« 70 ans de la convention européenne des droits de l’homme, des droits désormais reconnus par le droit français, des progrès encore possibles dans leur transcription au plan national, la nécessaire appropriation par le parlement Français et ma proposition de résolution en ce sens » par Marietta KARAMANLI

Le 10 décembre 2020 je suis intervenue lors de la table ronde organisée par la délégation parlementaire (Assemblée Nationale et Sénat)  française à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe sur les 70 ans de la Convention européenne des droits de l’Homme. J’y ai porté le message que la convention fait partie des sources de notre droit en matière des droits de l’homme et de droits fondamentaux, qu’il existe encore des lacunes ou réticences à appliquer les décisions de la CEDH au nom de traditions juridiques nationales, enfin que la source de nouveaux progrès réside pour partie dans le fait que le Parlement soit mieux à même d’apprécier l’écart entre l’application du droit national et les objectifs et droits portés par la convention européenne des droits de l’homme.

Retrouvez mon intervention sur le site de l’Assemblée Nationale.

Tout savoir sur la convention européenne des droits de l’homme 

 

Texte ayant servi de base à mon intervention lors de la rencontre sur les 70 ans de la Convention européenne des droits de l’Homme et portant sur l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’ordonnancement juridique Français

Mon propos sera articulé autour de trois idées somme toute assez simples.

La première idée est que la convention européenne fait partie des sources du droit national en matière de droits fondamentaux et est intégré progressivement dans le droit Français

La deuxième idée est cette appropriation est parfois difficile pour des raisons que certains appellent de traditions historiques et juridiques et que je qualifierai de politico-juridiques.

La troisième et dernière idée est que la source du progrès réside dans des évolutions institutionnelles.

1ère idée Les décisions de la CEDH font désormais partie des sources du droit national en matière de droits fondamentaux

Je rappellerai quelques précédents déjà anciens et je me concentrerai sur deux exemples récents que j’ai, si j’ose dire, vécus m’appuyant sur plusieurs décisions de la CEDH pour faire adopter des modifications législatives devenues aujourd’hui la loi française.

De quelques précédents

Sur 20 ans, plusieurs exemples peuvent être donnés de l’application de la convention au travers de décisions de la CEDH débouchant sur une prise de conscience de l’inadaptation du droit national aux standards européens qui devaient s’imposer eu égard à l’ « état de civilisation commune »,  comme l’aurait dit l’éminent juriste Guy Braibant.

Je ne prendrai qu’un exemple passé.

Notre code de procédure pénale comporte un titre  (III), on ne peut plus, explicite.

Je le cite littéralement. Il s’agit

« Du réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme »

Cet article a été introduit par voie d’amendement parlementaire à un projet de loi sur la présomption d’innocence devenue la loi du 15 juin 2000.

Que dit l’article principal du dispositif …

« Le réexamen d’une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que la condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales…»

L’essentiel est dit.

Allons maintenant à une actualité plus récente.

J’ai été en 2013 rapporteure du premier projet de loi transposant des directives européennes dans le domaine pénal.

Au moins deux arrêts de la CEDH,  les arrêts Siliadin du 26 juillet 2005 et C.N et V. du 11 octobre 2012 avaient condamné la France pour ne pas disposer d’articles prenant en compte la nécessaire répression de certaines infractions constitutives de ces crimes même si cette répression existait de fait au travers du recours à d’autres dispositions mais avec un effet de qualification plus aléatoire.

Il nous a fallu définir dans le code pénal française ce qu’est :

  • d’une part l’esclavage c’est-à-dire l’exercice à l’encontre d’une personne de l’un des attributs de la propriété

et

  • d’autre part l’exploitation d’une personne réduite en esclavage, qui est la séquestration, la commission d’une infraction sexuelle ou la soumission à du travail forcé d’une telle personne, dès lors que l’auteur connaît sa condition.

Par ailleurs

Le droit tel qu’il résulte de la Convention interprétée est proche du droit fondamental Française si j’ose et des grandes lois qui ont fait la République.

Je ne citerai qu’un exemple, la décision – Affaire Ebrahimian (c. France, requête no 64846/11) motivée par le principe de laïcité, qui je cite la Cour est « fondateur de l’Etat » français, et celui de neutralité, imposés aux agents des services publics, ne constituait pas une violation du droit à la liberté de religion.

Dans cet arrêt rendu à l’unanimité des juges, la Haute juridiction concilie deux principes d’une part la liberté d’expression et de croyance et d’autre part le principe d’égalité, consubstantiel au principe de la laïcité Française.

Au moment où de nombreux débats en France ont lieu, il convient de rappeler qu’il n’y a pas de véritable liberté là où n’existe pas une entière égalité pour tous sous la protection de la loi.

