Dimanche 9 février j’ai participé aux débats de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite. Je n’en suis pas membre mais il m’a été possible de m’y rendre et de participer aux discussions.
La commission saisie d’environ 20 000 amendements n’a pu les examiner tous; le temps contraint programmé tel que prévu par le règlement de l’Assemblée nationale conduit alors à ce que le projet de loi vienne alors en discussion en séance publique tel qu’il a été déposé par le gouvernement sans qu’aucun éventuel amendement accepté par la majorité en commission ne modifie le texte initial.
A cette occasion, j’ai pu faire valoir mes interrogations et positions concernant sur trois points : le système proposé qui vise à équilibrer les comptes et en tout cas à limiter les dépenses conduira au travers d’une régulation par l’Etat et la fixation d’une valeur du point à limiter voir à diminuer les pensions de retraite de façon quasi automatique quand il y a aura plus de retraités (ce qui heureusement devrait arrivé!) et à faire partager un montant limité par plus de retraités ; alors que les inégalités sociales à la retraite sont persistantes, le projet de loi ne prévoit aucun correctif pour que les plus modestes qui cotiseront autant mais ne bénéficieront moins longtemps ; enfin le système de retraite actuel en calculant les droits sur les 25 meilleures années notamment pour les carrières hachées est plus protecteur que le système proposé puisque les femmes, les chômeurs verront leurs droits calculés sur l’ensemble de la carrière, ce qui les précarisera davantage.
Aucune réponse circonstanciée n’a été apportée aux arguments développés et défendus.
Je le regrette.
Marietta KARAMANLI
Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite, Dimanche 9 février 2020, Séance de 15 heures, compte rendu n° 22
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Sébastien Jumel.
Je vous rassure, monsieur le rapporteur : c’est parce que nous comprenons que nous nous opposons à ce projet. Si nous ne comprenions pas, nous nous limiterions à demander des explications. Or, nous l’avons trop bien compris, même si des zones d’ombre demeurent. Au demeurant, bien des gens comprennent encore mieux que nous : le président de la CNRACL, les dirigeants de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques et de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques… À en croire La Gazette des communes, publication qui n’a rien de révolutionnaire, que disent-ils ? « Réforme des retraites, trop de zones d’ombre ».
J’ai été maire d’une ville et je sais, comme on le sait dans toutes les communes de France, ce qui s’est passé à chaque fois que nous avons surprélevé sur la CNRACL pour alimenter la solidarité avec d’autres caisses, et comment cela s’est traduit dans nos budgets. Il n’est qu’à voir l’inquiétude de l’AMF et des présidents d’intercommunalités à l’idée de vous donner un blanc-seing pour jouer sur ces leviers-là. Ainsi que l’a dit mon collègue Door, les communes, les hôpitaux, l’ensemble des collectivités territoriales savent que cela aura inévitablement un impact non négligeable sur leurs agents, mais également sur leurs budgets. C’est un sujet que nous connaissons bien, mais sur lequel nous voudrions comprendre encore mieux à la faveur de ce débat.
Mme Marietta Karamanli.
Une réforme aussi incertaine ne peut que mettre la population en difficulté. L’augmentation démographique à laquelle on peut s’attendre en raison de l’augmentation de l’espérance de vie, entraînera une hausse du nombre de retraités. Le niveau des pensions et l’âge de départ seraient alors modulés défavorablement. Le système que vous proposez, qui en appelle à une discipline budgétaire de l’assurance sociale, en fait supporter les aléas sur tous les Français et particulièrement les agents des fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière. Vous nous demandez de prendre position sur système incertain sans en connaître les éléments ni les chiffres, ce qui est inacceptable pour un parlementaire.
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Serge Letchimy.
Pour les mêmes raisons que celles exposées par nos collègues, nous proposons, avec l’amendement n° 21102, la suppression de l’article 19. Vous avez pris l’engagement de supprimer les quarante-deux régimes spéciaux, mais on voit bien que vous êtes en train de reculer, puisque vous en maintenez quelques-uns, parfois en les adaptant. Cela montre que votre réflexion n’était pas suffisamment aboutie et que la concertation avec les différents corps professionnels n’a pas permis de trouver de solutions appropriées.
