« Stratégie européenne en matière de mobilité durable, mieux faire correspondre les moyens à mobiliser avec les objectifs ambitieux affichés» par Marietta KARAMANLI

Le 20 octobre j’ai présenté avec mon collègue Damien PICHEREAU (député LREM) la première partie de nos travaux faits en commun sur la stratégie européenne en matière de mobilité durable et intelligente.

Cette partie des travaux concerne la stratégie européenne et la mobilité routière.

Mon propos a concerné la stratégie.

J’ai insisté sur les objectifs ambitieux de celle-ci.

La stratégie repose sur les trois leviers d’actions classiques de la transition écologique, à savoir l’innovation technologique, la maîtrise de l’énergie et la réglementation.

1ère observation

Proposer quatre-vingt-deux initiatives avec des premières échéances en 2030 compte tenu du rythme des discussions européennes semble difficile.

2ème observation

Il y a un déséquilibre entre les objectifs fixés et les moyens pour les atteindre.

Les objectifs du pacte vert européen à savoir un continent climatiquement neutre en 2050 nécessitent des investissements allant au-delà de ceux prévus.

Les coûts à supporter par les consommateurs doivent être aussi neutres que possibles pour les plus modestes (voitures électriques, bâtiment…). La création d’un second marché du carbone pour le secteur routier et les bâtiments suscite beaucoup d’interrogations.

On ne peut que redouter que des mesures indispensables soient refusées car pas acceptables socialement par les consommateurs.

3ème observation

Est notée la faible mention du transport public et l’insuffisance de prise en compte de la montée en puissance du vélo. De plus le cas des travailleurs du secteur des transports est globalement absent de la stratégie. Or, amener le secteur vers une réduction des émissions implique nécessairement un bouleversement de l’organisation sociale du secteur, qui emploie 11 millions de travailleurs en Europe.

4ème observation

La question de la production d’énergie notamment pour les voitures électriques pose la question de la production d’énergie nucléaire, de ses coûts qui doivent prendre en compte le démantèlement des centrales arrivant en fin de vie et l’entreposage des déchets, enfin les risques qu’elle comporte.

Nous appelons donc à faire preuve de volonté, à prendre en compte la nécessité d’une compensation des coûts en premier lieu pour les consommateurs les plus modestes et à mieux lier objectifs et moyens dédiés et l’ensemble des impacts et des choix à faire.

Voici les sujets sur lesquels j’ai insisté lors de la présentation.

Mon collègue s’est intéressé plus directement aux enjeux du transport routier.

Marietta KARAMANLI

Le texte des communications sur le site de l’Assemblée Nationale.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/due/l15due21220208_compte-rendu

Le rapport adopté et publié http://l15b4599-ti_rapport-information

Retrouvez la vidéo de présentation sur le site de l’Assemblée Nationale

Le texte des interventions et réponses aux questions posées

Examen du rapport d’information sur la stratégie européenne en matière de mobilité durable et intelligente : 1ère partie (Mme Marietta Karamanli et M. Damien Pichereau, rapporteurs)

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Mes chers collègues, notre réunion commence par l’examen du premier tome du rapport d’information sur la stratégie européenne en matière de mobilité durable et intelligente. En effet, la stratégie présentée en décembre 2020 par la Commission couvre un périmètre considérable : quatre-vingt-deux nouvelles mesures proposées appelant à une révolution considérable de tout le secteur des transports dans la perspective de la décarbonation de l’économie européenne d’ici 2050.

Nos rapporteurs ont donc très pertinemment opté pour une présentation et une publication en deux temps de leur travail. Le deuxième tome de leur rapport sera examiné en commission le 15 décembre.

Damien Pichereau, rapporteur. Nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui la première partie de nos travaux sur « la stratégie européenne de mobilité durable ».

Vous n’en avez sans doute pas assez entendu parler, mais cette stratégie est un document clé. Elle met en œuvre les objectifs du pacte vert européen, du green deal décidé en 2019, pour le secteur des transports. Ces derniers sont un pilier de notre mode de vie mais aussi un secteur économique majeur : au niveau européen, le secteur représente 5 % du PIB de l’Union et emploie onze millions de personnes.

Dans le même temps, les transports ont un impact néfaste. Le secteur est un des premiers émetteurs de CO2 en Europe, ses émissions ont augmenté de 18 % depuis 1990 en dépit des efforts déjà engagés par les filières et alors même que d’autres secteurs économiques (industrie par exemple) ont réussi à réduire leurs émissions.