Il en ressort que l’espace de l’État et des autorités publiques doit être absolument neutre et qu’il ne peut y avoir d’expression officielle de la religion dans ces espaces, ni sur les bâtiments publics, ni par les fonctionnaires ;

La Cour y voit « le but légitime qu’est la protection des droits et libertés d’autrui » ce qui est exactement le sens de la loi française de 1905 sur le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Voici pour les exemples.

Ainsi comme j’ai tenté de le donner à voir le droit de la convention européenne des droits de l’homme tel qu’interprété par la Cour européenne irrigue le droit français.

Néanmoins ces progrès cachent ou recèlent encore des lacunes ou réticences à appliquer les décisions de la CEDH au nom de traditions juridiques nationales.

Je prendrai un seul exemple celui de mon pays à rendre effectif l’ensemble des effets qu’attache la CEDH à l’article 6 de la convention européenne relatif au droit à un procès équitable.

Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ont porté sur l’article 6 de la CEDH

Le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, tel que garanti par la Convention, a fait l’objet d’une jurisprudence précise.

La France a été condamnée dans un arrêt BRUSCO d’octobre 2010 où il était constaté que le droit français violait la Convention en ne permettant pas à l’avocat d’assister son client dès le début de la garde à vue, ce qui implique d’être présent lors de l’interrogatoire et d’avoir accès au dossier.

A la suite une réforme de la garde à vue est intervenue en France en 2011, suite notamment à une décision du Conseil constitutionnel et à trois arrêts de la Cour de cassation.

Avant la réforme du 14 avril 2011, en cas de placement en garde à vue, la personne avait seulement le droit de s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure et durant une demi-heure. Elle n’imposait pas sa présence au-delà. L’avocat n’avait pas accès au dossier.

A l’évidence la législation française n’était pas conforme aux orientations données par la Cour européenne appliquant l’article 6 de la convention.

Une réforme de 2011 a néanmoins créé une nouvelle procédure d’auditions dites « blanches », simples convocations sans contraintes pendant quatre heures et se faisant sans avocat. La réforme a été jugée conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel.

En 2014 la loi a été à nouveau modifiée.

Les personnes entendues ont désormais le droit de recourir à un avocat s’ils sont auditionnés dans le cadre d’un délit passible d’emprisonnement ou d’un crime, ou d’être mieux informés par la police sur les faits reprochés.

Reste le problème de l’accès au dossier par l’avocat.

En l’état l’avocat n’a pas accès à l’ensemble du dossier lors des procédures d’audition ou de retenue par la police.

Ainsi ce que dit la CEDH a parfois du mal à être entendu par le droit national, en l’espèce français.

D’autres exemples de cette difficulté de prise en compte pourraient être cités[1].

J’en viens à ma troisième idée qui est que la source du progrès réside dans des évolutions institutionnelles débouchant sur une appropriation collective des sujets

D’ores et déjà le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou l’Allemagne débattent en commission ou en séance publique du suivi des décisions de la CEDH.

Qu’en est-il en France aujourd’hui ?

Actuellement seul les rapports annuels faits respectivement par la délégation de l’Assemblée Nationale et par celle du Sénat à l’APCE en vertu des règlements des chambres font état globalement de l’évolution de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et de son suivi par les Etats.

En 2019 j’ai fait la proposition d’une résolution (c’est ainsi que l’on nomme la norme) d’une modification du règlement de l’Assemblée Nationale pour qu’une partie relative à l’exécution des décisions de la CEDH figure systématiquement dans le rapport annuel de notre délégation et donne lieu à une discussion en commission ou séance publique.

Ma proposition de résolution 

Cette initiative a l’avantage de ne pas nécessiter un vote par le Sénat comme pour une loi.

Par ailleurs nous aurions l’avantage d’évaluer l’exécutif sur le sujet et de ne pas le laisser seul présenter son appréciation de l’exécution des décisions.

Comme vous le voyez les choses bougent, lentement mais sûrement.

Je reprendrai à mon compte ce que disait ARISTOTE à savoir que « Le commencement est beaucoup plus que la moitié de l’objectif ».

Merci de votre attention.

[1] Le maintien de la motivation des décisions des Cours d’Assises fondées sur l’intime conviction des jurés ou la nomination par le ministre sans garanties suffisantes des Procureurs de la République pour que ces derniers soient considérés comme indépendants relèvent de dispositions législatives probablement non-conformes aux dispositions de la convention telles qu’elle seraient interprétées par la CEDH…pourtant en l’état elles sont jugées conformes aux traditions juridiques nationales, je dirais, « dominantes »!