« Retraites à 64 ans, pourquoi le projet du gouvernement est injuste , inutile et sa méthode d’examen contestable » par Marietta KARAMANLI

Source image, capture d’écran depuis une vidéo de commission le 11 janvier 2023 sur le site de l’Assemblée Nationale

Lundi 6 février, débutera l’examen en séance publique du projet de loi sur les retraites dont l’objet essentiel est de porter à 64 ans après avoir été envisagé à 65 ans l’âge légal de la retraite.

J’y suis opposée pour plusieurs raisons.

Ce projet suscite inquiétudes car il est injuste dans ses effets.

Je note qu’il y a eu un premier projet en 2020 qui posait déjà problème ; il instituait un âge pivot avec malus si départ avant. Présenté par le gouvernement d’alors il a été abandonné !

I La réforme crée de très nombreux perdants. C’est simple ce sont tous les actifs !

Ceux nés entre septembre 1961 et 1972 subissent l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation.

Ils devront travailler plus longtemps que prévu, pour certains dès de cette année, alors qu’ils pouvaient espérer partir à la retraite.

Celles et ceux nés après 1973 devaient déjà travailler 43 ans, la réforme ne change donc rien pour eux du seul point de vue de la durée d’assurance.

Mais ils pourront être pénalisés par le recul de l’âge légal à 64 ans.

En effet le report pourra en amoindrir la surcote ou empirer la décote appliquée au calcul de la pension.

L’allongement de l’âge légal va défavoriser toutes et tous ceux qui réunissent leurs annuités avant d’atteindre celui-ci.

Celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, même avec le dispositif carrière longue, n’échapperont pas à cet allongement qui sera pour eux une régression.

Ils auront commencé à travailler à 18 ans, auront 43 ans à 61 ans et devront travailler jusqu’à 62 ans !

( la presse annonce que le gouvernement proposerait un aménagement au projet de loi visant à prendre en compte les carrières les plus longues mais en allongeant tout de même l’âge légal).

S’agissant des femmes, le montant des pensions versées aux femmes est en moyenne inférieur de 40 % à celui qui est versé aux hommes.

Elles auront mécaniquement plus de mal à réunir leurs annuités, du fait de carrières souvent moins continues.

Elles partent souvent plus tard en retraite et la situation va s’aggraver !

Par ailleurs la réforme ignore la pénibilité.

Sur le financement, une autre façon de faire reste possible

Le Président du Conseil d’Orientation des Retraites entendu par la commission des finances de l’Assemblée Nationale  a déclaré je cite « Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre.  Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles augmentent sans augmenter de manière très très importante.

La raison majeure de cette réforme est donc de réaliser des économies même si ce n’est pas l’Union européenne qui le demande.

Mais soyons clair une autre trajectoire est possible.

On peut diminuer certaines dépenses publiques, notamment des exonérations.

Le projet de budget de l’Etat pour 2023 prévoit la suppression de la taxe sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), soient 34 milliards d’euros à la fin du quinquennat…

De mon côté j’ai déposé une proposition de loi qui vise à faire contribuer un peu les « très très » riches avec pour effet de recueillir environs 25 milliards d’euros par an !

Donc c’est une réforme de ce seule point de vue inutile…sauf à choisir de faire porter l’effort sur les seuls salariés

Une méthode d’examen contestable

Je note enfin que si débat a lieu au Parlement, le gouvernement a choisi une procédure qui malgré le nombre d’amendements l’écourtera automatiquement.

L’Assemblée nationale discutera du projet de loi en commission des affaires sociales du 30 janvier au 1er février, puis en séance publique du 6 au 17 février 2023.

Vu le grand nombre d’amendements liés à la fois au nombre de groupes parlementaires, à leur souhait de corriger le texte selon leur sensibilité, et de jouer le temps en espérant amoindrir la volonté gouvernementale, le gouvernement aurait pu recourir au système institué par l’Assemblée nationale fixant à l’avance la durée de l’examen d’un texte en séance. Un temps de parole global est alors attribué aux groupes parlementaires qui l’utilisent à leur convenance ; ce système pas applicable aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale, ainsi qu’aux révisions constitutionnelles.

Le gouvernement n’a pas fait ce choix et lui a préféré une loi rectificative de financement de la sécurité sociale. Ce choix politique lui permet mécaniquement d’écourter les débats ( selon l’article 47-1 de la Constitution le parlement doit se prononcer dans les 50 jours, sinon le texte peut être adopté par voie d’ordonnance)  mais aussi de recourir au 49.3 (adoption sans vote d’un texte ne réunissant pas une majorité contre) ; hors les projets de finances et financement de la sécurité sociale le 49-3 ne peut être utilisé que sur un seul texte au cours d’une même session parlementaire.

Autrement dit le gouvernement puise dans les ressources du droit les moyens de faire passer son projet ce qui en contre partie tend à faire croître ce qu’on appelle l’obstruction parlementaire, avec 28 000 amendements déposés et en ligne au 05 février 2023 sur le site de l’Assemblée Nationale ; il est à noter que le précédent projet en 2020 avait suscité plus de 40 000 amendements et le texte sur la privatisation d’EDF en 2006 environs 138 000 amendements…

A titre personnel je considère que revenir à un débat parlementaire plus équilibré suppose une évolution institutionnelle à laquelle une majorité des partis n’est pas encore prête (voir en ce sens ma proposition de loi (https://mariettakaramanli.fr/ma-proposition-de-loi-constitutionnelle-pour-reequilibrer-au-fond-les-relations-entre-les-pouvoirs-politiques-president-gouvernement-et-parlement-un-premier-essai-pour-une-republique-plus-m/).