Dans ce contexte, une mobilisation européenne en faveur de la transition écologique ne peut faire abstraction du secteur des transports. Les institutions européennes l’ont bien compris : depuis 2011, les efforts de réduction des gaz à effet de serre demandés sont considérables. Ils ont été largement rehaussés par le Pacte vert et la stratégie européenne de mobilité qui le met en application.

Précisément, pour présenter la stratégie européenne de mobilité durable et intelligente nous avons fait le choix de diviser ce rapport en deux parties pour plusieurs raisons :               l’importance de ce sujet, c’est-à-dire la transition écologique d’un secteur clé mais aussi l’ampleur de cette stratégie de mobilité (composée de quatre-vingt-deux initiatives législatives) et, enfin, le rythme plutôt lent auquel sont dévoilées les initiatives.

Cela justifie que nous y consacrions deux présentations, que nous ayons deux débats, pour mettre en valeur les enjeux spécifiques aux différents secteurs.

Aujourd’hui, nous allons aborder le cadre général, un premier bilan des apports et faiblesses de la stratégie et évoquer le cas du secteur routier, pilier de la mobilité et son adaptation à la transition écologique.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. 

La transition écologique du secteur des transports est en effet un enjeu clé. L’Union européenne en a pris la mesure de manière progressive. Dès 2011, le livre blanc sur les transports, qui est resté comme une référence, pose le défi de « rompre la dépendance du système de transport à l’égard du pétrole sans sacrifier son efficacité ni compromettre la mobilité ».

Suite aux Accords de Paris de 2015, l’Union s’est engagée à réduire ses émissions d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le Pacte vert européen s’inscrit bien dans cet engagement réitéré de l’Union, de long terme, de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

En proposant que l’Union devienne le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050, le Pacte vert prend la mesure de l’urgence climatique et accélère le mouvement déjà engagé. Pour le secteur des transports, la Stratégie européenne de mobilité durable prévoit un objectif général de réduction des gaz à effet de serre d’au moins 55 % pour 2030.

Elle se distingue par le caractère ambitieux des objectifs fixés et multidimensionnel des propositions qui touchent tous les modes de transport : routier, rail, aviation et le maritime. Nous pouvons citer quelques exemples : la mise en circulation d’au moins 30 millions de voitures zéro émission sur les routes européennes ou encore la transformation d’une centaine de villes européennes qui deviendront climatiquement neutres ainsi que le doublement du trafic ferroviaire à grande vitesse dans l’Union européenne.

La stratégie repose sur les trois leviers d’actions classiques de la transition écologique, à savoir l’innovation technologique, la maîtrise de l’énergie et la réglementation. De plus, deux fils rouges unissent les différentes propositions :

En premier lieu, le report modal vers le rail, tant pour le transport de personnes que de marchandises. Cette proposition a de nombreuses implications, en particulier la nécessaire augmentation des investissements sur les infrastructures et une réadaptation des autres secteurs, au premier rang desquels le secteur routier.

Deuxièmement, le principe du pollueur-payeur, supposant que les entreprises et les consommateurs ayant recours aux modes de transports les plus polluants assument le coût des externalités négatives générées par ces modes de transport – du moins contribuent activement à leur prise en charge. Une telle tarification pourrait prendre la forme de péages urbains pour les automobilistes ou d’une taxation progressive des billets d’avion par exemple en fonction de la fréquence des voyages.

Le paquet Fit for 55 présenté le 14 juillet dernier par la Commission européenne apporte des premières précisions sur les moyens d’atteindre ces objectifs. En particulier, sont prévus :

– une révision des normes en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes prévoyant que toutes les voitures neuves immatriculées à partir de 2035 seront des véhicules à émissions nulles ;

– un règlement révisé sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs qui favorise l’électrification du parc automobile, le recours à l’hydrogène ainsi qu’aux biocarburants ;

– un nouveau marché du carbone commun aux secteurs routier et bâtiment, qui devrait être mis en place en 2026. Il serait synonyme de nouvelles obligations pour les fournisseurs, qui devront surveiller et déclarer la quantité de carburant mis sur le marché. Ils devront également restituer des quotas d’émission chaque année en fonction de l’intensité en carbone des carburants.

Toutes ces mesures, dans l’ensemble bien accueillies par les États membres et les acteurs du secteur, soulèvent néanmoins des questions que nous avons pointées avec mon collègue, sur leur réalisme et leur faisabilité notamment.

