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Le 19 février était organisée par l’Assemblée Nationale une table ronde sur le progrès social dans le cadre de l’Union Monétaire Européenne.
A cette occasion j’ai fait valoir l’utilité de rendre obligatoires les indicateurs sociaux proposés par l’Union de façon à mesurer les évolutions dans ce domaine.
J’ai défendu la nécessité de salaires minimaux dans chacun des Etats concernés.
De tels salaires fixés par la loi ou la négociation collective doivent permettre d’assurer un progrès partagé.
Un objectif de 60 % des salaires moyens dans chaque Etat serait une bonne chose.
Il s’agit d’un thème qui doit mobiliser citoyens et salariés et élus. L’amélioration de la rémunération doit traduire aussi le coût supporté par la collectivité pour améliorer l’environnement productif et la compétitivité dans chaque Etat de l’Union économique et monétaire.


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Commission des affaires européennes, mardi 18 février 2014
17 heures

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Puis de Mme Marietta Karamanli, Vice-présidente

I. Table-ronde « Vers une Union économique, monétaire et sociale ? le volet social de l’UEM » avec la participation de Mme Anne Bucher, directrice des réformes structurelles et de la compétitivité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, Mme Veronica Nilsson, secrétaire confédérale de la Confédération européenne des syndicats, Mme Nicole Alix, administratrice déléguée et trésorière de Confrontations Europe, M. Bruno Dumas, président de la Fédération française du bâtiment Midi-Pyrénées et Mme Sofia Fernandes, chercheure à Notre Europe

Mme Marietta Karamanli.

Que pensez-vous de l’introduction des cinq indicateurs clés en matière sociale, censés servir de tableau de bord ? Êtes-vous favorables à ce qu’ils soient contraignants, au moins en termes d’objectifs ?

Vingt pays européens possèdent un salaire minimum légal, mais sa valeur mensuelle brute varie dans une proportion de un à douze ; lorsqu’on tient compte des différences du coût de la vie, l’écart n’est plus que de un à cinq, les salaires s’échelonnant entre 250 et 1 500 euros.

Il y a quelques mois, la Commission européenne a recommandé à la Slovénie de baisser son salaire minimum ; que pensez-vous de cette intrusion, alors que l’article 153.5 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise clairement que l’Union n’a aucune compétence en matière de politique salariale ?

Quelles voies permettraient d’atténuer l’inégalité entre salariés des États membres ?

Mme Anne Bucher.

Les recommandations de la Commission européenne en matière salariale sont souvent mal comprises. Parfois, comme dans le cas de la Slovénie, nous avons adressé le mécanisme de fixation des salaires, soulignant que l’évolution du salaire minimum devrait tenir compte des besoins du marché du travail ; mais nous n’avons pas émis d’instructions sur son niveau. Nos avis suivent une logique : lorsqu’on partage une monnaie unique, on adhère à un objectif d’inflation commun, actuellement fixé à 2 %. Dans le cadre du Pacte pour l’euro plus, les États membres de la zone euro €“ et non la Commission €“ ont reconnu que les clauses d’indexation n’étaient pas compatibles avec cet objectif. Or durant les dernières décennies, les augmentations de salaires dans certains pays sont allées bien au-delà de ce que pouvaient garantir les gains de productivité, ce décalage entraînant des pertes de parts de marché à l’exportation. Nous recommandons donc une série de corrections possibles : baisse du niveau de salaire minimum, mais aussi modification de la structure de production entre le secteur manufacturier et celui des services ou encore ralentissement de l’augmentation des salaires par rapport aux prix. Mais nous n’empiétons ni sur le dialogue social, ni sur l’indépendance des partenaires sociaux en matière de négociation dans les conventions collectives.

Lorsqu’on se demande jusqu’où on peut aller en matière d’harmonisation des politiques sociales, il faut se rappeler que la gouvernance budgétaire, telle qu’elle a été négociée, joue sur les soldes et les stocks : on regarde le déficit, mais non les modalités de l’ajustement budgétaire ; le niveau d’endettement, mais non les causes de celui-ci. En effet, l’idée que le niveau de fiscalité et l’agencement des dépenses publiques doivent relever des préférences nationales fait l’objet d’un large consensus.

S’agissant du budget européen et de celui de la zone euro, l’instrument de convergence et de compétitivité (ICC) n’est pas conçu pour financer l’éducation au Portugal, qui relève des fonds structurels. Les outils destinés à la zone euro ne devraient pas dupliquer des instruments de cohésion sociale qui existent déjà pour l’Union à vingt-huit, mais constituer des mécanismes budgétaires complémentaires. Minimalistes, nous avons ainsi proposé, dans le cadre de l’union bancaire, de créer un fonds destiné à la restructuration des banques et à la résolution des crises. De même, l’ICC offrirait des incitations financières €“ et non un financement €“ aux États membres ayant besoin de conduire des réformes, qui ne seraient en aucun cas imposées par Bruxelles. Mais ce mécanisme ne saurait remplacer les fonds structurels, ni servir à financer le déficit actuel de l’éducation au Portugal ou en Italie.

