« Proposition de directive européenne en faveur de l’accès à l’avocat dans le cadre des procédures pénales, une avancée à compléter et notre législation à améliorer  » par Marietta KARAMANLI

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La Commission européenne a déposé, le 8 juin 2011, une proposition de directive tendant à établir des règles minimales en matière d’accès à l’avocat dans le cadre des procédures pénales.
Le texte proposé vise à garantir un accès à l’avocat très large à toute personne dès lors qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, qu’elle soit privée de liberté ou non.
Au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale, j’ai, avec mon collègue Guy GEOFFROY (UMP), rapporté le 6 mars dernier sur les avantages et les inconvénients de cette directive.
Le contexte français est marqué par la réforme de la garde à vue intervenue avec la loi du 14 avril 2011, suite notamment à une décision du Conseil constitutionnel sur la législation alors en vigueur qui autorisait l’interrogatoire d’une personne gardée à vue mais ne permettait pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat, et à trois arrêts de la Cour de cassation.
En France, le droit d’accès à l’avocat n’est garanti que pour les personnes placées en garde à vue. Et ce droit est encadré par la loi du 14 avril 2011:

  entretien limité à 30 minutes toutes les 24 heures ;

  délai de carence de deux heures avant de pouvoir procéder à l’audition ;

  l’avocat peut poser des questions uniquement à l’issue de l’audition ;

  possibilité de report de la présence de l’avocat pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête ;

  régimes dérogatoires de report de la présence de l’avocat, pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, en matière de criminalité organisée, de trafic de drogues et de terrorisme.

Dans sa décision du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel a rappelé que la phase d’enquête policière n’est pas une phase juridictionnelle. Dans le commentaire de la décision publié sur le site Internet du Conseil, il a été rappelé que les garanties en matière d’accès à l’avocat doivent s’appliquer dès lors qu’une personne est privée de liberté et que la jurisprudence du Conseil n’impose pas que toute personne soupçonnée bénéficie du droit d’accès à un avocat.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qui est rendue au cas par cas et est aussi évolutive ne semble pas avoir tranché cette question. Elle lie plus directement les conditions de la garde à vue à la notion de procès équitable ce qui la différencie de la décision du Conseil constitutionnel rendue sur la loi adoptée par au printemps dernier.
A l’occasion de l’examen de ce projet de directive, j’ai demandé avec l’autre co-rapporteur que soient traités conjointement le droit d’accès à l’avocat et l’accès à l’aide juridictionnelle.
De façon plus générale, j’estime que le fait de créer un droit d’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale constitue un élément fondamental des garanties appropriées à mettre en Å“uvre au profit des personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause, qui doit être concilié avec les mesures de l’enquête visant à assurer la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions.
J’ai souligné aussi la nécessaire articulation des droits nationaux avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme que j’estime particulièrement positive dans ce domaine.
Autrement dit la projet de directive devrait être complété pour lier l’accès à l’avocat à la question de l’aide juridictionnelle, seule mesure de nature à garantir que la droit sera le même pour tous, ceux qui peuvent payer eux-mêmes et ceux qui n’en auraient pas les moyens.
Il devrait aussi amener la France à s’interroger pour savoir si son actuelle législation qui ne permet le recours à l’avocat que lorsque la personne soupçonnée est contrainte de rester à la disposition de la police serait conforme avec l’interprétation que pourrait en donner la Cour européenne des droits de l’homme ; celle-ci pourrait en effet considérer qu’une audition libre telle qu’elle existe est de nature à conduire la personne mise en cause à ne pouvoir refuser de répondre à la police sauf à être mise en garde à vue…ce qui appellerait le renforcement de ses droits avant cette dernière.
En tout état de cause, la législation me paraît devoir évoluer sur ces différents points.
La commission a adopté la résolution avec des réserves.


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Le compte-rendu des débats à la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES, Mardi 6 mars 2012,
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission,
Réunion ouverte à la presse
La séance est ouverte à 17 h 15

I. Examen du rapport d’information de M. Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur la directive accès à l’avocat

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur.

Cette communication et la proposition de résolution que nous allons vous présenter font suite au travail que nous avons déjà présenté le 29 novembre 2011 avec Marietta Karamanli sur cette proposition de directive très importante, relative à l’accès à l’avocat dans les procédures pénales. La proposition de directive, déposée le 8 juin 2011, s’inscrit, ou est censée s’inscrire, dans le cadre de la feuille de route relative aux garanties procédurales en matière pénale du 4 décembre 2009.