D’emblée, vous le constatez, proposer quatre-vingt-deux initiatives avec des premières échéances en 2030 compte tenu du rythme des discussions européennes semble difficile. D’autant qu’à ce stade, seul le paquet Fit for 55 a apporté des éclaircissements utiles. Or, il y va de la crédibilité de la voix européenne sur la scène internationale de tenir les objectifs qu’elle se fixe, surtout lorsqu’elle entend montrer la voie vers une croissance durable.

Plus important encore, il y a un déséquilibre entre les objectifs fixés et les moyens pour les atteindre. La stratégie repose en grande partie sur l’innovation technologique, l’hydrogène et le report modal, pour lesquels existent de fortes incertitudes.

Si l’innovation technologique constitue un levier d’action essentiel, elle reste aussi une solution de long terme et éventuellement de moyen terme. Par exemple, l’idée de commercialiser à l’horizon de 2035 les premiers aéronefs à zéro émission évoqués dans la stratégie, se heurte à un obstacle très concret et majeur : la technologie nécessaire à cette production n’est pas encore disponible.

Le Pacte vert européen et la stratégie de mobilité font le pari de promouvoir l’hydrogène comme une solution durable. Or, plus de 90 % de l’hydrogène consommé pour l’instant provient de gaz naturel. Il faut donc d’abord décarboner l’hydrogène avant d’en massifier la production.

Le report modal sur le transport ferroviaire des marchandises, bien qu’encouragé fortement par l’Union depuis une vingtaine d’années n’a pas encore donné de résultats satisfaisants. Il suppose un investissement important en termes d’infrastructures qui n’a pas été effectué ainsi qu’un changement dans la demande de transport – qui ne s’est pas non plus produit – tenant compte des usages, eux-mêmes liés à l’évolution des modes de vie et de travail dans les territoires.

Ces lacunes sont aggravées par la quasi-absence de dispositions sur le financement des mesures dans la stratégie, renforçant l’inquiétude évoquée. La Commissaire européenne chargée des transports, Adina Valean, a évoqué devant les parlementaires européens une estimation de plus de cent milliards d’euros par an entre 2021 et 2030 qui seraient nécessaires pour les secteurs des transports et de l’énergie. Le transport représenterait environ 45 % des besoins. Si l’on inclut les moyens nécessaires pour mettre en œuvre les politiques nationales, ce chiffre pourrait représenter plus de 390 milliards d’euros.

Nous tenons également à signaler les lacunes déjà présentes dans la stratégie qui nous font douter de son réalisme.

La première est la faible mention du transport public. Elle s’explique par le respect du principe de subsidiarité. Pourtant, aucune stratégie de mobilité sérieuse ne peut faire l’impasse sur la massification du transport public alors que 74 % de la population européenne vit en ville et que 23 % des émissions de gaz à effet de serre des transports concernent les zones urbaines.

Pour des raisons similaires, la stratégie européenne tend à ignorer la montée en puissance du vélo dans les modes de transports urbains. Or, cette industrie est en pleine croissance, tant les vélos classiques que les vélos électriques.

En creux, ces deux angles morts révèlent une faille majeure dans la stratégie : elle ne prend pas en compte la demande de transport. Ce faisant, elle se prive d’un levier supplémentaire d’action que serait la promotion de la sobriété dans la demande de transport des usagers. Ce défaut la conduit aussi à éluder la place centrale qu’occupe l’utilisateur des transports et donc à perdre de vue le rôle clé des déterminants de la mobilité.

De la même manière, l’aspect social, c’est-à-dire assurer une transition juste pour les citoyens européens et les travailleurs du secteur, est pour l’essentiel absent de la stratégie. Seules quatre des quatre-vingt-deux propositions ont une visée sociale selon les syndicats européens que nous avons entendus. Pourtant, la question de l’acceptabilité sociale des mesures écologiques est centrale en Europe. Nous savons que la transition écologique ne peut se faire sans pédagogie et sans des mesures de compensation sociale permettant un juste partage du coût de la transition écologique.

Un premier revirement semble intervenir depuis la proposition d’un fonds pour le climat introduit dans le paquet Fit for 55 pour compenser l’augmentation du prix des carburants liés aux marchés du carbone ; le premier qui sera révisé et le deuxième, sur le secteur routier et les bâtiments, qui sera introduit en 2026.

