« Sortie de l’urgence sanitaire, un texte inutile, qui n’organise pas la sortie mais maintient certaines exceptions, un texte rejeté par le Sénat et que je n’ai pas voté » par Marietta KARAMANLI

 

Je suis intervenue lors de la séance publique du 2 juillet 2020 sur le projet de texte organisant la fin de l’urgence sanitaire ; je n’avais pas voté le 1er texte car les dispositions permettant de prendre les mesures d’urgence existaient déjà et certaines garantissaient mieux le contrôle du parlement sur le gouvernement que le texte le plus récent. Par ailleurs il existe toujours des dispositions préexistantes à la crise de la COVID qui permette le recours à des mesures de protection des populations.

Assemblée nationale, XVe législature, Session extraordinaire de 2019-2020, compte rendu intégral, Troisième séance du jeudi 02 juillet 2020

 

Le texte de mon intervention en séance à l’Assemblée Nationale

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire revient devant l’Assemblée après son rejet par le Sénat. La Commission nationale consultative des droits de l’homme le qualifie de « sortie de l’état d’urgence sanitaire en trompe l’œil », ajoutant : « les menaces sur les droits et libertés perdurent ».

Je le dis depuis l’examen du premier texte relatif à l’urgence sanitaire : des textes existent, qui ont permis au Gouvernement de prendre toutes les décisions utiles en matière de confinement, de surveillance et d’accès aux soins urgents de la population, au tout début de la pandémie, avant même la saisine du Parlement. Les textes successifs n’ont rien ajouté à la capacité d’intervention des pouvoirs publics, mais ils ont mis à mal les libertés.

Depuis le début de la navette parlementaire, cela a été souligné sur tous les bancs de l’hémicycle, à l’exception notable de ceux de la majorité : l’article L. 3131-1 du code de la santé publique suffisait en mars dernier, et suffirait demain, à gérer la situation en cas de reprise de l’épidémie. Que dit cet article ? « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre I bis du présent titre, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. »

On le voit, le champ est vaste, mais il reste néanmoins calibré à l’objectif d’efficacité. Autrement dit, une capacité à agir est fixée selon le principe de l’équilibre entre les effets bénéfiques et ceux possiblement néfastes des dispositions à prendre en urgence. L’idée est simple : lorsque la situation l’exige clairement, la proclamation de l’état d’urgence sanitaire n’est pas discutable – c’est la raison pour laquelle nous ne nous sommes pas opposés à l’instauration de l’état d’urgence sanitaire en mars, ni à sa prorogation courant mai ; à l’inverse, lorsque la situation ne l’exige plus de manière évidente, alors il est normal et même indispensable de sortir de l’état d’exception, afin de retrouver le droit commun, qui permet de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la pandémie.

Ce texte est inutile. Il tend à normaliser une approche policière de la santé publique, et ce, alors que les cas de contamination sont en net recul et que les personnes contaminées peuvent bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée sans risque de saturation des établissements de santé. L’examen des décisions prises par l’Assemblée nationale montre que mieux armés, nous aurions probablement pu prendre des décisions autres ou d’ampleur différente.

L’exposé des motifs du projet de loi invoque des « incertitudes liées à l’évolution de la situation sanitaire » pour renouveler pour quatre mois, au bénéfice du Premier ministre, le pouvoir de restreindre, à des fins de préservation de la santé publique, l’exercice des droits et libertés fondamentaux tels que la liberté d’aller et venir, la liberté de se réunir et la liberté de manifester. Les libertés fondamentales se trouvent atteintes. Comme l’a souligné la professeure de droit Stéphanie Hennette-Vauchez, ce texte conforte des super-autorités administratives de police dotées de pouvoirs exorbitants.

Le Sénat a de son côté proposé un texte plus équilibré et acceptable, dont les aspects les plus contestables ont été gommés. En commission mixte paritaire, la majorité s’est opposée à cet équilibre. Quelques apports du Sénat ont été maintenus, comme la suppression du régime d’autorisation préalable des manifestations, régime de limitation que le Conseil d’État avait lui-même remis en cause.

Le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce projet de loi, qui n’organise pas une sortie de l’état d’urgence sanitaire, mais qui conforte un état d’exception. En d’autres termes, il s’agit d’une prorogation qui ne dit pas son nom.

Je terminerai en citant un philosophe qui nous est familier. Montesquieu affirmait que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». C’est pour ne pas oublier cette maxime pleine de sagesse que la figure de Montesquieu est représentée aux quatre coins de l’Assemblée nationale. Cela n’a visiblement pas suffi, puisque nous sommes appelés à voter de nouveau un texte qui, sans apporter plus d’efficacité, instille un régime d’affaiblissement des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)

Source photo : capture d’écran depuis la vidéo de la séance sur le site de l’Assemblée Nationale