Il y a, sur ce sujet, ce que je prends la responsabilité d’appeler une sortie de route de la Commission européenne, qui n’a pas hésité à changer les règles du jeu en cours de route sur une question qui conditionne la crédibilité et la viabilité de la directive : en effet, l’aide juridictionnelle n’est pas traitée dans la proposition, alors même que la feuille de route le prévoyait.

Il est proposé d’ouvrir un droit d’accès à l’avocat, non pas pour la seule garde à vue, mais dès qu’une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale. Or, la notion de personne soupçonnée, qui est issue du droit anglo-saxon, n’existe pas en tant que telle en droit français. Depuis nos travaux du mois de novembre, la présidence danoise de l’Union, qui a repris le sujet en janvier 2012, a compris que le texte n’était pas consensuel en l’état et que, s’il existe une majorité numérique en faveur de son adoption, la minorité d’Etats membres qui s’y oppose comprend des pays importants : la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande et la Grande-Bretagne. La présidence danoise a souhaité sauter l’obstacle en différenciant le droit d’accès à l’avocat en deux temps : le droit général d’accès à l’avocat serait ouvert, mais serait facultatif à l’étape du soupçon, et obligatoire et effectif, donc accompagné des mesures d’aide juridictionnelle, dès lors que la personne est privée de liberté. Une telle proposition pourrait séduire mais il est nécessaire d’y jeter un regard plus pointilleux et plus sourcilleux. En effet, les droits seraient établis de manière inégale et pour partie virtuelle. Dans un certain nombre d’États qui se font fort de soutenir la Commission européenne, certains se réjouissent devant une nouvelle disposition ainsi proposée dont ils n’ont que faire et que, concrètement, ils n’auraient pas à mettre en Å“uvre puisque tout ce qui concerne l’aide juridictionnelle est reporté à plus tard, une proposition de directive étant annoncée pour 2013.

Nos conclusions du 29 novembre étaient très réservées. Notre résolution le sera aussi aujourd’hui, même si des progrès ont été accomplis, pas uniquement sur des points de détail.

Ce dont nous pouvons être sûrs, mes chers collègues, c’est que la Commission européenne admet que cette directive ne pourra pas être mise en place sans un grand pays comme la France. Il faut donc manifester des réserves importantes et être très rigoureux sur les modifications qui doivent encore être apportées au texte.

Nos collègues sénateurs ont également travaillé sur cette question et nous avons tenu à recevoir M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la proposition résolution de la commission des affaires européennes du Sénat. Il est intéressant de noter que, alors même que la nouvelle majorité au Sénat aurait pu faire penser à une adhésion plus franche sur la proposition de directive, les Sénateurs ont unanimement tenu à en rester à ce qui leur semble être le cadre naturel du droit d’accès à l’avocat, tel que nous l’avons fixé dans la loi sur la garde à vue du 14 avril dernier, c’est à dire limité aux personnes placées en garde à vue pendant la phase d’enquête policière.

Selon nous, et sur ce point nous sommes parfaitement d’accord, Marietta Karamanli et moi, la déconnexion de l’aide juridictionnelle et la « vente à la découpe » de la feuille de route ne sont pas acceptables. Sur un sujet aussi sensible, comment pourrait-on prétendre créer des droits sans créer les conditions de l’effectivité de ces droits ?

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure.

Il s’agit d’un sujet sensible. Le rapport tend à exposer les difficultés variées et importantes posées par la version initiale de la Commission européenne. Il convient de rappeler que le contexte français est marqué par la réforme de la garde à vue intervenue le 14 avril 2011. Le Conseil constitutionnel avait jugé le 30 juillet 2010 que la législation relative à la garde à vue alors en vigueur autorisait l’interrogatoire de la personne gardée à vue mais ne permettait pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat. Trois arrêts de la Cour de cassation avaient également été rendus le 19 octobre 2010. Ce sont là des éléments essentiels.

La proposition initiale de la Commission européenne prévoyait un droit d’accès à l’avocat très large. On peut comprendre la volonté européenne d’aller dans cette direction, venant notamment des pays ayant connu régimes non démocratiques, qui souhaitent ouvrir l’accès à l’avocat à toute personne soupçonnée. Mais il faut rappeler, au-delà de ce qu’indique le gouvernement français et nous le disons en tant que parlementaires, que l’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée constitue une difficulté réelle car une telle notion n’est pas bien définie en droit français.

