Marietta KARAMANLI à l’Assemblée Nationale « Le projet de réforme des collectivités territoriales menace la décentralisation, les progrès de la parité, et le dynamisme de la vie associative et de nombreux projets locaux »

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Le 27 mai je suis intervenue dans le débat sur le projet de loi portant réforme des collectivités territoriales. Cette réforme n’est pas bonne. S’agissant de la méthode, le projet modifie l’organisation territoriale après que le gouvernement ait modifié les impôts locaux à l’occasion du projet de loi de finances pour 2010 mais sans que ne soient débattues la question des compétences à exercer par chaque collectivité et celle du bon niveau de leur exercice. Par ailleurs si le projet a pour prétexte le coût élevé actuel supporté par les contribuables locaux, il ne donne aucune estimation des économies qui en résulteraient. Le projet prétend simplifier l’organisation mais en fait la complique : aux communes, départements et régions quasi-fusionnés, s’ajoutent les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, en attendant les métropoles, les pôles métropolitains et les communes nouvelles. De plus, le texte met à mal la parité entre femmes et hommes en supprimant les modes d’élection des conseils régionaux et des conseils généraux dont le premier a fait toute sa place à la parité. Il y a 48 % de conseillères régionales contre seulement 12 % de conseillères générales ! Enfin il risque d’appauvrir la vie associative et bon nombre de projets locaux en privant les régions et les départements de la compétence générale et en excluant un financement croisé des projets qui ne seraient pas d’envergure. Voici parmi d’autres, les raisons qui m’ont amenée à m’y opposer !


Deuxième séance du jeudi 27 mai 2010, Réforme des collectivités territoriales, suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet, adopté par le Sénat, est à la fois contesté et contestable pour au moins trois raisons : sa méthode, ses motifs et ses effets.
Beaucoup de mes collègues socialistes ont fait part de leurs interrogations et critiques, et je vais m’efforcer de compléter leur propos.
Tout d’abord, ce texte est critiquable par la méthode retenue.
Le budget 2010 a déjà modifié en profondeur les impôts locaux sans que la représentation nationale ait pu, au demeurant, en mesurer les conséquences. Ce projet, quant à lui, modifie l’organisation territoriale et, parmi bien d’autres dispositions, fusionne les assemblées des conseils généraux et régionaux, et crée un nouveau type d’élu local, le conseiller territorial ; il renvoie d’ores et déjà à un autre projet de loi dont l’objet sera de fixer, en suivant certains principes discutés ici, les compétences des collectivités existantes ou nouvellement créées ; parallèlement, un autre projet de loi vise à modifier l’organisation des juridictions financières avec, pour point de mire, la suppression des chambres régionales des comptes.

Logiquement, il aurait d’abord fallu fixer les missions et le bon niveau d’exercice de celles-ci pour, ensuite, déterminer l’organisation et les moyens, et s’interroger sur la meilleure façon d’assurer, dans la transparence, une bonne gestion des deniers publics au plus près des collectivités territoriales. Le Gouvernement a fait l’inverse, comme en matière de réforme de l’État où il décime les organisations et les fonctionnaires avant de réfléchir aux priorités et aux missions.

Cette méthode n’est pas seulement une erreur, elle est l’expression d’une volonté. Pour paraphraser les dialogues d’Audiard dans le film Les Tontons flingueurs , c’est la volonté de « dynamiter€¦ disperser€¦ ventiler » la discussion parlementaire avant de « correctionner » les collectivités territoriales elles-mêmes, en faisant de simples guichets d’une dépense que l’État va contraindre de plus en plus et dont il entend rendre responsables les élus locaux. (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Piron. Je crois que c’est Bernard Blier !
(Sourires.)

M. Bernard Roman. Il y a aussi : « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! »

Mme Marietta Karamanli.

Si la méthode n’est pas bonne, les motifs eux-mêmes paraissent fallacieux en ce sens qu’ils cherchent à induire en erreur.

En effet, pour justifier la réforme, l’exposé des motifs évoque « un coût élevé pour le contribuable ». Or une étude faite à la demande de l’Assemblée des départements de France met en évidence que, en matière de fonctionnement, 70 % des dépenses sont spécifiques à chaque niveau de collectivité, 20 % relèvent de compétences partagées mais consacrées à des catégories de dépenses pour des services ou publics distincts, 5 % visent des interventions complémentaires sur un même domaine de compétence mais sur des actions distinctes par leur nature et les publics touchés, 5 % visent des dépenses opérationnelles qualifiables de financements croisés et répondant le plus souvent aux intérêts complémentaires des contribuables locaux, départementaux et régionaux.
De plus, en matière d’équipement, 30 % des dépenses porteraient sur des opérations où les compétences seraient partagées. Qu’une région finance dans une ville et un département un équipement à vocation régionale ou départementale ne paraît pas incongru ni déraisonnable.
L’étude d’impact jointe au projet de loi donne des chiffres sur les dépenses ventilées entre compétences exclusives, non exclusives ou intermédiaires, mais ne chiffre pas les supposées économies qu’apporterait la nouvelle organisation. J’ai interrogé à ce sujet trois ministres, et aucun n’a été en mesure de m’indiquer leur montant. Par contre, ce qui se confirme depuis la réforme des impôts locaux, c’est que les ménages pourraient, à l’avenir, payer jusqu’à 70 % des impôts locaux, contre 50 % aujourd’hui.

