« Privée de tribune mais pas de parole » par Marietta KARAMANLI

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Mercredi 15 septembre, le Président de l’Assemblée Nationale a décidé d’interrompre les discussions en séance publique sur le projet de loi portant réforme des retraites privant ainsi les députés inscrits de pouvoir expliquer les raisons de leur vote personnel. Pourtant l’article 49 alinéa 13 du règlement de l’Assemblée nationale adopté sous la présidence actuelle de l’Assemblée Nationale et par la majorité actuelle de l’Assemblée dispose clairement que « Chaque député peut prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une explication de vote personnelle de cinq minutes. Le temps consacré à ces explications de vote n’est pas décompté du temps global réparti entre les groupes, par dérogation à la règle énoncée à l’alinéa 8. »
Malgré ces dispositions claires, et adoptées sous son autorité, le Président a refusé de les appliquer. Aussi alors que je devais intervenir mercredi dans le courant d’après-midi et que j’avais passé la nuit précédente à attendre mon tour, mon intervention a été purement et simplement supprimée de l’ordre de passage des députés. Je ne peux que le regretter et le dénoncer€¦Qualifiée de moyen d’obstruction, une procédure discutée et adoptée par l’Assemblée, ne peut manquer de surprendre…
Cette attitude révèle une équipe gouvernementale et des responsables qui perdent leur sang-froid. Au pire les députés de la majorité n’étaient pas contraints d’écouter les députés de l’opposition€¦et auraient même pu les laisser parler seuls dans l’hémicycle. Entre le refus de la parole et l’absence de respect des autres, le pouvoir d’Etat a préféré l’absence de parole. De façon exceptionnelle, j’ai décidé de publier, ici, le texte que je n’ai pu exposer à la tribune. Je vous en souhaite bonne lecture !


Marietta KARAMANLI : Explication de vote sur le projet de loi «de réforme des retraites »
( écrite mais non exposée à la tribune de l’Assemblée Nationale)

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Cher(e)s Collègues,

Le projet du gouvernement de réforme des retraites doit être examiné à la lumière de trois éléments économiques dont la réforme ne dit rien et dont les effets, en l’absence de mesures d’accompagnement, sont facteurs d’appauvrissement collectif !

1er élément :
Notre pays compte environs quatre millions de personnes au chômage ou ayant un temps de travail partiel non choisi.
En situation de crise, comme c’est le cas actuellement et comme cela risque de l’être encore assez longtemps, le retard de la sortie d’activité des séniors se répercute en partie sur l’emploi des jeunes.
C’est ce qu’on observe actuellement, pas seulement en France, mais dans l’ensemble des pays européens.

Ainsi faire travailler plus longtemps les salariés les plus âgés contribuera à augmenter le chômage des jeunes qui ne pourront pas entrer sur le marché du travail.
De plus, les salariés âgés au chômage seront aussi pénalisés par l’absence d’emplois rendus vacants.

Je note à cet égard que le projet ne s’accompagne d’aucune mesure nouvelle en matière d’emploi des séniors renvoyant au plan déjà adopté et dont les effets sont limités.
Au lieu de payer des retraites, il faudra donc verser à des salariés âgés ne pouvant retrouver du travail des allocations de solidarité, et les jeunes chômeurs ne seront pas indemnisés.
Les économistes disent que c’est la régulation macro-économique qui doit garantir un certain équilibre entre l’emploi des plus jeunes et des plus âgés en période de crise€¦Mais ici les mesures régulatrices ne sont pas prévues€¦

Par ailleurs, l’augmentation de l’âge légal de la retraite et l’augmentation du temps pour obtenir une retraite à temps plein auront pour effet qu’un certain nombre de salariés partiront à la retraite sans avoir droit au taux plein et que les pensions diminueront.
Dans certains pays, le maintien des séniors au travail correspond déjà à des situations de précarité et de misère puisqu’ils travaillent pour obtenir un complément de revenu à de très petites retraites.

Enfin, allonger la durée d’activité est une Å“uvre de longue haleine qui passe à la fois par de moindres hausses de salaire à l’ancienneté, des conditions de travail revues, une part de reconversion !
A-t-on estimé l’impact de la réforme sur ces sujets ?
La réponse est clairement « Non » !

Deuxième élément :

La crise financière et économique a creusé les déficits.
Entre les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) de 2007 et de 2010, on voit bien le décrochage : en 2015, le déficit passe de 0.7 % du PIB (rapport 2007) à 1.8 % du PIB (rapport 2010).

Le gouvernement utilise donc les déficits qui ne sont pas le fait des salariés pour justifier une réforme, faite dans l’urgence et caractérisée par une absence de discussion approfondie avec les syndicats.

La crise actuelle est une crise financière.
Les marchés financiers qui détiennent une partie de la dette des Etats exercent une pression pour que ceux-ci imposent des réformes visant à réduire le poids des dépenses de santé et de retraites.

Ces marchés exigent aussi de forts taux de rendement des fonds et entreprises qu’ils détiennent, souvent de l’ordre de 10 à 15 %, ce qui conduit à capter une part croissante de la richesse produite par les pays.
Malgré la crise qu’ont connue les banques et les institutions financières, la financiarisation de l’économie se poursuit et tend à rompre l’équilibre du partage de la richesse.
Le désir de « rassurer les marchés » de la part du gouvernement et le choix politique de faire supporter le financement futur à 80 % par l’allongement du temps de travail des salariés constituent une soumission à cette « dictature » de la finance !

Le temps où le Président de la République invoquait la règle des trois tiers, selon laquelle les bénéfices des entreprises doivent se diviser, à parts égales entre les salariés, les actionnaires et les investissements paraît bien loin€¦pourtant ce n’est que l’année dernière !
Il est vrai qu’avec lui les promesses sont proches et les réalisations lointaines !

Troisième élément :

Ce projet ne s’accompagne d’aucune priorité ni d’aucune mesure forte en faveur de l’économie de l’avenir et des emplois nouveaux nécessaires pour financer les retraites.

Retenir plus longtemps les salariés au travail aura parallèlement aussi des effets sur leur productivité.
Dans les pays du Nord de l’Europe où des réformes ont été menées, celles-ci ont été associées à des mesures en faveur de l’emploi et à une stratégie économique d’investissement dans le capital humain, l’éducation, la formation, et la recherche.
Cela vise à avoir des activités économiques de pointe, donc des emplois de qualité, donc une croissance qui finance les retraites.

Au total le projet du Président et du gouvernement, sans régler au fond la question du financement à venir, risque :

  d’aggraver le chômage des séniors,

  de retarder l’insertion des jeunes,

  de paupériser ces deux catégories en les excluant du marché du travail,

  de renforcer les déséquilibres entre les revenus du capital et ceux du travail.

Il se fait sans qu’une politique nouvelle contre le chômage ait été mise en Å“uvre et que des mesures pour améliorer le travail aient été discutées et initiées.

Pour ces raisons, au-delà de la profonde injustice qu’il créé pour les salariés, ce projet aura de graves conséquences économiques qu’il n’est pas possible d’accepter.

Je ne le voterai donc pas !