Par ailleurs se pose le problème de la dissociation de la question de l’aide juridictionnelle, sur laquelle le droit français est en avance. Nous avons souligné, avec Guy Geoffroy, à la Commission européenne et aux autres personnes auditionnées, qu’il y avait un risque réel de créer une justice à deux vitesses.

En l’état actuel du texte, nous ne pouvons pas approuver le projet. Nous ne pouvons l’approuver que sous réserve que les changements demandés dans la proposition de résolution soient obtenus. La proposition de résolution que nous adopterons vise notamment à alerter la Commission européenne et sera transmise aux parlementaires européens, que nous avons rencontrés, et qui ont jusqu’au 21 mars pour déposer des amendements sur le texte au Parlement européen.

Il faut faire progresser ce texte. Je souligne également que la directive devra pouvoir être conciliée avec les systèmes juridiques des États membres, parmi lesquels le système juridique français.

Dans sa décision du 18 novembre 2011 portant sur cinq questions prioritaires de constitutionnalité portant notamment sur le droit d’accès à l’avocat, le Conseil constitutionnel a rappelé que l’enquête policière n’est pas une phase juridictionnelle. Dans le commentaire de la décision publié sur le site Internet du Conseil constitutionnel, il a été rappelé que les garanties en matière d’accès à l’avocat doivent s’appliquer dès lors qu’une personne est privée de liberté et que la jurisprudence du Conseil n’impose pas que toute personne soupçonnée bénéficie du droit d’accès à un avocat.

Il faut également lire cette décision à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cette Cour rend, quant à elle, des arrêts au cas par cas et sa jurisprudence est évolutive. Elle ne semble pas avoir tranché la question de l’accès à l’avocat en dehors de toute garde à vue. Elle lie les conditions de la garde à vue au procès équitable, qui est une notion essentielle.

Nous vous proposons une proposition de résolution selon laquelle l’Assemblée nationale :

 en point 1, rappelle que le droit d’accès à l’avocat constitue un élément fondamental des droits de la défense et souligne la nécessaire articulation des droits nationaux avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et son évolution ;

 en point 2, souligne notre soutien aux objectifs posés par la feuille de route du 4 décembre 2009 ;

 en point 3, demande instamment que la Commission européenne traite conjointement le droit d’accès à l’avocat et l’accès à l’aide juridictionnelle ;

 en point 4, regrette que la proposition de directive, qui requiert une étude d’impact détaillée portant, d’une part, sur ses conséquences sur l’équilibre général des systèmes pénaux des États membres et, d’autre part, sur son nécessaire financement en matière d’aide juridictionnelle, n’ait pas fait l’objet d’un travail préparatoire plus approfondi ;

 en point 5, rappelle que la proposition de directive doit tenir compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres, conformément à l’article 82 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

 en point 6, souligne que la directive doit tendre vers une garantie optimale des droits reconnus aux personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause, tout en préservant la conduite efficace des enquêtes et des procédures pénales ;

 en point 7, qui est plus discuté, prend position sur le problème de l’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée. Je préfèrerais le terme « estime » plutôt que « juge » en début de phrase. J’avais introduit une rédaction selon laquelle l’Assemblée nationale « estime que le fait de créer un droit d’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale constitue un élément fondamental des garanties appropriées à mettre en Å“uvre au profit des personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause mais doit être concilié avec les mesures de l’enquête visant à assurer la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions », formulation fondée sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Mais nous nous sommes accordés sur la formulation qui vous est proposée. Toutefois, la fin du paragraphe « une décision politique qui doit être pesée très attentivement » devrait, à mon sens, être remplacée par les termes « une délibération politique et nécessite une juste évaluation de ses effets juridiques » ;

 en point 8, rejette les propositions de compromis actuellement débattues au sein du Conseil de l’Union européenne ;

 en point 9, estime que la proposition de directive doit mieux préciser et distinguer les actes pour lesquels la présence de l’avocat est nécessaire de ceux pour lesquels elle ne l’est pas ;

 en point 10, juge souhaitable que la directive institue, au profit de la personne arrêtée, un droit de faire prévenir un tiers, comme le prévoit le droit français ;

 en point 11, considère qu’il est nécessaire de prévoir des régimes dérogatoires et exceptionnels, très encadrés.