De même, puisque le cycle économique peut amener certains pays d’une union monétaire à manquer de liquidités, il faut imaginer des mécanismes pour y faire face. Cependant, nous disposons déjà d’outils de mutualisation des fonds au niveau communautaire, tels que le MES ; on peut également songer à des instruments de prêt ou de transfert budgétaire. Si, à l’heure actuelle, les États membres semblent plutôt réticents à avancer plus avant dans la mutualisation, certains d’entre eux se montrent néanmoins favorables à la création d’un dispositif de prêt dans le cadre de l’ICC. Les nouveaux mécanismes de la zone euro €“ appelés à progresser dans le futur €“ démarreront sur une base assez modeste, voire reposeront dans un premier temps sur les outils de prêt existants, sans disposer de ressources de transfert additionnelles. Quoi qu’il en soit, pour que les solutions retenues bénéficient de la légitimité démocratique, cet enjeu ne doit pas rester au niveau intergouvernemental, mais faire l’objet d’un débat au Parlement européen ; c’est dans ce sens que vont nos propositions.

Présidence de Mme Marietta Karamanli, vice-présidente.

Mme Veronica Nilsson.

Comme je l’ai déjà souligné, nombre d’indicateurs me paraissent plus importants que ceux proposés par la Commission. Quant à savoir s’il faut ou non les rendre contraignants, n’oublions pas que s’ils ne servent pas à corriger la politique macroéconomique, ils ne servent à rien. En revanche, comme l’a noté Mme Fernandes, il faut privilégier les incitations positives et non les sanctions. En effet, sanctionner la Grèce ou le Portugal parce que le chômage y est trop élevé ne ferait qu’aggraver la situation. Il faut, au contraire, faire de ces enjeux des priorités ; à côté des incitations financières, on peut également envisager d’exclure du calcul de la dette une série d’éléments tels que l’éducation ou certains investissements.

S’agissant du salaire minimum, notre interprétation est aux antipodes de celle de la Commission. Ainsi, notre affilié slovène nous dépeint un tout autre tableau de la situation : dans le cadre des négociations, le ministre de l’emploi insiste sur le fait que la Commission fait pression sur le gouvernement, exigeant des baisses de salaires. De fait, la Commission et les gouvernements €“ tout comme la troïka et les pays placés sous programme d’aide financière €“ se livrent à un jeu permanent où chaque protagoniste renvoie la responsabilité sur l’autre. À chacun de juger où se trouve la vérité, mais la situation qui en résulte est très insatisfaisante.

Certains pays européens ne disposent pas d’un salaire minimum légal, les partenaires sociaux étant libres de le négocier ; d’autres l’ont au contraire fixé dans la loi. Nous soutenons les deux systèmes ; mais les salaires minima légaux existants devraient respecter les recommandations du Conseil de l’Europe qui conseille de les fixer à 60 % du salaire moyen du pays €“ niveau qui n’est atteint que dans un seul pays européen. Le salaire minimum apparaît donc déjà bien trop bas et mériterait d’être augmenté.

Si beaucoup de choses marchent bien en Europe, on ne peut malheureusement pas parler de progrès social ; au contraire, on assiste à un recul €“ particulièrement en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie. Le peu d’initiative dont la Commission fait preuve dans ce domaine est parfaitement illustré par la question des travailleurs détachés qu’a évoquée M. Dumas. Si nous appelons aussi de nos vÅ“ux une directive susceptible de protéger les travailleurs, la proposition de la Commission apparaît trop faible, et le compromis entériné par le Conseil des ministres du travail de l’Union européenne le 9 décembre ne risque pas d’améliorer la situation. En effet, les nombreuses restrictions qui émaillent la « liste ouverte » des mesures finalement adoptée rendront les opérations de contrôle encore plus difficiles qu’aujourd’hui. Cet immobilisme européen en matière sociale est dû au manque de volonté politique et aux divisions entre les pays membres dont certains sont explicitement opposés aux standards sociaux.

Mme Nicole Alix.

M. Lamassoure a noté que l’on manquait d’argent ; Mme Bucher a, quant à elle, souligné que la zone euro devait agir sur des registres et des ressorts spécifiques et nouveaux. Dans ce contexte, c’est dans le cadre de cette zone que devrait être reposée la question de l’application de la politique de concurrence. Plutôt que de se focaliser sur la législation, il faudrait favoriser les grands projets européens en mettant l’accent sur les investissements. Or, alors que certaines entités telles que les régions ou les entreprises sont prêtes à les porter, il reste extrêmement difficile d’hybrider les différents types de ressources. Souvent aveugle, la politique de la concurrence peine à repérer et à valoriser les investissements. De même, alors qu’il serait utile de faire tester les projets à l’échelle régionale, la Commission néglige la question de l’expérimentation. Travaillant depuis un an sur les mesures d’impact social, je constate qu’alors qu’on déconseille d’appliquer le même système partout, l’on finit quand même dans ce domaine par aboutir à un dispositif européen unifié qui s’imposera à tous les acteurs de la même façon.

Disposer d’indicateurs contraignants serait certainement intéressant, à condition d’analyser de près leur définition et leurs implications, sans oublier la question de leur adaptation aux spécificités des régions et de certaines grandes zones.

