« Les articles 1er et 52 (ex 24) de la loi dite de « sécurité globale » (et d’autres) ont été censurés par le Conseil Constitutionnel, la confirmation que ces articles posaient problème » par Marietta KARAMANLI

Avec mes collègues des différents groupes devant le Conseil Constitutionnel

Lors de la discussion publique à l’Assemblée Nationale du texte de loi, j’avais appelé l’attention de mes collègues sur plusieurs dispositions qui manquaient de clarté ou dont les effets étaient pas mis en perspective avec les garanties qu’appellent notre code pénal.

Voir en ce sens mon intervention le 24 avril dernier « Loi dite de sécurité globale, une loi en trompe l’œil pour la sécurité et possiblement dangereuse pour les libertés » par Marietta KARAMANLI – Marietta Karamanli 

Voir aussi dans la presse 

Un recours avait été déposé par plusieurs dizaines de députés et sénateurs dont je faisais partie.

Avec plusieurs collègues députés nous avons été,  auditionnés par la Conseil constitutionnel

Celui-ci a censuré le dispositif sur plusieurs points dans une décision du 20 mai 2021

Sur l’article 1, selon le Conseil «  Il résulte de tout ce qui précède que, en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, sans les mettre à disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes, le législateur a méconnu l’article 66 de la Constitution. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 1er doit être déclaré contraire à la Constitution ».

Sur l’article 52, le conseil a décidé que « D’une part, le délit contesté réprime la provocation à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale « lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police » et à l’identification d’un agent des douanes « lorsqu’il est en opération ». Le législateur a fait de cette dernière exigence un élément constitutif de l’infraction. Il lui appartenait donc de définir clairement sa portée. Or, ces dispositions ne permettent pas de déterminer si le législateur a entendu réprimer la provocation à l’identification d’un membre des forces de l’ordre uniquement lorsqu’elle est commise au moment où celui-ci est « en opération » ou s’il a entendu réprimer plus largement la provocation à l’identification d’agents ayant participé à une opération, sans d’ailleurs que soit définie cette notion d’opération. D’autre part, faute pour le législateur d’avoir déterminé si « le but manifeste » qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique du policier devait être caractérisé indépendamment de la seule provocation à l’identification, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la portée de l’intention exigée de l’auteur du délit.  Il résulte de ce qui précède que le législateur n’a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l’infraction. Dès lors, le paragraphe I de l’article 52 méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines. Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, ce paragraphe est donc contraire à la Constitution. »

Nous avons donc eu raison de souligner à plusieurs reprises le danger que recelaient des dispositions trop floues ou ayant des effets sur les garanties dont jouissent nos concitoyens.

Voici le texte ayant servi de base à mon intervention orale devant le secrétaire général et quelques membres du Conseil

Madame, Monsieur,

Le texte dit de « sécurité globale préservant les libertés » n’est pas sans évoquer « la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes » dite « sécurité et liberté » adoptée en 1980…

On y évoque la liberté des personnes en essayant de contrebalancer les atteintes aux libertés individuelles par le mot même de liberté.

Comme le disait un philosophe « Chacun a entendu parler du Saint Empire romain qui n’était ni saint, ni romain, et n’était pas un empire. » !

Changer une appellation ne change pas une réalité !

Je souhaite mettre en évidence quelques points.

Cette loi n’est pas une loi comme les autres.

Le texte entend créer un continuum de sécurité.

Ce concept est théorisé ; il suffit d’aller sur le net pour en lire les tenants et aboutissants.

Il décrit la mobilisation continue de ressources publiques et privées pour la sécurité nationale.

Le mot « continuum » même mérite qu’on s’y intéresse quelques secondes.

En latin « continuum » désigne des éléments que l’on peut envisager de façon continue, sans rupture, dans le temps et dans l’espace.

Et c’est évidemment ce qu’on retrouve dans le texte, une surveillance généralisée, dans le temps et dans l’espace.

Il met aussi au cœur du processus une délégation de tâches et d’activités de l’État vers les collectivités locales, de l’État vers les entreprises de sécurité.

En un mot, le texte met en œuvre un concept de sécurité qui  envisage celle-ci  sous l’angle de fongibilité des forces de sécurité et de la permanence du contrôle.

Vous me direz ce sont des mots mais des mots qui ont un sens.

La limitation des libertés doit être envisagée de façon stricte.

Et c’est là que le bât blesse car le texte

             manque de précision,

             manque de limitation,

             garantit mal les délégations pour qu’elles soient strictement nécessaires,

             envisage un contrôle et une surveillance à caractère continu des personnes via le recours aux nouvelles technologies.

Venons-en aux dispositions en cause, au moins à celles que le temps nous permet d’évoquer

L’article 1er de la loi prévoit d’élargir à titre expérimental, les prérogatives judiciaires des agents de police municipale.

Si notre Constitution pose le principe d’une expérimentation, la condition en est que la loi ou le décret définissent de manière suffisamment précise l’objet de l’expérimentation ainsi que les conditions de sa mise en œuvre.