Pierre Dharréville.
Sur le fond, à ces salariés qui relèvent aujourd’hui de régimes spéciaux, vous proposez, avec votre réforme, une régression sociale majeure.
Sur la forme, permettez-moi de vous rappeler la définition du terme « ordonnance », que j’ai trouvée sur le site service-public.fr : « En matière constitutionnelle, une ordonnance est une mesure prise par le Gouvernement dans des domaines juridiques relevant normalement de la loi et donc du Parlement. » Nous sommes dans un cadre d’exception, vous choisissez de contourner le Parlement et vous vous donnez trois mois pour mettre cette ordonnance à exécution : cela signifie que vous avez une idée derrière la tête et que nous ne savons pas tout. Ce que nous vous suggérons, c’est de mettre cette idée sur le papier, dans votre projet de loi, pour que nous puissions en discuter sérieusement.
Nous nous opposons à la fois à la pratique des ordonnances et au fond de cette disposition, qui vise à casser des régimes de retraite solidaires.
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Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier.
Tous les arguments ont été épuisés. Je rajoute simplement qu’avec le système universel de retraite, nous transformons des régimes par capitalisation – par exemple, le régime additionnel de la fonction publique – en régimes par répartition.
Avis défavorable.
Mme Marietta Karamanli.
Personne ne peut contester les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques : parmi les 5 % de Français les plus aisés, l’espérance de vie des hommes à la naissance est de 84 ans, contre 72 ans chez les 5 % les plus pauvres, soit treize ans d’écart.
Du fait de cette forte inégalité sociale par rapport à l’espérance de vie, les pauvres, qui cotisent aussi longtemps que les riches, bénéficient en moyenne beaucoup moins longtemps de la retraite. Votre réforme ne propose aucun correctif à cet état de fait. Un système plus juste consisterait à revoir la répartition des cotisations. Je ne vois ni n’entends rien qui aille dans ce sens.
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Nicolas Turquois, rapporteur pour le titre Ier.
L’article 19 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions transitoires pour lisser les effets de convergence des assiettes et des taux de cotisation des salariés des régimes spéciaux sur une période ne pouvant dépasser vingt ans.
On nous accuse de vouloir passer par-dessus bord les régimes spéciaux. Il n’est absolument pas question pour nous de ne pas tenir compte des spécificités de ces métiers. On a un peu oublié qu’il existait plus de cent régimes spéciaux en France en 1990 : toutes les banques avaient le leur, ainsi que les ports autonomes – il ne reste plus que celui du port de Strasbourg. Un certain nombre de ces régimes concernaient des activités ou des sociétés implantées en Alsace ou en Moselle : ils étaient les témoins d’une histoire aujourd’hui révolue. Il ne me semble pas que la disparition de ces régimes spéciaux ait entraîné, par exemple dans les banques, une régression sociale majeure.
Nous souhaitons faire converger très progressivement les taux et les assiettes de ces régimes vers le système cible pour assurer l’équité du système de retraite, rien de plus. Il s’agit de dispositions techniques et le recours aux ordonnances nous semble être le meilleur moyen de prendre en compte les spécificités de chacun de ces métiers.
Avis défavorable.
Mme Marietta Karamanli.
Le marché du travail, en France, n’est pas en bonne santé, avec un taux de chômage qui se situe autour de 8,5 % depuis dix ans.
Les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques montrent en outre qu’il s’est considérablement précarisé au cours des dernières décennies : en 2017, 40 % des contrats à durée déterminée ne duraient qu’une journée et le taux de rotation de la main-d’œuvre est passé de 29 % en 1993 à 96 % en 2017.
Le système de retraite actuel est plus protecteur que celui que vous proposez, surtout pour les carrières hachées – celles des femmes le sont souvent –, puisque le calcul de la pension s’effectue sur les vingt-cinq meilleures années pour les salariés du privé et qu’il se fera, dans votre système, sur l’ensemble de la carrière, ce qui précarisera encore davantage les gens.
Source image : capture d'écran depuis la vidéo de la réunion depuis le site de l'Assemblée Nationale