Le Président Pierre Lequiller. Si vous en êtes d’accord, mes chers collègues, nous allons adopter la proposition de résolution en amendant son paragraphe 7 sur deux points, avec l’accord des deux rapporteurs, pour insérer :

 après « constitue une question centrale », les mots : « et non consensuelle » ;

 s’agissant d’une évolution qui pourrait impliquer la définition d’un statut de la personne soupçonnée, les mots : « relève d’une décision politique et nécessite une juste évaluation de ses effets juridiques, supposant un large accord dont les conditions ne sont pas pour l’instant réunies ».

M. Jacques Myard.

Je suis très sceptique sur cette proposition de directive.

Le Président Pierre Lequiller.

Les rapporteurs ont exprimé de fortes réserves également.

M. Jacques Myard.

Mais je considère qu’il faut la rejeter dans sa totalité. Il est extrêmement dangereux de fixer par une directive des pratiques judiciaires, et cette question relève entièrement du droit national.

Il est certain que la loi que nous avons votée sur la garde à vue va être remise en cause tôt ou tard, car elle n’est pas bonne. On y confond le temps de l’enquête et le temps du procès. Je sais qu’un certain nombre d’États européens vont prendre des initiatives, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour limiter le champ d’application de tout ça. Nous sommes victimes, je le dis brutalement, du lobby des avocats à tous les niveaux. Cela pose des problèmes évidents. Les rapporteurs soulèvent un certain nombre de points, mais ce sont des points techniques. Le problème essentiel est de savoir si l’on a besoin d’une directive européenne en la matière.

Il existe déjà la Cour européenne des droits de l’Homme, qui va souvent trop loin en montant en épingle des cas ponctuels pour rendre des arrêts de principe. Son activité échappe à tout contrôle, nous sommes totalement dans une situation de « gouvernement des juges ». On est allé beaucoup trop loin dans ce domaine.

Bien sûr, tout le monde a besoin d’un défenseur mais c’est à chaque État qu’il appartient de traiter cette question. Il n’est nul besoin d’une directive européenne. Celle-ci serait même nocive. D’autre part, une fois la directive adoptée, il sera extrêmement lourd de revenir en arrière.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure.

La proposition de directive ne sera pas adoptée en l’état.

M. Jacques Myard.

Et quand bien même ! On est en train de paralyser l’action nationale. Que l’Europe s’occupe de ce qui est important, oui, mais cette question relève de chaque État.

M. Philippe Gosselin.

J’ai été le rapporteur de notre Assemblée sur le projet de loi relatif à la garde à vue. Contrairement à mon collègue Jacques Myard, je n’ai pas d’objection de principe à ce qu’une directive intervienne en matière pénale. Mais le principe des droits de la défense, qui est un principe essentiel, doit s’articuler avec la Convention européenne des droits de l’Homme et avec nos approches et systèmes juridiques nationaux. Je suis pour ma part très attaché à notre droit continental. Il ne faut pas sous€“estimer la lutte d’influence entre des approches différentes du droit et le terme « systèmes juridiques » me convient parfaitement. Le texte de la directive doit être retravaillé.

Actuellement, les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’Homme sont parfois contestés, et la Cour elle-même l’est aussi €“ des déclarations récentes des autorités britanniques en témoignent, malheureusement.

Il faut, et la réforme de la garde à vue l’a bien démontré, un équilibre entre le respect des droits de la défense €“ sur lequel il n’y aura pas de retour en arrière, la nécessité pour les enquêteurs de pouvoir travailler, l’intérêt des victimes et celui de la société. Il faut donc être très prudent en ce qui concerne le statut de la personne soupçonnée. C’est une question centrale, une décision politique importante et il n’est pas question d’accepter d’aller au-delà de ce que prévoit le droit français aujourd’hui, je tenais à le rappeler avec force.

M. Guy Geoffroy, co-rapporteur

S’agissant de la CEDH, elle n’a pas de jurisprudence stable à ce jour sur la question de l’accès à l’avocat. Elle rend des jugements au cas par cas, et ces arrêts ne sauraient en eux-mêmes constituer une jurisprudence solide et fiable sur laquelle la Commission européenne pourrait fonder les exigences demandées.

Ce sujet a été mis sur la table par la feuille de route mais est loin de faire consensus. Certains États soutiennent en apparence la proposition parce qu’ils ont un intérêt objectif à ce que la négociation n’aboutisse pas. D’autres États, comme la France, s’y opposent clairement. Le Luxembourg ne dit rien car il ne peut s’opposer à une proposition déposée par Mme Viviane Reding. D’autres encore commencent à réfléchir sérieusement à la lumière de la proposition de la présidence danoise, car ils réalisent que le texte soulève en fait des problèmes très importants.

