La semaine passée a été discuté le projet de loi portant réforme des retraites. Je suis intervenue à plusieurs reprises lors de la discussion publique pour m’opposer au projet et défendre des amendements visant à en modifier les dispositions et les effets. S’il y a un problème de financement du à la baisse du nombre d’actifs cotisants par rapport au nombre de retraités (aujourd’hui on a 1,8 cotisant pour un retraité, dans dix ans on passera à 1,5), les réponses du gouvernement sont précipitées, inadaptées et injustes. Pour y faire face, le groupe des députés socialistes, radicaux et citoyens auquel j’appartiens à l’Assemblée Nationale a déposé de très nombreux amendements. Je suis l’auteur ou la cosignataire de 129 amendements déposés. Les principales dispositions du projet combattues sont l’ article 5 qui relève l’âge légal et l’article 6 qui prévoit que la pension serait liquidée à taux plein à l’âge de 62 ans augmenté de cinq ans soit 67 ans. Dans nos régimes de répartition ce sont les cotisations salariés comme employeurs des actifs qui assurent les retraites, pour financer ces régimes plusieurs hypothèses sont possibles (allongement de l’âge légal, allongement d’un temps de cotisation, rendre l’économie plus dynamique, et répartir autrement le financement). Toutes ces hypothèses n’ont pas été examinées ni discutées avec les partenaires sociaux du fait d’une volonté de précipiter la réforme (qui ne s’explique probablement que par la volonté du gouvernement de ne pas contrarier les agence de notation sur la dette de l’Etat et de ne pas discuter du problème d’ensemble). Par ailleurs le projet de loi ne contient aucune disposition nouvelle en matière de financement. Il renvoie à la loi de financement pour 2011 avec l’adoption de 3,7 Mds d’Euros de recettes supplémentaires qui proviendraient de recettes sur les entreprises et les hauts revenus sans détail de celles-ci. Il ne s’accompagne d’aucune mesure nouvelle en matière d’emploi des séniors renvoyant au plan déjà adopté et dont les effets sont limités. Le projet ne traite pas réellement de la pénibilité même s’il emploie le mot. L’article 25 créé un dossier médical au travail et l’article 26 abaisse l’âge légal pour les salariés qui justifient d’une incapacité permanente liée à une maladie professionnelle ou au titre d’un accident du travail ayant laissé des lésions identiques ; la réduction est renvoyée à un décret. Le projet ne traite pas des inégalités hommes et femmes. A tous ces égards, le projet est inadapté aux enjeux. Enfin fondamentalement le projet en reportant l’âge légal à 60 ans, est injuste. Actuellement 72% des hommes et 60% des femmes peuvent liquider leur retraite à taux plein, ce qui va les priver de ce droit! Ces salariés ayant commencé à travailler jeunes arrivent à l’âge de 60 ans en ayant souvent des droits acquis supérieurs à ceux qui sont nécessaires : le dispositif « carrières longues », seule avancée de la loi de 2003, a de son côté été considérablement restreint. De plus l’effort du financement tel qu’ « imaginé » par le projet de loi le fait supporter à 80% par les salariés alors que les députés socialistes ont proposé de le faire supporter à 80 % par un autre financement à savoir par des prélèvements sur les revenus du capital ; en effet depuis plusieurs années la part de la richesse produite revenant aux salariés tend en effet à diminuer et celle allant aux dividendes augmente de façon parallèle. J’ai signé plusieurs amendements ayant pour objet de mobiliser 25 milliards d’euros à partir de ces autres financements !
Mes interventions ont visé à rappeler l’injustice du recul de l’âge légal de la retraite ( ne proposant de rendre obligatoire l’entretien facultatif d’information pour les cotisants à la retraite), à proposer la création d’un compte individualisé où auraient été versées les cotisations patronales et salariales dans le cadre de régimes de répartition, avec un taux de rendement égal ou supérieur à l’inflation garanti par l’Etat (ma proposition d’amendement visant cette garantie a été jugée irrecevable car créant une dépense nouvelle€¦), et à affirmer la nécessité d’une réforme qui tienne compte des différents temps de la vie (la formation initiale, la formation continue, les carrières longues, les carrières « à trous », ou encore les temps consacrés à des activités choisies non salariées).
Aucun de nos propositions n’a été retenue!
J’ai voté contre le projet. Je reviendrai sur l’absence de possibilité d’expliquer individuellement son vote!