En parallèle, le cas des travailleurs du secteur des transports est globalement absent de la stratégie. Or, amener le secteur vers une réduction des émissions implique nécessairement un bouleversement de l’organisation sociale du secteur, qui emploie 11 millions de travailleurs en Europe, pour l’essentiel précaires, souvent transfrontaliers ou en détachement, soulevant de vrais enjeux de sécurité de l’emploi. Des reconversions professionnelles, des formations nouvelles, des compensations doivent être pensées pour les travailleurs du secteur, en particulier du routier à qui l’on demande de repenser son modèle économique.

L’accumulation de ces lacunes multidimensionnelles est de nature à remettre en cause l’efficacité des mesures proposées. Nous attendons donc que la phase de négociations apporte d’importantes clarifications.

Damien Pichereau, rapporteur.À travers l’étude de la stratégie de mobilité européenne, le cas du transport routier a particulièrement retenu notre attention. Le premier tome de ce rapport se focalise sur celui-ci.

Pour comprendre l’ampleur des changements qui lui sont demandés, il faut avoir à l’esprit ce qu’il représente à la fois en termes d’utilisation et d’émission de gaz à effet de serre.

C’est d’une part le moyen de transport le plus utilisé par les citoyens. Par exemple plus de 80 % du transport de passagers de l’Union se fait par la route. De plus, 75 % des marchandises transitent par la route dans l’Union européenne. Comme l’avait souligné Élisabeth Borne, alors Ministre des Transports, dans son discours à l’occasion du centenaire de l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA) en 2019, « la voiture reste la colonne vertébrale des déplacements de bon nombre de nos concitoyens ».

Pourtant, le transport routier est le mode de transport le plus polluant, il génère 72 % des émissions de gaz à effet de serre que produisent les transports en Europe. Il est encore trop dépendant des énergies fossiles puisque 95 % du parc des véhicules routiers en circulation a recours aux carburants traditionnels dans l’Union.

Or, les usagers de la route ne couvrent pas le coût des externalités qu’ils produisent, à travers la fiscalité sur les carburants et les péages. Si cette disparité concerne la plupart des véhicules et des milieux, elle s’accentue pour les voitures personnelles qui circulent en milieu urbain ainsi que pour les voitures roulant au diesel. Pour ma part, j’attire votre attention sur les véhicules utilitaires légers qui montent en puissance. Pourtant, une tonne transportée par VUL émet plus de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques que son transport par poids lourd – il faut donc les inclure davantage.

Dans ce contexte, nous devons réussir la transition écologique du transport routier. D’autant que nous pouvons compter sur une opinion publique favorable en Europe puisque près des deux tiers des citadins soutiennent l’idée que seules les voitures à zéro émission soient vendues en Europe à l’horizon 2030.

Pour atteindre les objectifs du pacte vert, la Commission européenne a fait de nombreuses et ambitieuses propositions pour le secteur routier, dont trois ont été concrétisées avec le paquet Fit for 55.

Premièrement, la fin de la vente des voitures à moteur thermique en 2035. Mettre ces objectifs en amont de la chaîne permet de faire peser les nouvelles réglementations sur les constructeurs et non sur le consommateur final. Pour arriver à ce résultat, les objectifs de réduction des émissions de CO2 ont été revus à la hausse tant pour les voitures que pour les camionnettes.

Pour l’instant, les États membres semblent divisés sur cette proposition : d’un côté, l’Autriche, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas par exemple souhaitent avancer l’échéance à 2030. De l’autre, la Hongrie, la Bulgarie et la République Tchèque souhaitent quant à eux allonger ce délai.

Nous y sommes favorables pour notre part. Néanmoins, d’autres solutions techniques existent afin de favoriser la réduction des émissions de CO2. L’exemple du rétrofit est particulièrement parlant et est fortement encouragé en France. Pour rappel, le rétrofit vise à remplacer le moteur thermique d’un véhicule par un moteur électrique.

Par ailleurs les annonces réalisées le 12 octobre dernier par le Président de la République, dans le cadre des objectifs France 2030, de produire près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides ainsi que de produire le premier avion bas carbone montrent la volonté de la France de maintenir ses objectifs de baisses des émissions de CO2 à court terme.

Deuxième point, le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, qui devrait contribuer à l’essor des voitures électriques. En effet, le règlement révisé demande aux États membres d’augmenter leur capacité de recharge au rythme des ventes de véhicules à émissions nulles. De manière pratique, cela suppose d’installer des points de recharge et de ravitaillement à intervalles réguliers sur les grands axes routiers. La Commission propose une distance de 60 kilomètres entre chaque borne électrique et de 150 kilomètres pour le ravitaillement en hydrogène, qui permet, comme vous le savez, une meilleure autonomie.