Comme l’a souligné M. Caresche, la question sociale peut également constituer une réponse économique ; mettre davantage en avant cet aspect permettrait aux partis politiques de montrer que le modèle social européen a réellement du sens.

Enfin, l’hybridation €“ méthode que nous devons apprendre collectivement €“ doit également inclure les initiatives de la société civile. Ainsi, les systèmes de protection sociale devraient prendre appui tant sur des mécanismes de marché et des dispositifs publics €“ toujours indispensables €“ que sur des dispositifs volontaires, construits sur une base professionnelle ou territoriale.

Mme Sofia Fernandes. Monsieur le président Lamassoure, le manque d’argent que vous avez évoqué est bien réel, les contraintes budgétaires des États membres €“ confrontés, pour la plupart d’entre eux, à une dette publique dépassant le seuil fixé par le traité de Maastricht €“ les rendant réticents à contribuer davantage au budget communautaire. Mais cette situation doit-elle nous décourager ?

Ainsi, le débat déjà ancien sur les nouvelles ressources propres pour le budget communautaire avance petit à petit. Bien sûr, en matière d’assurance chômage, nous ne pouvons attendre aucune avancée à court terme, mais il faut dès aujourd’hui entamer le débat et travailler aux solutions techniques €“ forcément complexes €“, afin de montrer aux dirigeants européens l’intérêt de ce dispositif. Autre exemple : si on nous avait dit, il y a cinq ans, que l’on disposerait, dans la zone euro, d’un mécanisme d’aide aux États membres qui font face à des problèmes de liquidités, qui l’aurait cru ? Malgré la prégnance de la question financière, le débat vaut donc la peine d’être engagé.

Dans une étude sur la possibilité de créer un mécanisme de stabilisation macroéconomique basé sur les écarts de production au niveau européen, les chercheurs de Notre Europe ont montré que, si ce mécanisme avait été mis en place au moment de la création de l’euro, les États membres se trouveraient, au bout de douze ou treize ans, dans une position budgétaire proche de zéro, ayant autant contribué que reçu de ce fonds. En effet, ce mécanisme représente une assurance contre les chocs conjoncturels, et tout État peut, à un moment donné de son cycle économique, l’alimenter ou en profiter. D’ailleurs, le rapport d’Herman Van Rompuy sur le futur de l’Union précisait bien que ce mécanisme de stabilisation macroéconomique n’impliquait pas de transferts permanents entre États.

Il semble difficile aujourd’hui de dépasser la coordination non contraignante des politiques économiques et sociales. Pourtant, ce type de coordination €“ basé sur la comparaison, l’échange de bonnes pratiques, le blame and shame €“ existe déjà depuis plusieurs années, notamment dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et de la stratégie Europe 2020. Sans doute suffisant au niveau de l’Union à vingt-huit, le procédé ne l’est plus au niveau de la zone euro, la monnaie commune créant des interdépendances économiques plus fortes entre les pays qui en font partie. Ainsi, l’évolution des salaires en Grèce ou le manque de compétitivité de l’économie portugaise posent plus de problèmes à l’Allemagne ou à la France qu’au Royaume-Uni qui se trouve en dehors de la zone monétaire commune. Ces interdépendances accrues imposent d’aller plus loin ; si l’idée fait l’objet d’un consensus en matière de déséquilibres budgétaires et macroéconomiques, les déséquilibres sociaux €“ qui ont un impact sur la prospérité et la stabilité politique des États membres €“ doivent également être pris en considération. Afin de respecter les prérogatives nationales, il faudrait réfléchir à un système d’incitations : au lieu de sanctionner un État parce qu’il a un taux de pauvreté trop élevé ou des inégalités trop importantes, mieux vaut essayer de l’inciter à résoudre ces problèmes.

Jacques Delors a récemment proposé de créer un « super fonds de cohésion » pour les pays de la zone euro. Si le terme « cohésion » €“ qui s’applique mieux à l’Union à vingt-huit €“ peut être discuté, l’idée consiste à mettre en place un fonds de compétitivité. En effet, dès lors que dix-huit pays partagent une même monnaie, il faut impérativement diminuer les écarts de compétitivité entre eux, ce qui implique de disposer d’instruments supplémentaires. Au total, le débat sur les interdépendances accrues au sein de la zone euro et sur les réponses à y apporter mérite d’être poursuivi.

Mme Marietta Karamanli, présidente.

Rentrant d’Athènes, je suis heureuse que l’on ait abordé dans ce débat la question de la compétitivité. En effet, dans le cas grec, la politique d’austérité imposée par la troïka a provoqué une perte de 8 % de compétitivité de ce pays, aggravant d’autant sa situation économique et sociale.

Ce débat a également permis d’analyser des réalités que l’on ne saurait ignorer à partir de différents points de vue, mais toujours avec pragmatisme. Le progrès doit se poursuivre ; en intégrant les dernières expériences des uns et des autres, nous devrions pouvoir corriger le tir afin de donner à l’Europe une dimension non seulement politique et économique, mais également sociale.

Je vous remercie pour vos contributions.