Assemblée nationale, IIIe législature, Deuxième session extraordinaire de 2009-2010, Compte rendu intégral, Deuxième séance du jeudi 9 septembre 2010
M. le président.
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement n° 239.
Mme Marietta Karamanli.
Pour prolonger les propos de ma collègue, je dois rappeler que les Français touchant de petits bouts de retraite, de deux ou trois régimes différents, sont nombreux. Cette situation résulte de la mobilité professionnelle, nombre de salariés étant amenés à connaître au cours de leur carrière différents secteurs professionnels, différents emplois, dans le privé ou le public, et cela risque d’être encore plus vrai demain, compte tenu de la flexibilité accrue du travail. La bonne réponse n’est donc pas d’uniformiser l’âge légal de départ à la retraite en le repoussant, comme le veut le Gouvernement.
Ainsi que nous, socialistes, le répétons depuis mardi, la volonté de réformer sans chercher à régler le problème au fond a de quoi étonner. Sans doute s’explique-t-elle par le souhait du Gouvernement de voir partir à la retraite des personnes qui n’auront pas cotisé tous les trimestres nécessaires et qui percevront ainsi des pensions réduites. Elle est probablement motivée aussi par le fait qu’elle débouchera, pour les plus aisés, sur des financements individualisés, à la plus grande satisfaction du lobby des institutions financières et bancaires.
Une autre solution aurait été de prévoir davantage d’harmonisation et de simplification, tout en respectant le choix des salariés. C’est l’idée que nous défendons par cet amendement, qui tend à instaurer une obligation d’information et rend également obligatoire l’entretien prévu par la loi.
M. le président.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Jacquat, rapporteur.
Lorsque nous en avons discuté en commission, j’étais personnellement favorable à l’idée d’obligation, mais il m’a été rappelé que nous étions un pays de liberté et que cet entretien devait donc rester une faculté. Je me suis donc soumis à la majorité. Toutefois, nous avons suggéré €“ et cela a été accepté €“ que le bulletin individuel de situation que chacun recevra à l’âge de quarante-cinq ans mentionne expressément que la personne peut bénéficier, si elle le souhaite, d’un entretien individuel. La demande est donc satisfaite. J’émets un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre du travail. Même avis. Il n’est pas nécessaire que le rendez-vous soit obligatoire ; ce qui compte, c’est que les personnes qui souhaitent une information €“ et elles seront, j’imagine, de plus en plus nombreuses €“ puissent l’obtenir.
€¦
Assemblée nationale, IIIe législature, Deuxième session extraordinaire de 2009-2010, Compte rendu
intégral, Troisième séance du jeudi 9 septembre 2010
Mme Marietta Karamanli.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de revenir sur l’opposition qui existe entre les différents types de réforme que nous voulons faire. Je voulais insister sur le véritable enjeu de la réforme des retraites, qui, selon nous, est un peu différent. Il s’agit d’assurer le financement des retraites des toutes prochaines années, mais aussi de le garantir en procédant à une répartition équitable, à travers une participation accrue des revenus du capital, lesquels, plus que ceux des salariés, ont bénéficié de la richesse produite collectivement ces dernières années.
Mais au-delà même du débat sur les retraites, se posent, plus fondamentalement, les questions du travail, de la possibilité d’avoir des perspectives de carrière, de se former, de contribuer à la vie sociale sous d’autres formes que les seuls emplois du marché, de partir en retraite de façon choisie, en fonction de ce que l’on veut faire. Plusieurs collègues, sur différents bancs, ont rappelé tout à l’heure ces questions, qui se posent à nous tous.
La réforme qui nous est proposée aligne l’âge légal tout en l’augmentant, et ce alors même que l’hétérogénéité des carrières, avec des temps de cotisation variables, va priver des salariés dont la carrière a été longue de la possibilité de partir en retraite.
La diversité des parcours existait hier, elle ne va pas disparaître demain. Elle va même s’accroître. Prendre sa retraite, donc, interroge sur la mobilité des salariés et l’égalité qu’il convient d’améliorer entre eux : certains auront eu une vie professionnelle bien remplie, d’autres n’auront pu éviter les périodes de chômage, d’autres encore auront connu le temps partiel subi.
Je l’ai dit, beaucoup de salariés ont travaillé assez pour pouvoir partir en retraite sans attendre soixante ans. À l’inverse, certains entrent €“ et entreront demain €“ plus tardivement dans le monde du travail et pourront choisir de rester au-delà de cet âge légal, que nous souhaitons fixer au plus bas, justement pour favoriser les choix.