Cet objectif ambitieux suppose de remédier à la disparité dans le maillage des bornes de recharge : 70 % des bornes se trouvant dans trois États membres, dont la France et les Pays-Bas, alors que leur existence est presque nulle dans d’autres pays, comme en Roumanie par exemple.

Nous pensons que l’augmentation de la capacité devrait être décorrélée du rythme de vente puisque l’existence des infrastructures nécessaires à la recharge est un facteur clé dans les décisions d’achat des consommateurs.

Enfin, la création d’un marché du carbone pour le secteur routier et les bâtiments. De loin la proposition la plus controversée du paquet Fit for 55, concernera les fournisseurs. Alors qu’elle s’inscrit bien dans l’idée d’un principe pollueur-payeur, cette idée a suscité des réactions mitigées des acteurs du secteur et des États membres. D’un côté, certains craignent le caractère punitif de la mesure, d’autres comme la France se montrent prudents et demandent des études d’impact exhaustives avant une éventuelle entrée en vigueur.

En effet, augmenter le prix du carbone risque de renchérir le prix de l’énergie et donc de pénaliser le consommateur final. La flambée des prix de l’énergie actuelle dont les gouvernements nationaux tentent de limiter l’impact sur les Européens, rappelle l’enjeu de l’acceptabilité sociale des mesures écologiques. Se pose la question de savoir si le fonds pour le climat sera en mesure de compenser l’augmentation des prix.

Chers collègues, vous l’aurez compris : la transition écologique des transports est nécessaire, elle constitue un enjeu fondamental pour l’Europe. Néanmoins, pour être viable, elle doit reposer sur des objectifs atteignables et réalistes. Dans l’ensemble nous sommes favorables aux propositions connues jusqu’ici, mais nous appelons les institutions européennes à nous donner davantage de précisions sur les moyens de la mise en œuvre – ce qui nous semble aujourd’hui faire défaut.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. 

Vous brossez un tableau très mitigé et êtes très pessimistes sur les limites de la stratégie. Il y a des avancées dans les réalisations, mais de grandes limites comme la quasi-absence de financements, le faible nombre d’utilisateurs en multimodal et un problème d’acceptabilité sociale comme l’illustre la hausse des prix de l’énergie. L’innovation technologique n’avance pas au rythme souhaité, l’hydrogène par exemple n’est qu’à ses débuts malgré une alliance qui se forme entre la France et l’Allemagne.

Concernant le secteur routier, l’électrique semble naturel et logique pour les voitures individuelles. Il y a toutefois un cercle vicieux : l’installation des bornes de recharge suit le rythme de la vente des véhicules électrique et dans le même temps, l’achat de véhicules électrique est motivé par la présence d’infrastructures de recharge.

Qu’en est-il du transport routier ? Pense-t-on à l’hydrogène ou a-t-on des propositions ? Quelles avancées sur les camions électrifiés ?

Dans les villes et les centres-villes, quelles sont les activités de transport ayant l’impact le plus significatif en termes de pollution ? Je pense au déménagement ou à la livraison des marchandises, a-t-on une vision précise sur ces enjeux ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Mon co-rapporteur et moi-même partageons la même analyse des auditions que nous avons faites jusqu’à présent. Nous avons mené près de quarante auditions, il nous en reste un petit nombre à réaliser avant décembre afin de compléter la seconde partie du rapport. Néanmoins, plusieurs questions subsistent pour que le consommateur final soit financièrement en capacité d’accéder à la transition écologique.

Concernant l’innovation et plus particulièrement sur l’hydrogène. Nous constatons une réelle progression technologique en matière d’hydrogène ; mais elle ne s’effectue pas à la vitesse prévue dans la stratégie. La distinction entre hydrogène « vert » et « gris » ne doit pas non plus être négligée. Les spécialistes disent que l’Europe ne sera pas capable de produire suffisamment d’hydrogène « vert » dans les quantités requises en cas de passage au tout-électrique et au tout-hydrogène.

S’agissant de la question des villes, il y a la question de la logistique, qui n’est pas abordée aujourd’hui mais le sera dans la prochaine présentation.

