« 1ère loi sur l’urgence sanitaire, un premier texte qui n’ajoute rien à l’arsenal existant pour prévenir la pandémie ; 1er projet de loi de finances rectificative 2020 , un texte utile mais qui ne remettait pas en cause les mesures d’économies subies par les hôpitaux » par Marietta KARAMANLI

Tableau établi par l’université John HOPKINS (USA) établissant le nombre de décès par pays et pour 100 000 habitants au 8 juillet 2020 ( capture d’écran du site https://coronavirus.jhu.edu/data/mortality)

Je n’ai pas voté ce 1er projet non pas parce que je ne partage pas sa finalité mais simplement parce que les textes existent déjà qui ont permis au Gouvernement de prendre toutes décisions utiles en matière de confinement, de surveillance et d’accès aux soins urgents de la population jusque à la fin de mars 2020 (texte sur l’urgence du 3 avril 1955 et article L 3131-1 du code de la santé).

Il n’ajoute donc rien à la capacité d’intervention et au contrôle possible par le juge et le Parlement sur d’autres bases. A l’inverse il  a établi une délégation de pouvoir au profit de l’exécutif dans des domaines comme le droit du travail alors même que des adaptations négociées dans des délais rapides par les entreprises et les représentants des salariés auraient été plus efficaces dans un moment consensuel. Les autres dispositions relevaient d’une habilitation possible sans nouvelle loi d’exception mal ficelée.

Le comité scientifique qui est censé avoir donné l’avis favorable au maintien du 1er tour des élections a été ainsi confirmé mais son indépendance toujours pas assurée.

Le texte ne traitait nullement des dispositifs (masques, gel, mesures de distanciation sociale par le télétravail et les distances de sécurité) dont l’accès a tardé et qui auraient ralenti la propagation. J’ai d’ailleurs demandé dans la loi de finances rectificative examinée en même temps que les crédits annoncés pour les hôpitaux soient fléchés et que les plans d’économies toujours en vigueur soient abandonnés.

1 Loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 – texte n° 2762 et Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 – N° 2763 

Je souscris à la finalité des textes mais je n’adhère pas aux modalités prévues et ai votées contre, certaines d’entre elles auraient pu être améliorées dans le climat de consensus que recherchaient les députés.

Des textes existent permettant déjà de lutter contre les maladies contagieuses et le texte qui a été discuté ouvre la possibilité de mesures autres sans certitude qu’elles ne soient que temporaires.

1 Les textes existaient et continuent d’exister pour prendre toute mesure utile et lutter contre la pandémie sans recours à une nouvelle législation ; les dérogations non encore connues au droit, entre autres du travail, présentent des risques.

D’une part il existait et existe toujours d’autres moyens juridiques de recourir à des mesures exceptionnelles pour lutter contre le coronavirus et tout autre danger pour la santé ; il s’agit d’une part de la loi du 3 avril 1955 et d’autre part, des dispositions du code de la santé publique (voir l’encadré plus bas).

La propagation du virus a ainsi été combattue au début par des mesures de droit commun, celles prises sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, notamment un arrêté du ministre de la Santé et un décret du Premier ministre. Le Chef de l’Etat avait annoncé initialement le recours aux ordonnances de l’article 38 pour les mesures relatives à la gestion de cette crise.

Rien ne s’opposait à la mise en œuvre de ces deux textes face à la pandémie. Cela n’a pas été le choix du gouvernement, donc plus politique que juridique. On introduit dans l’urgence des mesures appelées à durer. Les situations d’exception, comme l’état d’urgence, risquent de devenir la norme. Certaines dispositions à caractère économique risquent de rester. Demain il y a aura j’en suis persuadée des états d’urgence climatique ou environnementale voire économique.

De plus en plus de textes viennent donc s’ajouter aux législations existantes sans que cela ajoute à l’efficacité des mesures. Il y a eu du « bricolage » et des articles ont été réécrits à la va vite.

Le  texte donne ainsi au gouvernement la possibilité de prendre par ordonnance des mesures législatives provisoires étendues, ce qui n’est pas, sans susciter des inquiétudes. La rapporteure elle-même a regretté une habilitation très générale manquant de précision.

L’article 7 autorise le gouvernement à prendre des ordonnances qui emportent le risque de produire des effets au-delà de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, notamment dans le domaine du droit du travail et de l’organisation de la justice. La Commission nationale consultative des droits de l’homme autorité indépendante s’en est inquiétée.

Le code du travail va ainsi être modifié par l’exécutif alors que ces adaptations auraient pu être le fruit de négociations menées rapidement entre les entreprises et les représentants du personnel. En associant le monde du travail, le Parlement, les acteurs économiques aux décisions, du temps et de l’efficacité seraient, j’en suis sûre, gagnés.

Je note enfin (l‘article 5) qu’aucune garantie n’est donnée quant à l’indépendance du comité scientifique nommé par le Président de la République qui donne des avis sur les mesures à prendre ; c’est ce comité déjà existant qui est présumé avoir donné un avis favorable à la tenue du 1er tour des élections municipales… La Commission nationale consultative des droits de l’homme là encore s’en est inquiétée.

L’art 1 de la loi de 1955 modifiée «L ‘état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. » Art 2 L’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Art 3 La loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l’état d’urgence fixe sa durée définitive.

Les épidémies sont incluses dans la notion de « calamité publique », qui renvoie à toute catastrophe naturelle, du séisme à la maladie contagieuse.

L’art L 3131-1 dispose que « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l’objet d’une information du procureur de la République ».

  • Le texte donne moins de contrôles sur l’exécutif que les autres dispositifs d’exception

D’autre part, la finalité ne doit pas non plus nous conduire à abandonner l’idée même de mécanismes de contrôle.

Comme le dit le Professeur de droite Dominique ROUSSEAU « On peut comprendre que l’exercice des libertés soit différent en temps normal et en temps exceptionnel, mais, comme on reste dans un État de droit, il faut que les principes fondamentaux soient respectés. Ils le sont, parce qu’est garanti le contrôle par le Parlement, par le juge mais aussi par la presse. »

Ainsi l’article 16 de la Constitution qui institue un autre régime d’exception prévoit que le conseil constitutionnel est consulté sur les mesures prises et la possibilité pour le Président de l’Assemblée Nationale de saisir celui-ci au bout de 30 jours pour dire s’il y a toujours des circonstances exceptionnelles. Rien de cela n’a été prévu par le texte.

  • Le texte ne donne pas de garantie suffisante aux populations sur l’efficacité des mesures de protection

Enfin la loi seule ne suffit pas pour protéger les populations les plus vulnérables et aider les salariés et personnels qui se retrouvent en première ligne sans possibilité effective d’exercer leurs droits retrait (ex les salariés de la grande distribution…). Des intentions à la réalité il y a un « gap » sur lequel j’ai appelé l’attention de mes collègues.

Si le confinement est aujourd’hui indispensable, je regrette le temps qu’il a fallu pour avoir plus de masques, de gel hydroalcoolique, de tests PCR et le retard pris dans la mise en place d’autres mesures de distanciation sociale (télétravail, distances de sécurité, etc.) qui instituées plus tôt, auraient aussi pu contribuer à ralentir la propagation du virus.

2 Loi de finances rectificative pour 2020 – N° 2758

Peu avant j’avais déposé une contribution sur le projet de loi de finances rectificative (sur lequel je me suis abstenue) regrettant que le principe de crédits supplémentaires pour l’hôpital ne figure pas clairement dans le texte et que les mesures d’économie toujours en vigueur pour les hôpitaux ne soient pas annulées ou annoncées comme levées.