« Port d’une tenue uniforme à l’école, s’occuper des apparences plutôt que du fond, pourquoi une telle proposition de loi est inefficace et détourne des enjeux de l’éducation et de la réussite des élèves » par Marietta KARAMANLI

Source image, capture d’écran depuis la vidéo de la séance sur le site de l’Assemblée Nationale

Le 12 janvier 2023 je suis intervenue en séance publique sur la proposition de loi visant à instituer un uniforme à l’école pour m’y opposer.

 Cette proposition vise à instituer le port d’une tenue uniforme à l’école. Cette proposition a l’apparence d’une mesure de bon sens en vue d’assurer l’égalité apparente des élèves à l’école.

En fait comme je l’ai rappelé elle n’a jamais été une tradition de l’école républicaine et laïque ; les fondateurs de l’école publique et gratuite avaient comme ambition de créer une communauté de pensée et non un collectif d’élèves se ressemblant.

Les études menées dans plusieurs pays notamment aux Etats-Unis montrent un effet inverse car cette obligation va à l’encontre du sentiment de confiance que recherchent les jeunes à l’école, facteur de réussite dans les études.

Enfin en s’égarant sur l’apparence, les vrais problèmes de l’école actuelle sont oubliés : personnaliser la pédagogie ; développer le travail coopératif.

En outre, il est nécessaire d’évaluer l’évaluation, pour lui donner un sens nouveau.

L’école, enfin, doit être porteuse de santé pour tous les jeunes. Il est donc indispensable de lutter contre les inégalités de classe et de genre que produit encore le système.

Mon intervention en séance publique et sur le site de l’Assemblée nationale

XVIe législature, Session ordinaire de 2022-2023, Séance du jeudi 12 janvier 2023

Mme la présidente.

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La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

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« Le progrès naît de la diversité des cultures et de l’affirmation des personnalités » explique Pierre Joliot, grand professeur biologiste et petit-fils de Pierre et Marie Curie. Cette proposition de loi qui vise à imposer un uniforme aux couleurs de l’établissement irait à l’encontre du progrès, aussi nous y opposons-nous. Nous sommes résolument contre l’objectif de cette proposition de loi qui vise, selon ses auteurs, à empêcher les élèves de porter des vêtements qui soient des marqueurs sociaux ou des signes religieux. Notre combat, à nous, c’est la lutte contre les discriminations, pas contre les distinctions.
Cette proposition s’ajoute à une longue liste de propositions qui depuis plusieurs années constituent des marronniers, c’est-à-dire des articles de circonstance publiés traditionnellement à certaines dates. Elle est sous-tendue par l’idée qu’on pourrait revenir à une sorte de modèle de l’école républicaine évoqué dans l’exposé des motifs.

Comme toujours, l’instrumentalisation de l’histoire sert moins à parler du passé qu’à justifier un discours présent et à inventer des racines qui ne sont pas réelles.

Le port de l’uniforme à l’école n’est pas une tradition française : même le port de la blouse n’a jamais été obligatoire. Nous sommes contre l’idée d’un uniforme aux couleurs de l’établissement, comme dans les écoles privées américaines, car cela ne correspond pas au modèle de l’école républicaine française.
Le port d’un uniforme fut un marqueur social pour distinguer certaines écoles élitistes, qui cherchaient l’entre-soi et refusaient la mixité sociale. Il est ainsi devenu un signe distinctif de haut statut social. La blouse, elle-même répandue mais non obligatoire, n’était qu’un instrument pour protéger les élèves et leurs vêtements des aléas de la vie quotidienne. Or, le temps est désormais loin où l’on changeait de vêtements seulement une fois par semaine, ou d’une semaine sur l’autre. Alors, si le passé ne justifie pas cette uniformisation, celle-ci répondrait-elle à une demande présente ?

M. Roger Chudeau, rapporteur.

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Oui !

Mme Marietta Karamanli.

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Les quelques études menées à l’étranger sur les effets du port de l’uniforme montrent que celui-ci n’engendre pas de sentiment d’appartenance à une école, fut-elle républicaine. Selon la principale étude menée aux États-Unis et qui tendait à connaître les arguments des partisans de l’uniforme scolaire, celui-ci favoriserait une meilleure assiduité et un sens de la communauté renforcé, limitant donc intimidations et bagarres. Une telle argumentation est déjà plus sophistiquée que celle présentée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

En réalité, le port de l’uniforme aurait plutôt tendance à induire un relâchement du lien à l’école : la mode et l’individualisation des vêtements sont une façon pour les élèves de s’exprimer…

M. Boris Vallaud.

Elle a raison !

Mme Marietta Karamanli.

…et représentent à ce titre une partie importante de l’expérience scolaire.

M. Benjamin Lucas.

Implacable !

Mme Marietta Karamanli.

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Empêchés de montrer leur individualité, les élèves pourraient ne pas se sentir autant à leur place dans l’école qui les regroupe. Or, nous le savons, c’est le bien-être, et non l’uniformité, qui est un facteur favorable à la réussite.

Les fondateurs de l’école républicaine l’avaient d’ailleurs bien compris : Ferdinand Buisson, qui fut l’un des maîtres d’œuvre de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, considérait qu’à l’école publique, c’est l’enseignement moral qui devait compter, puisque celui-ci « porte la claire notion du devoir, des idées de justice et de bonté, l’habitude de la réflexion, la culture de la conscience, l’amour du travail, le sentiment des droits de l’homme et de la dignité humaine. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.) Il concluait en précisant : « Cette morale, non seulement est bonne, non seulement est saine, mais elle est suffisante. »
J’ajouterais : l’enseignement n’a pas besoin d’uniforme. Plutôt que de nous intéresser à l’accessoire, occupons-nous du principal.

M. Benjamin Lucas.

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Tout à fait !

Mme Marietta Karamanli.

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Il faut penser aux besoins des élèves, et donc donner priorité au nécessaire développement des compétences sociocomportementales. Il faut davantage personnaliser la pédagogie, mais aussi développer le travail coopératif. En outre, il est nécessaire d’évaluer l’évaluation, pour lui donner un sens nouveau. L’école, enfin, doit être porteuse de santé pour tous les jeunes. Il est donc indispensable de lutter contre les inégalités de classe et de genre que produit encore le système.

M. Boris Vallaud.

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Voilà !

Mme Marietta Karamanli.

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Finalement, en prétendant qu’elle traite du fond alors même qu’elle ne s’attache qu’à l’apparence,…

M. Boris Vallaud.

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Potemkine !

Mme Marietta Karamanli.

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…les auteurs de la proposition de loi ne tendent qu’à nous distraire de l’essentiel. (Mme Ségolène Amiot applaudit.) Le groupe Socialistes et apparentés votera donc contre ce texte qui occulte l’essentiel du débat de fond et ne lutte en rien contre les inégalités à l’école. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)