Je ne suis pas pessimiste, des ambitions sont affichées aujourd’hui et il faut – c’est là notre rôle de parlementaires membres de cette commission– pointer ce qui manque. Si nous voulons mettre en œuvre cette stratégie avec cette ambition, il faut de moyens et de précisions sur les moyens déployés pour atteindre ces objectifs.

Nous sommes ici des Européens convaincus, mais il faut construire l’Europe par le haut pour que nous y ayons tous accès. Sur la question du « tout électrique », il n’y a pas de mot tabou et il faut se poser la question de la production de l’énergie ainsi que celle de la part du nucléaire et des énergies alternatives. Nous ne l’aborderons pas dans ce rapport pourtant la question est bien présente et il serait intellectuellement malhonnête de ne pas le mentionner.

Damien Pichereau, rapporteur. 

Je souhaiterais aussi ajouter un point sur la question des camions et de la logistique, qui est effectivement très importante. Nous sommes dans une phase de transition et il y a de la place pour tout le monde. Le gaz naturel, notamment biogénéré tel qu’il est produit sur notre territoire, a sa place dans le transport sur de longues distances. Demain, l’électrique s’imposera, notamment pour les livraisons en ville, qui sont de plus en plus importantes avec le développement du commerce en ligne.

Pour des distances longues l’hydrogène s’imposera, on l’espère vert, mais aussi à partir d’énergie nucléaire. Nous aurons également des électrolyseurs qui seront de plus en plus efficients et performants, ce qui rendra certainement la situation meilleure et permettra le transport sur de longues distance, ce qui constitue l’objectif de plus long terme.

Mme Liliana Tanguy.

Votre présentation très éclairante confirme que l’environnement et le climat ne peuvent pas attendre. L’urgence climatique est évidente et les gouvernements européens en sont bien conscients et se mobilisent. C’est le cas de la France, qui a notamment adopté une loi volontariste sur le climat et la résilience, promulguée en août dernier. Cette prise de conscience au sein de l’Union a conduit la Commission européenne à présenter sa nouvelle feuille de route environnementale et le Pacte vert pour l’Europe, qui a pour objectif de rendre l’Europe climatiquement neutre à l’horizon 2050, adoptée par l’ensemble des partenaires européens.

Ce green deal s’attarde sur de nombreux secteurs, dont les mobilités. C’est ainsi qu’en décembre 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie européenne en matière de mobilité durable et intelligente. Selon votre rapport, cette stratégie comporte certaines lacunes, notamment sur l’aspect social. Vous illustrez votre critique par une statistique : selon les syndicats européens, seules 4 propositions sur 82 de cette stratégie revêtent une portée sociale.

Je fais la même analyse dans mon rapport d’information sur la loi « climat et résilience », dans lequel j’ai insisté sur l’acceptabilité sociale des mesures environnementales, condition essentielle pour assurer leur effectivité. Je voudrais redire ici ce qu’un commissaire a dit récemment : il n’y aura pas de transition écologique sans transition juste.

Fort heureusement, vous avez souligné un premier revirement avec la création d’un fonds social pour le climat introduit dans le paquet européen Fit for 55 , concernant la compensation de l’augmentation du prix du carbone. Pensez-vous qu’afin d’assurer une transition juste pour nos concitoyens, l’intégration de l’aspect social à la stratégie de mobilité via un fonds constituant un levier essentiellement financier est suffisante pour atteindre un objectif social ? Dans le cas contraire, quels seraient les autres leviers que nous pourrions envisager ?

Didier Quentin.

Je suis d’accord avec le constat de notre Présidente. Il s’agit d’un tableau réaliste mais mitigé. Ce rapport va servir d’aiguillon, c’est en tout cas l’esprit dans lequel je le conçois. Je reprends ce qui a été souligné sur les 82 initiatives, seules 4 ont une visée sociale, ce qui constitue certainement une grande lacune.

Je vois également d’autres lacunes, qu’il va falloir combler. Vous avez eu raison d’évoquer la question de l’hydrogène. C’est devenu un argument récurrent, presque magique. Or, comme vous l’expliquez, l’hydrogène n’est pas la panacée. Vous avez raison de faire la distinction entre hydrogène « vert » et hydrogène « gris », qui provient du gaz naturel et ne constitue pas une perspective aussi réjouissante que nous pouvons parfois croire.

Quelques questions pouvant sembler accessoires mais liées à l’actualité, se posent également. S’agissant du transport routier, vous avez évoqué ces objectifs très ambitieux de 30 milliards de véhicules « zéro émission ». Aborde-t-on le problème d’éventuelles limitations de vitesse ? Il y a en effet une disparité entre les pays européens, je pense par exemple à l’Allemagne et ses faibles limites de vitesse.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. 