Si la méthode n’est pas logique et si les motifs sont fallacieux, il convient aussi de s’interroger sur certains de leurs multiples effets : recul de la parité, complexité accrue de l’organisation, et risque sérieux et réel d’amoindrissement de la vie associative.

L’article 1 er A crée le mandat de conseiller territorial, élu au scrutin uninominal. Le projet de loi prend le soin de préciser que ce mode d’élection garantira « l’expression du pluralisme politique et la représentation démographique par un scrutin proportionnel ainsi que la parité ». En fait, et nous le savons bien, le texte remet en cause la parité entre hommes et femmes.

Le texte supprime les modes d’élection des conseils régionaux et des conseils généraux dont le premier a fait toute sa place à la parité. Il y a 48 % de conseillères régionales contre seulement 12 % de conseillères générales. Selon l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, le recours au scrutin majoritaire, même mâtiné de proportionnelle, pourraient aboutir à l’élection de 20 % de conseillères pour 80 % de conseillers.

Lors de la discussion à venir sur le mode de scrutin électoral des conseillers territoriaux, il y a fort à parier que la parité sera définie comme étant la désignation d’un titulaire et d’un suppléant de sexes différents. A posteriori, les citoyens pourront s’étonner du résultat et constater que la politique reste décidément une affaire d’hommes.
Certains ministres n’ont-ils pas déclaré que la parité progresserait demain au niveau communal, et que le niveau supérieur pourrait en quelque sorte s’en passer ? Cela revient à dire que les femmes peuvent s’asseoir dans les wagons de deuxième classe occupés jusque-là majoritairement par les hommes, à partir du moment où il est créé une super première classe réservée à titre principal et majoritaire aux hommes.

Mme Élisabeth Guigou.

C’est scandaleux !

Mme Marietta Karamanli.

Ce projet de loi conduit aussi à une complexité accrue de l’organisation territoriale alors qu’il prétend la rationaliser €“ la lecture du texte en fait douter.
Aux communes, départements et régions quasi-fusionnés, s’ajoutent les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, en attendant les métropoles, les pôles métropolitains et les communes nouvelles.

M. Bernard Derosier.

La catastrophe !

M. Bernard Roman.

C’est une simplification à la Marleix !
Mme Marietta Karamanli.

En matière de rationalisation de l’organisation territoriale, le projet ne choisit donc ni la simplicité ni l’intelligibilité par le citoyen.

Dernier point : le projet organise un risque sérieux et réel d’amoindrissement de la vie associative par assèchement des aides.

S’il ne donne pas la possibilité de discuter au fond de la nature des missions et des actions dévolues aux différents niveaux de collectivités, ce qui est surprenant, il prive les régions et les départements de la compétence générale et exclut un financement croisé de projets qui ne seraient pas d’envergure.

À cet effet, l’article 35 prévoit que la région et le département exercent, en principe exclusivement, les compétences qui leur sont attribuées par la loi, et précise que, dès lors que la loi a attribué une compétence à l’une de ces collectivités, cette compétence ne peut être exercée par une autre collectivité.

M. Alain Marty.

C’est logique !

Mme Marietta Karamanli.

À l’avenir donc, seules les communes garderont une compétence générale. Ainsi les régions et les départements ne pourront financer de nombreux projets locaux ; ils ne pourront plus aider les associations culturelles et sportives pourtant si actives et si utiles au développement local.

Les organismes non lucratifs se tourneront alors vers les seules communes qui auront encore le droit de répondre à ces demandes, mais n’en auront pas les moyens.

Il y a donc un risque sérieux et réel d’amenuisement de la vie associative et des services qu’elle rend aux citoyens.

Que conclure face à un tel projet ? Dans le fameux film déjà cité, Les Tontons flingueurs , le jeune homme épris de la fille d’un des truands dit à propos de son propre père : « Il comprend rien au présent, rien au passé, rien à l’avenir, enfin rien à la France, rien à l’Europe, enfin rien à rien€¦ Mais il comprendrait l’incompréhensible, dès qu’il s’agit d’argent. »

M. Alain Marty.

Et d’horloge ! (Sourires.)

Mme Marietta Karamanli.

L’ensemble des projets dont nous débattons « façon puzzle » a sa logique : l’argent, celui que l’État n’a plus. À la hâte, l’État réforme donc les collectivités territoriales, en espérant transformer le contribuable local en financeur des dépenses qu’il imposera à des collectivités à l’autonomie restreinte et aux charges contraintes.

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)