« Une proposition de loi pour lutter contre le décrochage scolaire, l’initiative des députés socialistes » par Marietta KARAMANLI

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Le 9 juin dernier l’Assemblée Nationale a discuté d’une proposition de loi déposée par les députés socialistes et dont j’étais cosignataire.
Elle visait à mieux lutter contre le décrochage scolaire en prévoyant que les élèves perturbateurs ou ne travaillant plus et pouvant être exclus temporairement soient extraits de la classe et non plus de l’établissement et soient pris en charge par une équipe spécialisée et un tuteur.
L’objectif est bien d’ éviter qu’à l’échec s’ajoutent l’abandon et le retard. Expérimenté avec l’aide de collectivités locales, ce dispositif permet dans 90% des cas la réintégration et évite toute nouvelle mesure disciplinaire.
Il s’agissait de l’étendre.
Je suis intervenue en séance publique sur ce texte pour demander une évaluation de l’accès à l’école des enfants dès deux ans, soutenir l’article 1 qui pose le principe de l’obligation scolaire dès trois ans et faire ainsi coïncider la loi avec les pratiques, exposer en quoi les élèves qui décrochent sont la plupart du temps mal préparés à l’école, peu soutenus à la maison et dans leur environnement culturel, cumulent absence de motivation et de sens et mauvaises notes…J’ai insisté sur le fait que « l’école pour tous » devait s’appuyer sur de nouvelles expérimentation des temps, des évaluations intelligentes, des outils de base pédagogiques donnant du sens aux contenus, et une amélioration de la formation. J’ai enfin rappelé que l’école était un investissement pour la collectivité et les individus et nécessitait à ce titre des moyens.
Cette proposition, dont le principe du vote a été réservé par le gouvernement à la semaine suivante (quand plus de députés de la majorité seraient là) a été refusée par cette même majorité.
Je ne peux que le regretter!


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Le texte de mes interventions en séance publique

Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011, Compte rendu intégral, Deuxième séance du jeudi 9 juin 2011

Lutte contre le décrochage scolaire

Avant l’article 1er

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Ce sous-amendement [ « Ce rapport évalue également la possibilité de l’accueil de droit des enfants à l’école maternelle dès l’âge de deux ans.».]] ajoute une dimension importante.

Comme les sociologues le rappellent €“ plusieurs études ont été réalisées sur le sujet €“, une scolarisation commencée le plus tôt possible favorise la réussite et l’intégration en milieu scolaire et social, et prévient de façon importante le décrochage des enfants des classes sociales et culturelles les plus modestes.

La proportion des enfants de deux à cinq ans scolarisée dans le public et le privé tend à diminuer : elle était de 81,4 % en 2004-2005 et n’est plus que de 77,9 % aujourd’hui. L’examen attentif de ces chiffres montre que ce sont les enfants entre deux et trois ans qui ont le plus de difficultés à accéder à l’école.

Article 1er

Mme Marietta Karamanli.

Je tiens à souligner l’aspect positif de cet allongement de la scolarité obligatoire. En 1882, la loi sur l’enseignement primaire a instauré la scolarité obligatoire dès l’âge de six ans, avant que le terme en soit porté à seize ans par l’ordonnance du 6 janvier 1959.

L’éminent sociologue et économiste Esping-Andersen a mis en évidence l’intérêt d’organiser une prise en charge éducative collective des enfants le plus tôt possible en veillant à ce que cette prise en charge soit financièrement accessible et de qualité. Ce renforcement du capital culturel est contenu dans notre proposition de loi.

Au-delà, il convient de rappeler que l’éducation a besoin de moyens. L’OCDE a montré qu’en 1995 les dépenses d’éducation représentaient 11,5 % du total des dépenses publiques et qu’elles ne représentent plus aujourd’hui que 7,1 %. Ces données, si elles doivent être analysées avec prudence, mettent en évidence une tendance de fond à la baisse des dépenses d’éducation, révélatrice des choix qui sont faits, année après année, au détriment de ces dépenses.

L’effort en matière d’éducation est un investissement pour tous. Plus le niveau de qualification est élevé, plus le taux d’emploi et les revenus du travail, quel que soit le niveau de qualification, le sont. Certes, l’école a un coût, mais il est sans commune mesure avec celui, économique et social, de l’ignorance et de l’échec scolaire. Mettons donc les choses en perspective : l’éducation publique est avant tout un investissement humain, social et économique qu’il faut soutenir et développer.