En Allemagne, il y a de plus en plus de tronçons limités à 100, à 120 kilomètres par heure.

Didier Quentin.

J’entends que les vitesses sont aujourd’hui plus limitées. En France, nous avons des péages plus chers pour rouler à 130 sur quelques kilomètres, je parle en particulier de l’autoroute A10 sur laquelle la vitesse est limitée avec des vitesses variables et parfois même des radars. La limitation des vitesses est-elle en tout cas un sujet envisagé ?

Deux autres aspects n’ont pas été évoqués, mais l’ont peut-être été dans votre rapport. Le premier est le transport maritime, nous avions la semaine dernière à Pornic sur la côte Atlantique les journées des élus du littoral et nous sommes allés non loin à Saint-Nazaire visiter les chantiers de l’Atlantique. Ces chantiers entament la construction d’un paquebot qui prendra 7 000 à 8 000 passagers avec 3 000 membres d’équipage. On nous a assuré que ce mastodonte des mers serait plus économe en énergie que des paquebots antérieurs, mais on peut se poser la question du transport maritime.

Je pense également au transport aérien qui est un sujet intéressant. Un autre sujet a été abordé en France et a suscité quelques polémiques. Il s’agit du transport fluvial sur lequel nous ne sommes pas les mieux placés et d’autres pays européens sont en avance sur nous, il pourrait constituer une voie d’avenir.

Mme Nicole Le Peih.

Ce rapport offre une vision globale des enjeux à venir sur la question des mobilités durables.

En tant que co-rapporteure d’une mission d’information sur l’avion du futur, je mesure combien la question des carburants alternatifs est primordiale. Ils représentent 80 % de la solution à la neutralité carbone dans le secteur aéronautique. Comme vous le soulignez, le travail de recherche et d’innovation doit continuer afin que nous puissions trouver des solutions de production sur le long terme et pour l’ensemble du territoire.

J’observe autour de moi que les producteurs de biocarburants sont potentiellement nombreux grâce à la valorisation des cultures intermédiaires comme le colza ou encore grâce au recyclage des « graisses de flottation ». L’entreprise La Cooperl a par exemple décidé de récupérer toutes ses boues et ses déchets pour pouvoir les transformer ensuite en biocarburant. Je pense aussi à ce recyclage de graisses notamment dans la filière porcine et je dirais que ces deux exemples sont assez diversifiés sur nos territoires. Alors que les unités de production de biocarburant apparaissent partout dans des contextes très variés, comment soutenir l’émergence de biocarburants ?

Votre rapport revient ensuite sur l’enjeu de la transition écologique dans le transport routier. En tant que députée bretonne et agricultrice, vous imaginez mon attachement au sujet. Dans notre région, l’essentiel de la logistique terrestre s’effectue par les routes. Les produits agricoles et alimentaires représentent à eux seuls 40 % du tonnage transporté par les routes. En 2018 et pour la seule Bretagne, le secteur routier emploie 20 000 personnes.

Il est donc important de prévoir la transition dans ce secteur car même si des solutions existent tels que les camions à hydrogène ou encore le bio-hydrogène vert, ces technologies ne sont pas toutes matures. De plus, elles requièrent des investissements importants. Avez-vous une lecture différente de cette transition à laquelle le secteur doit faire face ? Comment assurer un meilleur accompagnement au niveau européen de ces transitions ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

Le fonds social pour le climat, constituant le premier revirement social du paquet Fit for 55, démontre le faible traitement des questions sociales que nous avons collectivement constaté. Si l’on doit parler d’écologie aujourd’hui, il faut une écologie globale et on ne peut faire l’impasse sur une écologie populaire.

Si la majorité des citoyens européens n’accède pas à cette transition, cela soulève de nouvelles inquiétudes d’acceptabilité sociale des mesures. D’autres questions émergent également sur le « tout électrique » le recours aux batteries et le recyclage des déchets.

Concernant le fonds social, il serait doté de 144 milliards d’euros, difficile de savoir à ce stade si ce montant sera suffisant.

Damien Pichereau, rapporteur. 