C’est pourquoi, logiquement, nous proposons aussi la création d’un compte temps personnalisé, qui doit inclure le temps du travail, mais aussi le temps de la formation, initiale ou continue, ainsi que le temps passé à des activités choisies non salariées, et le temps de la retraite. Ce suivi individualisé pourrait ouvrir des droits dans le cadre du système de retraite par répartition.
Ces droits pourraient être répartis tout au long de la vie. Ainsi, le temps consacré à se former pourrait constituer un crédit qui serait réparti plus tard, si l’on n’a pas été contraint de commencer à travailler tôt.
Ces droits pourraient aussi être pondérés ou bonifiés en fonction des choix collectifs.
Tel est le sens de la création d’un compte temps individualisé, qui aurait pu être aussi celui des droits. On établirait ainsi un double lien : un lien entre les droits individuels, disponibles et acquis, et les différentes périodes de la vie ; et un lien entre les droits personnels, les priorités collectivement définies et les temps individuellement choisis par chacun.
Vous le voyez, l’enjeu est de procéder à une réforme juste. Celle qui nous est proposée ne l’est pas. Et le débat sur les amendements nous permettra de mesurer tout l’intérêt qu’il y aurait à définir ces différents temps, tout au long de notre carrière, qu’il s’agisse de la formation ou du travail. Il est possible de construire notre vie autrement que sur le schéma : formation, travail et retraite.
…
Assemblée nationale, XIIIe législature, deuxième session extraordinaire de 2009-2010, compte rendu intégral, Première séance du vendredi 10 septembre 2010
Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article 5, le cÅ“ur même de la réforme, relève l’âge légal de départ à la retraite à soixante-deux ans. C’est une réelle injustice.
Aujourd’hui, notre pays compte environ quatre millions de personnes au chômage ou qui travaillent à temps partiel sans l’avoir choisi. Parallèlement, la crise financière et économique a creusé les déficits €“ cela a été longuement rappelé €“ et mis fin €“ provisoirement du moins, car nous restons méfiants €“ à la croyance ultralibérale selon laquelle la capitalisation serait l’avenir.
On l’a vu, les discussions menées ont pris la forme de communications unilatérales du Gouvernement. C’est ce qu’ont fortement exprimé les salariés et leurs organisations syndicales.
Une autre solution aurait consisté à tendre vers plus d’harmonisation et de simplification, tout en respectant le choix des salariés. Car, comme nous l’avons rappelé hier, nombre d’entre eux perçoivent de petites retraites issues en moyenne de deux ou trois régimes différents. Cette situation résulte notamment de la mobilité professionnelle. Or cette hétérogénéité conduit à s‘interroger sur la pertinence de l’objectif fixé par le Gouvernement, qui consiste à uniformiser les âges de départ à la retraite. En effet, l’âge moyen de départ varie en réalité selon le montant des retraites ainsi disponibles.
À l’inverse, on aurait pu envisager une clarification doublée d’une personnalisation du système de retraite, afin que chaque futur retraité connaisse à tout moment ses droits à la retraite, quel que soit son statut. Dans ce système, les travailleurs auraient accumulé tout au long de leur vie et de leur carrière professionnelle les cotisations retraite, salariales et patronales sur un compte individuel administré par l’assurance vieillesse, leurs contributions bénéficiant chaque année d’un taux de rendement réel égal ou supérieur à l’inflation, garanti par l’État€¦
M. Guy Geoffroy.
Ce n’est plus de la répartition !
Mme Marietta Karamanli.
€¦, ce qui ne sera pas le cas. Ce système aurait pu fonctionner selon le principe de la répartition, puisque les cotisations des salariés financeraient toujours les pensions courantes. Cela aurait eu pour avantage de permettre de profiter du rendement qu’apporte le système par répartition, tout en clarifiant à long terme les droits individuels à la retraite. Nous avions préfiguré cette idée en proposant de créer le compte temps dont nous avons parlé hier soir.
En définitive, nous contestons la pertinence de la mesure prévue par l’article 5 et nous refusons le report de l’âge légal de départ à la retraite. Parallèlement, nous proposons une autre réforme, que plusieurs d’entre nous, notamment Alain Vidalies et Marisol Touraine, ont expliquée de façon très simple et très juste. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Cette réforme est l’expression non pas d’un courage en trompe-l’Å“il, comme celui dont se prévaut le chef de l’État, mais de la justice, pour ceux qui ont suffisamment travaillé, mais aussi pour ceux qui vont travailler et cotiser.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)