Il faut insister sur la grande surprise qu’a éprouvée la présidence danoise quand elle a constaté l’absence d’étude d’impact. Elle a dû en conséquence commencer par interroger ses 26 partenaires pour connaître leurs règles et pratiques nationales en vigueur. La feuille de route a été posée, puis dévoyée. C’est une approche idéologique et non pragmatique qui a été engagée !

Il est utile de poser les grands principes au niveau européen, mais en prenant en considération les différentes approches que traduisent les systèmes juridiques nationaux.

La ligne de partage, sur ce texte, n’est pas entre conception anglo-saxonne et droit continental, puisque le Royaume-Uni, comme la France, s’opposent au texte.

A l’issue de ce débat, la Commission a approuvé la proposition de résolution suivante :

« « L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 82 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l’arrestation (COM [2011] 326 final/no E 6330),

1. Rappelle que le droit d’accès à l’avocat constitue un élément fondamental des droits de la défense et souligne la nécessaire articulation des droits nationaux avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et son évolution ;

2. Soutient pleinement les objectifs posés par la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales du 4 décembre 2009, intégrée au programme de Stockholm adopté le 11 décembre 2010 ;

3. Demande instamment que la Commission européenne traite conjointement le droit d’accès à l’avocat et l’accès à l’aide juridictionnelle, ce que la feuille de route précitée a prévu explicitement. Juge, à cet égard, que l’argument selon lequel la définition de normes minimales en matière d’aide juridictionnelle sera complexe ne saurait prévaloir sur la nécessité de garantir un droit d’accès effectif à l’avocat ;

4. Regrette que la proposition de directive, qui requiert une étude d’impact détaillée portant, d’une part, sur ses conséquences sur l’équilibre général des systèmes pénaux des États membres et, d’autre part, sur son nécessaire financement en matière d’aide juridictionnelle, n’ait pas fait l’objet d’un travail préparatoire plus approfondi ;

5. Rappelle que la proposition de directive doit permettre de définir des règles minimales relatives aux garanties procédurales tenant compte des différences entre les systèmes juridiques des États membres, conformément à l’article 82 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

6. Souligne que la directive doit tendre vers une garantie optimale des droits reconnus aux personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause, tout en préservant la conduite efficace des enquêtes et des procédures pénales ;

7. Juge que le fait de créer un droit d’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale constitue une question centrale et non consensuelle dans la définition de l’équilibre à atteindre entre les droits des personnes entendues, soupçonnées ou mises en cause et les nécessités de l’enquête. Une telle évolution, qui pourrait impliquer la définition d’un nouveau statut de la personne soupçonnée en droit français, relève d’une décision politique et nécessite une juste évaluation de ses effets juridiques, supposant un large accord dont les conditions ne sont pas pour l’instant réunies ;

8. Rejette les propositions de compromis actuellement débattues au sein du Conseil de l’Union européenne, qui tendent à créer un droit d’accès à l’avocat pour toute personne soupçonnée ou arrêtée et opèrent dans le même temps une distinction selon que la personne est privée de liberté ou non, prévoyant que seul le droit d’accès à l’avocat en cas de privation de liberté doive être garanti par l’État ;

9. Estime que la proposition de directive doit mieux préciser et distinguer les actes pour lesquels la présence de l’avocat est nécessaire de ceux pour lesquels elle ne l’est pas. Doivent être ainsi rediscutées, à l’aune de l’équilibre à trouver entre les nécessités de l’enquête policière et la garantie des droits de la défense, les dispositions proposées relatives à la présence de l’avocat lors de tout acte de procédure ou de collecte de preuves requérant ou autorisant la présence de la personne soupçonnée, à son droit de contrôler les lieux de détention, à l’obligation d’attendre l’avocat avant de procéder à un interrogatoire ou à une audition et à ses possibilités d’intervention au cours d’un interrogatoire ou d’une audition ;

10. Juge souhaitable que la directive institue, au profit de la personne arrêtée, un droit de faire prévenir un tiers, comme le prévoit le droit français ;

11. Considère qu’il est nécessaire de prévoir des régimes dérogatoires et exceptionnels très encadrés, posant des conditions plus strictes pour le droit d’accès à l’avocat, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, pour les catégories d’infractions les plus graves. »

Puis la Commission a approuvé, sous réserve des modifications demandées dans la proposition de résolution, la proposition de directive (E 6330).