A bien y regarder, ici, l’objet de l’expérimentation est flou visant à la fois la coordination et la substitution de la police nationale par la police municipale dans des tâches régaliennes…

Aucun impact des conditions opérationnelles de ce transfert expérimental n’a été donné posant au passage la question des compétences transférées et de leurs financements entre des communes n’ayant pas les mêmes moyens et, parfois, même pas les moyens d’un tel transfert qui pourrait pourtant être généralisé.

On l’a vu récemment dans un autre domaine, celui de la justice, un dispositif expérimental peut ne pas aller jusqu’au bout de l’expérimentation et être généralisé ce qui fait naître un doute quand l’exécutif parle d’expérimentation.

Il y a, en tout cas, un risque de rupture d’égalité faute d’anticipation, faute de précision(s) et faute d’encadrement.

Par ailleurs le texte marque une rupture en confiant aux agents municipaux la constatation d’infractions délictuelles.

Ils participeront à la réalisation d’enquêtes judiciaires sans que l’officier de police judiciaire ne les voie et ne les contrôle.

C’est une remise en cause du principe d’égalité devant les poursuites, certaines relevant de l’autorité judiciaire, d’autres de l’autorité administrative et évidemment sans disposer des mêmes garanties.

Je note aussi que les agents municipaux pourraient participer à des relevés d’identités alors même qu’ils ne peuvent participer à des contrôles d’identité et qu’ils pourraient recueillir de façon spontanée des informations pouvant être retenues à charge sans que les droits des personnes mises en cause aient été rappelés.

Dans le même ordre d’idées, les actes de saisie pénale que les dits agents municipaux seraient autorisés à réaliser constituent bien des actes d’enquête sans que les conditions dans lesquelles ils pourraient le faire ne soient réellement précisées.

Par ailleurs, l’extension de compétences des policiers municipaux ne s’accompagne d’aucune mesure liée au renforcement de leur formation et à leur évolution de carrière.

L’absence de précision nuit à la conformité du texte aux principes de droit pénal et de procédure pénale que la loi doit fixer sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

J’en viens maintenant aux dispositions du texte qui visent la délégation de compétences de l’État aux entreprises de sécurité privées.

Deux articles nous intéressent ici, les articles 29 et 19 du texte.

Le texte permet d’étendre les compétences de police administrative des agents des entreprises de sécurité privée, en leur octroyant des missions de surveillance générale de la voie publique, même itinérantes, dans le domaine – si important au regard de la rigueur à avoir- de la lutte anti-terroriste, autrement dit des missions inhérentes à l’exercice de la force publique (article 29).

En faisant référence à des missions itinérantes des agents de sécurité privé sans définition ni précision, et sans que ne soit prévu un contrôle continu effectif exercé par un officier de police judiciaire, le texte apparaît comme manquant de rigueur et n’apportant pas garantie apportée quant à la délégation de l’exercice d’une prérogative de puissance publique.

De façon plus générale la délégation de pouvoirs de police administrative à des entreprises privées pratiquant fortement la sous délégation n’est pas sans poser problème (article 19).

Je l’ai signalé en séance. Le texte évite de traiter le problème économique de fond de ce secteur, celui de la concurrence née de la sous-traitance en cascade de nombreuses missions et activités qu’il aurait fallu, non pas encadrer mais bien interdire.

En tout état de cause il aurait fallu fixer une limite haute en termes de pourcentages de l’activité à ne pas déléguer.

J’ai pu recueillir plusieurs avis de responsables et agents de la police qui tous s’inquiètent du risque lié aux conditions de recrutement que certains qualifient d’opaques (hors les conditions légales) et pointent un risque de recrutement faisant prévaloir l’entre-soi des origines, des croyances ou des communautés.

J’en viens maintenant, et brièvement, aux activités de surveillance autorisées sans précision suffisante, sans limitation et contrôles significatifs et effectifs.

Les systèmes de vidéosurveillance affectent la liberté d’aller et venir, le droit à la vie privée ainsi que l’inviolabilité du domicile.

Les articles 40 à 44 du texte augmentent le champ de la vidéosurveillance, sa fréquence, et ouvrent à de nombreuses personnes la consultation des images.

Les lieux de vie sont visés, la transmission pourra être faite à la seule initiative des équipes de sécurité sans limitation et détermination précise du nombre de ceux pouvant accéder aux images.

Toutes ces dispositions altèrent les garanties s’attachant à l’exercice d’une vidéosurveillance et à la limitation des droits fondamentaux qu’elle entraîne.

Enfin en ce qui concerne l’article 52 anciennement l’art 24 (évoqué par mes collègues) le délit reste vague, évoquant une supposée intention de nuire aux policiers.

Ainsi, les auteurs d’images ou de vidéos, dans lesquelles on pourrait apercevoir le visage ou le RIO (numéro d’identification) d’un membre des forces de l’ordre, seront susceptibles de poursuites judiciaires.

Des interprétations et décisions divergentes pourront in fine nuire au travail des journalistes.

L’absence de précision et la caractère vague de l’incrimination appellent la censure de cette disposition.

Je vous remercie de votre attention.

Marietta KARAMANLI