« Participation des citoyens à la justice correctionnelle et jugements des mineurs : une loi de plus mais pas davantage de protection des citoyens et d’efficacité de la justice » par Marietta KARAMANLI

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Le 22 juin dernier, je suis intervenue en séance publique sur le projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.
Ce projet de loi comporte deux objectifs. Le premier est de faire participer les citoyens à la justice plus précisément aux jugements de la justice pénale correctionnelle.
Le second est de réformer la jsutice des mineurs.
Je me suis opposée à ce projet en m’interrogeant sur la volonté du gouvernement et de la majorité de limiter le champ des compétences des jurys (sont exclues les infractions à caractère économique ou liées aux trafics des drogues), à l’absence de moyens utiles pour faire vivre la réforme ( il y aura moins d’affaires jugées dans une même période de temps et il faudra indemniser les citoyens dont beaucoup déjà sont peu enclins à participer comme juré aux jurys d’assises). Enfin j’ai dénoncé le retour en arrière que constitue la réforme de la justice des mineurs qui risque de juger de façon expéditive des jeunes qui commettent de petits délits ponctuels sans possibilité de s’amender et de réparer. Dans leur cas la prison risque d’en faire davantage des délinquants qui s’endurcissent plutôt que des jeunes qui ont fait une bêtise et doivent à la fois être punis mais surtout doivent réparer et revenir dans le droit chemin.


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Le texte intégral de mon intervention

Assemblée nationale XIIIe législature Session ordinaire de 2010-2011 compte rendu intégral, Première séance du mercredi 22 juin 2011
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale
et jugement des mineurs, suite de la discussion d’un projet de loi
adopté par le Sénat

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi, qui modifie une nouvelle fois les institutions et la procédure pénale de notre pays, est pour moi et mes collègues un « avatar » au sens littéral du terme, c’est-à-dire le changement d’une chose qui a déjà subi d’autres transformations. Plus précisément, il est l’avatar l’idée présidentielle selon laquelle il suffit d’annoncer le durcissement de la répression pour que la délinquance diminue. Hélas, ce n’est pas le cas !

À bien y regarder, cette idée se décline, en fait, en trois axiomes : premièrement, les juges et la justice sont laxistes et les citoyens ordinaires à leur place le seraient moins ; deuxièmement, il n’y a pas assez d’incriminations et pas suffisamment de prononcés de peines afflictives ; troisièmement, il y a un laxisme à l’égard de la délinquance juvénile alors même que cette dernière aurait changé de nature, et ce, sans que l’on sache exactement quelle est la portée réelle du changement.

Partant de ces trois idées force, le projet de loi dont nous discutons institue des citoyens assesseurs en correctionnelle, donne une compétence au tribunal ainsi constitué sur des affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population », crée un tribunal correctionnel pour mineurs et met en place une procédure de comparution rapide pour eux.

Avant d’aborder ces dispositions, je souhaite faire une remarque de procédure.

Sur un sujet d’importance comme celui-ci, nous discutons selon la procédure d’urgence.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.

Procédure accélérée !

Mme Marietta Karamanli.

Il y a lieu de s’interroger sur le recours devenu courant à celle-ci. Cette utilisation finit par poser un véritable problème démocratique et constitutionnel.

Que le Gouvernement ait souvent recours, sur des sujets de cette importance, à la procédure d’urgence revient à vider complètement de son sens la procédure prévue par la Constitution de la double lecture par chacune des assemblées. Pourquoi existe-t-elle, si le Gouvernement peut systématiquement s’en dispenser sans porter atteinte à la qualité et à la nature des débats ?

Mais revenons au fond.

Vu la diversité des questions et le temps limité qui est le nôtre, je me contenterai de trois observations : une sur le champ des compétences des jurys, une autre sur la question des moyens utiles pour faire vivre la réforme, une dernière sur le retour en arrière que constitue la réforme de la justice des mineurs.

L’article 399-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue du projet, pose le principe de la compétence du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs pour le jugement, en première instance et en appel, de certains délits.

Le choix de ces infractions vise à associer les citoyens au jugement des procédures concernant les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ». Sont cités « les violences, les vols avec violences, les violences conjugales habituelles et les agressions sexuelles ».
En sont donc exclues, malgré les lourdes peines qu’elles font encourir à leurs auteurs, les infractions en matière de stupéfiants et celles relevant du domaine économique et financier.Quelle est la justification de ces exclusions ?
Des études montrent que les fraudes sont à la source de nombreux dysfonctionnements économiques et collectifs. Ma question est donc simple : les citoyens confrontés à une délinquance qui les spolie économiquement seraient-ils moins intelligents que pour les autres délits ? Évidemment non !

Il est plus probable que ce choix restrictif soit politique et tende à faire considérer que voler la collectivité sans menace apparente ou violence physique ne constitue pas un délit caractéristique de la délinquance quotidienne.

Ma deuxième remarque porte sur la question des moyens nécessaires pour mener à bien l’association de citoyens à la justice correctionnelle.
L’étude d’impact prévoit un doublement du temps d’audience et de délibéré par rapport aux mêmes affaires actuellement jugées sans citoyens assesseurs.