Article 2

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, première oratrice inscrite à l’article 2.

Mme Marietta Karamanli.

À entendre certains discours, on ne punirait pas, ou plus, à l’école, au collège, au lycée. Pour avoir exercé pendant quinze ans, je peux vous dire que ce n’est pas vrai.

J’exclus les incivilités, les dégradations de biens, les violences aux personnes, et tout ce que je considère comme des comportements extrêmes.

Ce sont souvent les mêmes élèves qui sont punis, de plusieurs façons, et qui exécutent des peines en quelque sorte multiples pour un comportement général non conforme à ce que les enseignants tentent de leur apprendre et à ce que la vie scolaire doit leur faire partager.

Les enfants sont inégalement préparés, dans leur milieu familial et social, à maîtriser certaines situations, certains actes et objectifs, et à cette première punition, si j’ose dire, vont s’en ajouter d’autres.

La dégradation plus ou moins lente des résultats, la perte d’attention, la multiplication des punitions, voire des sanctions plus graves, peut les conduire au décrochage quasi définitif.

L’exclusion temporaire auxquels certains collèges n’hésitent pas à recourir renforce le sentiment d’échec de l’élève, le conforte dans l’idée qu’il n’a pas sa place dans l’établissement et le met en retard par rapport au programme.

Face à de telles situations, la décision d’exclure l’élève de la classe mais pas de l’établissement est de nature à permettre une reconnaissance mutuelle des problèmes posés et un début de solution.

Les résultats sont significatifs dans les établissements ayant mis ce dispositif en place, ce qui montre que non seulement ils doivent être généralisés mais aussi conduire à une réflexion d’ensemble sur la construction de l’école pour tous.

La réponse au décrochage est pour une grande part de nature pédagogique : elle passe par la prise en compte des différents temps dans la journée de la classe, par la pratique d’évaluations valorisantes de compétences, par la définition d’outils de base de réflexion sur le contenu, ainsi que par la nécessaire revalorisation de la formation des maîtres et des intervenants dans l’école €“ à l’inverse des partis pris gouvernementaux actuels €“, toutes choses que nous devons avoir à l’esprit dans cette première étape de la lutte contre le décrochage.

….

M. le président.

La parole est à M. Pascal Deguilhem.

M. Pascal Deguilhem.

Je veux tout de suite rassurer notre collègue Jacques Grosperrin : cet article, très simple, ne perturberait pas les dispositifs existants que vous avez rappelés.

L’exclusion est un échec. Le décrochage scolaire, qui ne concerne pas, il faut le redire ici, que les élèves qui quittent le système scolaire sans diplôme, est dans l’école, et il s’exprime parfois très tôt dans la scolarité, peut être momentané ou bien sûr, malheureusement, s’inscrire dans la durée. Il peut se manifester à travers une situation de conflit au sein de l’institution.

Je ne sais pas, monsieur le ministre, si vous avez déjà participé à des conseils de discipline qui ont été amenés à prononcer l’exclusion d’élèves. Pour ma part, sans doute comme d’autres collègues ici présents, j’y ai participé : c’est un sentiment de véritable échec, qui marque profondément et durablement l’ensemble de la communauté éducative. Mme Karamanli l’a dit : il faut généralement sortir l’élève du groupe classe et de l’établissement pour quelques jours. Mais c’est une sanction brutale, très sommairement expliquée, et qui ne s’accompagne d’aucune remédiation, et l’élève reviendra donc tel que dans l’établissement. Cet élève est alors, bien sûr, en voie de décrochage parce qu’il ne trouve plus d’intérêt dans le système scolaire. Les causes du décrochage, on l’a dit, sont nombreuses et variées, et l’exclusion n’y remédie pas parce qu’elles sont souvent sociales. C’est alors l’engrenage de l’échec, souvent dû au matraquage de la notation. Il y a aussi le problème des professeurs qui se succèdent, des remplacements non assurés, des jeunes enseignants qui ne sont pas armés pour faire face à des situations difficiles. Les causes sont donc multiples, y compris psychologiques. Avec des causes multiples, il ne peut y avoir une seule typologie des élèves exclus et on ne peut donc pas se satisfaire d’un modèle unique de sanctions.

C’est pourquoi, comme il y a des typologies différentes, il doit y avoir des prises en charge différentes. Tel est l’objet de l’article 2, dont les modalités sont définies à l’article 3.