Concernant l’hydrogène, deux questions centrales se posent, notamment celle du CO2. Il serait inutile de produire de l’hydrogène en émettant plus de CO2du puits à la roue qu’un moteur diesel. Nous devons avoir une réflexion claire sur ce sujet, notamment lorsque nous parlons d’électrolyse. En effet, il existe deux manières de produire de l’hydrogène : par électrolyse ou vaporeformage, cette dernière solution émet davantage de CO2, mais l’électrolyse consomme aujourd’hui beaucoup d’électricité, ce qui implique une réflexion globale sur le sujet.

La deuxième question est celle du coût, qui va au-delà du prix d’achat des produits. En effet, le cas des camions à hydrogène est souvent évoqué pour souligner le coût de cette technologie. Pourtant, un professionnel du transport privé peut bénéficier de dispositifs de suramortissement lui d’étaler le coût sur une longue période, rendant ainsi l’investissement moins gênant. Néanmoins, les coûts opérationnels sont élevés avec un hydrogène à 12 euros/kilogramme en moyenne aujourd’hui, ce qui représente un coût bien plus élevé que celui du diesel ou du GNV pour un transporteur. Il faut d’abord arriver à un prix de 9 euros/kilogramme pour avoir une certaine compétitivité et, à terme, arriver à 6 euros pour lui permettre d’être pleinement compétitif face au diesel, facilitant ainsi un véritable déploiement de l’hydrogène sur les véhicules.

Ensuite, sur le transport routier, rien n’est prévu sur la limitation de la vitesse. – étant Sarthois, je sais que nos concitoyens y sont particulièrement attachés. Par ailleurs, le Code de la route reste national et les limitations de vitesse sont définies à ce niveau.

S’agissant du transport maritime et fluvial, il y aura une « piqûre de rappel » dans la deuxième partie du rapport qui sera présenté en fin d’année. Concernant le transport maritime, se pose la question des émissions du véhicule durant la navigation mais surtout celle de la consommation lorsqu’il est à quai. Il n’est pas acceptable aujourd’hui de voir des paquebots dans les ports faisant tourner leur moteur pour produire de l’électricité. Cela pose la question des infrastructures dans nos ports pour acheminer de l’électricité, de préférence durable. Il n’est pas utile de ne surveiller les émissions pendant la navigation si nous perdons de vue les émissions engendrées lorsque le bateau est à quai.

Enfin sur le transport fluvial, un déplacement est prévu à Rotterdam pour visiter les infrastructures. Pour ma part, je défends le recours au transport fluvial. Nous avons d’ores‑et‑déjà commencé à soutenir son développement avec par exemple le projet du canal Seine Nord Europe. Il faut poursuivre en ce sens.

Nous devons également mener une réflexion sur la place des fleuves dans nos villes. Doivent-ils devenir des lieux touristiques, auquel cas les quais de déchargement et de transbordement, outils logistiques indispensables, manqueront ? Ou souhaitons-nous voir dans les fleuves un aspect économique, comme je le crois ? Dans ce cas de figure, nous aurons besoin d’espace pour que les quais constituent un point d’entrée pour les cargaisons.

En effet, si les marchandises arrivent à quinze kilomètres de Paris puisque les quais du centre-ville n’auraient pas de vocation économique, les derniers kilomètres devront alors être effectués par des véhicules diesel. Il faut amener des chargements au cœur de la ville. Nous le faisons déjà, des expérimentations sont en cours à Paris avec des résultats positifs.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure.

S’agissant des biocarburants, nous avons souhaité parler dans cette présentation de la question de la production d’énergie et de sa typologie. Il ne faut pas toujours penser au « tout nucléaire » travailler sur des énergies alternatives. Il faut donc étudier l’ensemble des énergies alternatives permettant de satisfaire la consommation d’énergie. Néanmoins, n’oublions pas que la meilleure économie d’énergie consiste tout simplement de ne pas en consommer.

La deuxième partie du rapport que nous présenterons en décembre abordera les enjeux du transport fluvial, maritime, aérien ainsi que la mobilité urbaine

Damien Pichereau, rapporteur

À mon sens, ce rapport sur le secteur routier évoque davantage le transport et aborde peu les enjeux autour de la mobilité. C’est là peut-être un des défauts de cette stratégie qui parle davantage des outils que de leur articulation et de leur coordination.

Nous avons des objectifs ambitieux au niveau français de doublement de la part des marchandises passant par le rail, passant de 9 % à 16 % à l’horizon 2030.

La commission ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

Source image, capture d’écran depuis l’entretien des deux rapporteurs sur le site de l’Assemblée Nationale