Elle anticipe sur le temps gagné par les procédures d’assises simplifiées pour compenser celui passé dans cette nouvelle formation correctionnelle. Pour éviter que des crimes ne soient requalifiés en délits, seraient, en effet, créées des « cours d’assises simplifiées ».
Ces cours d’assises « allégées » seraient composées de deux jurés populaires et de trois magistrats professionnels. Elles seraient compétentes pour les crimes punis de quinze à vingt ans de prison, à condition d’avoir l’accord préalable de toutes les parties : accusés, parties civiles et parquet.

En fait, le temps effectivement gagné sera en réalité très limité puisque ces procédures d’assises simplifiées nécessiteront la mise en Å“uvre de moyens conséquents qu’impliquera le traitement par ces dernières des procédures aujourd’hui traitées dans le cadre de la correctionnalisation.
Autrement dit, les cours d’assises donneront des moyens dont elles n’auront plus besoin si leur propre activité n’est pas augmentée par une partie de ce que faisaient jusque-là les tribunaux correctionnels. Cela s’appelle redistribuer ce que l’on n’a pas encore et que l’on n’aura peut-être pas !

Concernant les locaux et applications informatiques, de nombreuses interrogations subsistent pour lesquelles les réponses ministérielles paraissent, là encore, optimistes.

J’en viens au dernier point : l’abandon d’une justice spécialisée pour mineurs qui a été rappelé par plusieurs collègues, y compris de la majorité. C’est un choix, qui selon moi, va à contretemps et se caractérise par l’absence de nouvelles mesures efficaces pour lutter contre la délinquance juvénile.

Plusieurs dispositions posent problème.

Le projet de loi instaure un tribunal correctionnel pour juger les mineurs « âgés de plus de seize ans, lorsqu’ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale et que la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans ».
La composition de ce tribunal ne garantit en rien la spécialisation de la justice des mineurs puisqu’un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats non spécialisés.

De plus, deux jurés citoyens pourront, dans le cadre des infractions visées à l’article 2 du projet de loi, composer cette juridiction, à l’instar du tribunal correctionnel pour majeurs, puisque le texte qui instaure les « jurés populaires » prévoit expressément l’application de ces dispositions pour le jugement des mineurs.

Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 29 du projet prévoit une convocation délivrée sur instruction du procureur de la République par un officier de police judiciaire. Le mineur pourra être incité à choisir d’être jugé le plus rapidement possible pour éviter une période de détention provisoire et ce, même si ce délai rapproché peut, au fond, lui être défavorable, notamment si les éléments portant sur la personnalité et l’environnement du prévenu sont peu étoffés.
Au final, l’utilisation de la procédure de présentation immédiate, combinée à l’instauration d’une juridiction correctionnelle d’exception, risque fort d’aboutir à un système qui va quasiment permettre des comparutions immédiates de mineurs devant un tribunal identique à celui qui juge les majeurs.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.

C’est n’importe quoi !

Mme Marietta Karamanli.

Enfin, l’automaticité du renvoi des mineurs récidivistes devant le tribunal correctionnel risque d’empêcher toute modulation en fonction de la gravité des infractions
Un adolescent qui traverse une phase difficile peut commettre plusieurs délits de faible gravité. Dans ces situations, la réponse judiciaire consistant à le faire juger par cette juridiction d’exception paraît, là encore, disproportionnée et inadaptée.
Sur tous ces points, le projet tourne clairement le dos au principe de la spécialisation de la juridiction et des procédures pour les mineurs, qui est de valeur constitutionnelle.
Il s’oppose aussi aux exigences du droit international et notamment à l’article 6 de l’ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs.

Au-delà du respect du droit, est posée la question de l’efficacité des mesures énoncées.
Il y a quelques semaines, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté, sur mon rapport, une résolution engageant les États à prendre diverses mesures éducatives, sociales et de réadaptation en vue de prévenir la délinquance et de lutter contre la récidive.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est en effet inquiétée qu’actuellement, en Europe, on enferme « de plus en plus d’enfants, à un plus jeune âge » en ayant pris le soin d’examiner et visiter plusieurs dispositifs à l’étranger.
Elle considère que cette tendance va à l’encontre de toutes les données disponibles, montrant l’intérêt économique de mesures sociales et d’utilité collective.
Elle suggère que la justice réparatrice et la médiation soient proposées et développées en Europe en tant qu’alternative aux procédures judiciaires classiques.

Parallèlement, en Allemagne et en Espagne, des propositions sont faites pour qu’on spécialise la justice des mineurs et qu’on l’étende.

Au final, en s’inscrivant dans une dynamique opposée, ce texte laisse penser que ce qui est recherché, ce n’est pas le résultat, mais l’affiche et le menu. Peu importe qu’après l’annonce il n’y ait pas l’effet attendu, et ce faute de moyens et de pertinence.

Il est vrai que nous sommes déjà en campagne électorale et que ce qui compte « c’est moins ce qu’il y aura vraiment à manger » que « ce que le Chef annonce qu’il va cuisiner » !

Pour cette raison, j’indique dès maintenant que nous nous opposerons à cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)